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Toute l’aide dont vous avez besoin

Toute l’aide dont vous avez besoin

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Cela faisait déjà un bon quart d’heure que Bernard, pompier de son état, tentait de dissuader la femme de sauter du haut du pont et de se jeter sur la voie ferrée. La désespérée avait franchi le parapet et était accrochée à la rambarde, fixant du regard les rails luisants qui se trouvaient à quelques mètres sous ses pieds. Le TGV de 9 h 34 n’allait pas tarder à passer et elle n’avait pas l’intention de le rater. Bernard essaya une nouvelle approche. Il voulait nouer un dialogue pour l’amener à renoncer à ce geste fatal d’une femme brisée par la vie. « Écoutez-moi ! Écoutez-moi ! Ne bougez pas ! Je vais m’approcher, vous tendre la main et vous allez me rejoindre de ce côté. Vous allez voir Madame, tout va bien se passer… » La femme tourna la tête, le contempla d’un air hagard. Bernard eut soudain l’impression que cette dernière prenait enfin conscience de l’endroit où son désespoir l’avait mené. « Regardez-moi, Madame ! Je suis pompier, toute ma brigade est là pour vous aider.

— M’aider ? Mais vous ne pouvez rien pour moi, vous voyez bien que je veux mettre fin avec cette vie de misère. 
— Allons, allons, soyez raisonnable, on va s’occuper de vous. Vous avez besoin d’une prise en charge, d’une aide. Dès que vous m’aurez rejoint, mon équipe va vous conduire à l’hôpital dans un service spécialisé pour des patients comme vous. Toute une unité médicale spécialement dédiée va s’occuper de vous. Allez Madame, donnez-moi la main, tout va bien se passer… »

Soudain rassérénée par cette promesse et comme mue par une force extérieure, la femme souleva son bras et le tendit vers Bernard qui s’en empara vivement. Ses collègues se précipitèrent pour lui prêter main forte et sauver la malheureuse. En une poignée de secondes, elle se retrouva du bon côté du pont et la foule amassée alentour pour contempler le spectacle poussa un cri de soulagement. « Vous avez fait le bon choix Madame ! Venez vous asseoir dans notre ambulance et discuter avec notre médecin. » Encore secouée par les événements, soutenue par deux pompiers, la femme se dirigea d’un pas mal assuré vers l’ambulance. Les portes se refermèrent rapidement sur elle et le véhicule partit toutes sirènes hurlantes vers le centre hospitalier le plus proche. Dès son arrivée, Bernard assit la femme dans un fauteuil roulant et se dirigea avec elle vers le service des admissions.

— Je vous amène une patiente pour le docteur Djadja, une pauvre fille qui a voulu se jeter du « Pont des Désespérés ».
— Encore une, c’est la troisième aujourd’hui ! Très bien, il va la recevoir tout-de-suite. Quand les gens sont décidés, il ne faut pas les faire attendre, salle 7, couloir B.

C’était l’unique service de l’hôpital à recevoir les patients immédiatement, et sans la moindre attente. La direction avait mis tous les moyens nécessaires à disposition des praticiens. Il n’était pas besoin de préciser à Bernard la localisation du cabinet du docteur Djadja. Des patientes comme celle-ci, il lui en amenait quotidiennement une bonne demi-douzaine si ce n’est plus. Et il prenait son rôle très au sérieux. Depuis quelques temps, un nombre croissant de personnes souhaitait mettre un terme aux souffrances de leur existence. Bernard n’arrivait pas à comprendre cette envie tirer sa révérence d’une façon aussi ignoble. C’était vraiment moche de rendre le dernier souffle ainsi sur des rails sans aucune assistance, déchiqueté par un TGV qui inévitablement aurait un minimum de trois heures de retard. Quelle indécence ! Quel manque de respect pour les voyageurs ! Alors qu’ici, ces personnes pouvaient être prises en charge par le Docteur Djadja et son groupe. Ceux-ci pouvaient leur fournir toute l’aide dont elles avaient besoin. Cette aide spécifique, c’était une aide active à mourir. À mourir proprement sans perturber le trafic ferroviaire ni déranger personne. C’était quand même mieux pour tout le monde ! Alors qu’il quittait le service, Bernard se retourna et vit la malheureuse qui franchissait le seuil du cabinet de ce bon docteur. « Bonjour chère Madame, je suis le docteur Djadja. Ne vous inquiétez pas Madame, ça va bien se passer… Je vais vous apporter toute l’aide dont vous avez besoin. »

La femme s’avança vers le médecin, confiante, un vague sourire triste sur les lèvres. Soulagé, Bernard quitta le service et sortit d’un pas décidé pour rejoindre la caserne, fier du travail accompli. Il était déjà prêt pour une nouvelle mission, prêt à apporter à d’autres malheureux toute l’aide dont ils auraient besoin. Il prit le volant de l’ambulance. La radio diffusait un air d’Aya Nakamura. Ayant déjà oublié la femme qu’il venait de confier au docteur Djadja, Bernard se laissa entraîner par le rythme de la musique. Quelle belle journée tout-de-même !


Une bien mauvaise nouvelle
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Dégrisez-vous
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Je vous ai tout donné, je rentre nue chez moi
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