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Jeanne de Lartigue nous enchante

Jeanne de Lartigue nous enchante

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Et si nous nous laissions aller à la délicatesse d’un récital piano-voix en cette fin d’après-midi ? Et si nous osions laisser tomber nos raisonnements et contempler les choses depuis l’intérieur de notre être. L’album dont il s’agit a choisi une proposition pour titre, la phrase d’une poétesse : « Je veux qu’en paix l’on ouvre la fenêtre. » Anna de Noailles nous propose ainsi de tendre l’oreille. Une phrase qui suggère un décor. Il fait beau, il fait doux, l’air est frais et le soleil est partout et à la fois discret, toujours réchauffant. Une voix se met à notre portée, elle chemine aux côtés des dix doigts agiles et élégants de Béatrice Spenger. Jeanne enchante… notre fin d’après-midi.

- Peu à peu la maison entr'ouvre ses fenêtres
Où tout le soir vivant et parfumé pénètre,
Et comme elle, penché sur l'horizon, mon coeur
S'emplit d'ombre, de paix, de rêve et de fraîcheur…

Jeanne de Lartigue s’est approchée du piano, Béatrice Sprenger est prête à l’accompagner dans ce salon aux vieux meubles et aux fenêtres grandes ouvertes. Un piano et une voix sont là et s’échappent. Le piano attire, la voix aimante. Ces deux-là ont commencé leur récital sans attendre le public. Piano et voix dialoguent, échangent, et petit à petit le cercle se crée. Les gens se sont approchés à pas de velours pour profiter du son, sans oser ni vouloir perturber la grâce. Mais qu’est-ce donc ? De la musique classique ? Un récital ? Oui et non, ce sont simplement des chansons dans toutes les langues, qui racontent l’amour, la prière, la mort, … la vie.

Toutes les voix lyriques sont généreuses et c’est même là leur définition par excellence. Celle-là sourit tout le temps et le piano est complice. La proposition nous venait d’Anna Noailles et la réalité correspond au fantasme de Baudelaire : là tout n'est qu’ordre, calme, luxe et volupté. Ce qui caractérise ce disque, c’est la délicatesse. La fenêtre est ouverte, on peut aller autour de piano et faire cercle, on peut aussi rester assis à l’écart des proches, sous son marronnier et entendre tout ça de loin. C’est beau aussi de loin. Cela permet d’entendre les oiseaux en plus, se mêler au concert, cela permet de contempler ce que fait le vent avec les nuages, ce que fait le vent avec les feuilles, ce que font tous ces airs avec notre cœur.

Les marronniers, sur l’air plein d’or et de lourdeur,
Répandent leurs parfums et semblent les étendre ;
On n’ose pas marcher ni remuer l’air tendre
De peur de déranger le sommeil des odeurs.

Notre mezzo-soprano a bien sûr la tessiture d’une Carmen, elle a aussi la fraîcheur d’une Danielle Darrieux, voilà toute la grâce de Jeanne de Lartigue. On boit à même l’ambroisie, tout est léger car généreux. Tout est désormais possible. On se prend à rêver que dans ce monde, les seuls tourments sont ceux de l’amour, et que la paix est possible… Le poème ne peut être que lyrique, le poème est un chant de l’âme. Toutes les langues réconciliées par la musique : anglais, français, allemand, italien, … latin. Bien mieux que Babel, puisque la musique est la langue des dieux. Après les chansons dans notre langue et les fièvres de l’amour passion, le disque flirte désormais avec le saloon, avec le cabaret. On ose le swing de Gershwin. On sourit à pleines dents, on tape d’un pied, on voudrait claquer des doigts mais on ose à peine. On a du mal à se retenir. L’ivresse pointe son nez.

C’est pourtant à ce moment que la voix choisit de s’éclipser. On se retrouve seul avec le piano qui nous propose une simple promenade digestive après le swing. Il faut savoir tirer des bords pour revenir à l’intérieur de soi. Le sacré qui arrive pour nous dégriser après la promenade en piano solo au bord du jardin, à l’extrême bord du jardin, à la frontière du lieu où la paix peut se concevoir. La voix, à la fois ample et retenue, se fait un peu plus pure sur le sacré, un peu plus fragile. Il faut s’avoir s’excuser en liturgie. Il faut savoir s’excuser lorsque l’on fait action de grâce avec ses propres compositions. Le sacré nous dégrise à son rythme. Il nous place dans une mélancolie, la joie d’avoir des souvenirs, la tristesse de devoir les quitter. La mélancolie nous dit : ça valait le coup. Au final, tout se récapitule, chansons, swing et sacré, dans une interprétation de Hallelujah de Léonard Cohen chanté. On peut oser la passion sur la dernière ligne droite puisque cela ne va pas durer. Il faut bien transmettre tout ce qui nous restait et envoyer l’être s’abîmer dans le monde avec cette richesse intérieure désormais acquise.

Lorsque la mort succédant à l’ennui
M’accordera sa secourable nuit
Douce au souhait que j’eus de cesser d’être,
Je veux qu’en paix l’on ouvre la fenêtre
Sur ce morceau de ciel où mon regard
A tant prié l’injurieux hasard
De m’épargner dans les joies ou les peines
Dont j’ai connu la suffocante haleine.
…Qu’à mes côtés se reposent mes mains,
Calmes ainsi que les sages étoiles,
Et sur mon front que l’on abaisse un voile,
Pour l’honneur dû aux visages humains…

Pour aller plus loin : http://jeanne-de-lartigue.com/accueil


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