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Le Moyen Âge : c’était cool pour les filles !

Le Moyen Âge : c’était cool pour les filles !

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« Les filles au Moyen Âge », voilà le titre du dernier long métrage d’Hubert Viel, rejeton d’une nouvelle vague qui ne cesse de vouloir renaître sur le lac étal de la production cinématographique hexagonale. Le cinéaste perce une fenêtre onirique dans le no man’s land aseptisé de notre temps. Le début et la fin du film se situent dans une maison d’une zone pavillonnaire périurbaine, clone de ses semblables également agencées dans le lotissement, non loin des voies rapides, des échangeurs efficaces, des ronds-points pratiques, de fières éoliennes, de gigantesques parkings de supermarché et des enseignes identitaires de Darty et Carrefour.

Le grand-père Michael Lonsdale ne peut laisser le goûter d’anniversaire de sa petite-fille être gâché par les garçons préférant s’abrutir devant leur jeux vidéo. Quel jeu vidéo ? Un jeu sur le Moyen Âge où les hommes sont des brutes épaisses en armures, et les filles une simple monnaie d’échange. Ce Moyen Âge est caricatural, c'est-à-dire conforme à l’idéologie moderniste qui règne sur les pensées depuis les Lumières a minima et jusqu’à aujourd’hui. Et le grand-père est le seul capable d’ouvrir une parenthèse, le seul à permettre aux enfants de voyager dans le temps et de retrouver par là même le goût du jeu. Ah vous croyiez que le Moyen Âge était un temps obscur, ah vous croyiez que les filles y étaient méprisées, que leur vie était un enfer, cela vous arrange pour continuer de croire au progrès triomphant pour continuer de vous croire supérieurs… Et bien, fermez les yeux, écoutez la voix et plongez en noir et blanc dans le passé tel que l’on peut s’amuser à le rejouer.

Sketches paraboliques pour un rétablissement de l’Histoire

Le modernisme a créé un Moyen Âge mythique englué dans l’obscurantisme, les superstitions et la violence… Et bien c’est par une part de fiction qu’Hubert Viel va rétablir la vérité. Au programme : une sorte de spectacle de fin d’année des enfants sous la direction de leur grand-père, déguisements avec les moyens du bord et pour le reste, fermez les yeux, l’imaginaire va faire le reste. Pour que justice soit faite au Moyen Âge, pour que justice soit faite aux filles, la voix de Michael Lonsdale campe 1000 ans d’histoire de France à travers une série de saynètes, voire de sketches à vertus paraboliques et pédagogiques. Le film ne démontre rien, il montre. L’histoire ne se démontre pas, elle est. Et elle se joue pour mieux la vivre.

Qu’il est doux de laisser la voix de Michael Lonsdale nous conduire à travers ces 1000 ans de Moyen Âge. La voix d’un homme qui a toujours été vieux, qui est né vieux comme il le revendique lui même, qui est né pour un autre temps que le sien, et nous relie à l’histoire de France. L’image est en noir et blanc pour que le jeu de la lumière et l’art de la photographie priment. Les filles au Moyen Âge étaient bien plus influentes et libres que ce que l’on croit aujourd’hui. Le XIIème siècle fut même un âge d’or pour la condition féminine. Les 1000 ans commencent avec le concile d’Ephèse. Ce concile, révélant les deux hypostases du Christ, vrai homme et vrai Dieu, va permettre une prise de conscience que les femmes sont à l’image de la Vierge Marie, mère de Dieu. Si leur modèle est Marie, alors elles sont infiniment respectables, infiniment aimables, infiniment pures. C’est ainsi qu’Hubert Viel révèle que, n’en déplaise à ceux qui campent dans leur déni d’historicité, la chrétienté a bien permis aux femmes d’occuper une place primordiale voire centrale dans la société. Du refus de la violence dictée par la morale christique à la prise de conscience théologique de ce que représente la femme dans l’économie du salut, la chrétienté a façonné le rapport de l’homme vis-à-vis des femmes.

Nous est mis en scène par les enfants sous la dictée chaleureuse du grand-père : Sainte Clotilde qui civilise son mari Clovis, Hildegarde de Bingen qui brille par ses talents de savante, et même Jeanne d’Arc en chef de guerre martyr, apogée et fin de la grande époque de la femme reine. Les enfants s’amusent également à mettre en scène l’amour courtois, où les garçons s’échinent à multiplier les vertus pour séduire l’inaccessible jeune fille. Et s’ils ont toutes les vertus, qu’ils aillent chercher le graal ! Dans ce rapport la femme ne fut pas loin d’être divinisée…

Le Moyen Âge comme réel modèle altermondialiste

C’est par la figure d’Agnès Sorel que s’achève l’âge d’or. Hubert Viel fait de cette favorite le point de bascule vers la société du paraître, cette société où tout se règle avec de l’argent, où tout va s’acheter : amours, vertus, gloire… Le point de bascule également vers la virtualisation de l’économie et de la vie. Un Jacques Cœur fait briller les yeux du roi en lui révélant le pouvoir de l’argent. Ce Jacques Cœur se transforme petit à petit en homme d’affaires d’aujourd’hui, costume cravate et attaché-case. Le débat qui s’en suit est atemporel, il supporte donc l’anachronisme. Une joute joueuse s’installe entre les petites princesses et l’homme d’affaires. L’homme d’affaires veut leur faire cultiver des choux en grande quantité, afin de pourvoir les vendre, disposer d’argent, qui leur permettra d’acheter la diversité qu’elles cultivaient par le passé. T’es un clown toi, lancent les petites filles à la face de la raison raisonnante du modernisme matérialiste. Mais le clown est un clown triste. La joute se termine avec le retour de la couleur dans le film par un dialogue absurde et pathétique à la fois.

Deux visions de la société s’opposent et s’opposeront jusqu’à la fin des temps. Cette vision du Moyen Âge est aussi la vision d’une certaine société rurale rappelée avec nostalgie par le grand-père. Ce que nous appelions Moyen Âge devient d’un seul coup la société alternative à celle de la consommation de masse. Nous pouvons d’autant plus échapper à notre monde, que ce que nous idéalisons n’est pas une utopie mais bien une réalité du passé. Le Moyen Âge est vu comme système politique, économique et sociétal plaçant la personne humaine, souveraine au cœur et en lien avec la création, ne cessant de rendre grâce de ses dons en cultivant, en s’instruisant, en créant. Cet aspect du film nous rappelle dans son esthétisme et son ton les contes moraux d’Eric Rohmer. Le langage d’enfants déniche l’absurde de nos vies d’aujourd’hui. Ce monde de l’individu poussant son caddie et son auto de sa parcelle vers le grand tout et inversement. It’s a man's world ! Amusons nous du dialogue imaginaire et absurde de la fin entre la princesse et l’homme d’affaires dans une voiture sur la parking du supermarché. L’homme d’affaires demande : que savez-vous faire ? La princesse du Moyen Âge répond : je connais le latin, le grec, l’hébreu, je connais les textes saints, j’ai écrit 800 poèmes, j’ai des notions d’astronomie et de science. La réponse de l’homme d’affaires tombe comme une guillotine sur la grâce : service après-vente. It’s a man’s world !


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