Le bonheur d’être incarné et réac
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François Heurtevent , contributeur à Mauvaise Nouvelle, a visé fort juste en nous offrant cet ouvrage de Denis Tillinac, Du bonheur d’être réac, écrit à Noël 2013, vade-mecum pour la défense des valeurs de toujours. Grâce leur soit rendue ! A Heurtevent et Tillinac ! Le sous-titre de ce petit traité est sans équivoque et il donne un cap clair : apologie de la liberté.
Le ton est donné d’entrée avec ce texte d’Ernest Renan, à propos du Code Civil issu de la Révolution : « Un code de lois qui semble avoir été fait pour un citoyen idéal, naissant enfant trouvé et mourant célibataire ; un code qui rend tout viager, où les enfants sont un inconvénient pour le père, où toute œuvre collective et perpétuelle est interdite, où les unités morales, qui sont les vraies, sont dissoutes à chaque décès, où l’homme avisé est l’égoïste qui s’arrange pour avoir le moins de devoirs possible, où l’homme et la femme sont jetés dans l’arène de la vie aux mêmes conditions, où la propriété est conçue, non comme une chose morale, mais comme l’équivalent d’une jouissance toujours appréciable en argent, un tel code, dis-je, ne peut engendrer que faiblesse et petitesse. » Dans son acception première, le réac (ou conservateur) désignait le partisan de l’ordre antérieur à la Révolution, et par extension celui qui est maintenant allergique au monde moderne. Une littérature conservatrice variée et abondante a irrigué le XIXème et le XXème siècle avec Maistre, Chateaubriand, Tocqueville, Balzac, Barbey d’Aurevilly, Taine, Renan, Flaubert, Péguy, Villiers de l’Isle-Adam, Bloy. Tillinac le corrézien l’affirme à sa manière : « Réac ou moderne, là est le vrai partage des eaux. ». Notre auteur de terroir ne goûte que modérément ce séisme pour la Tradition que furent les Lumières qualifiées par lui, à la suite de Régis Debray, d’« aveuglantes ». Ses expressions terriennes tillinacaises sont imagées et inimitables : « Un réac a plutôt tendance à penser qu’une longue traversée en compagnie d’une égérie délectable a plus de prix qu’un vol aux côtés d’une harpie, et que la vitesse n’augmente pas d’une seconde le temps qu’il nous reste à vivre. » ; « Le réac sait qu’il rame à contre-courant sur un fleuve déchaîné. Aucune arme dans son esquif, aucun gouvernail, juste la certitude que le salut est dans la fraîcheur d’une source, pas dans les envasements d’une embouchure. » ; « Ce qui adviendra à terme de l’univers mondialisé, on ne sait pas vraiment. Les matins où le soleil fait briller le givre, on voit l’avenir avec le télescope de Teilhard ; les soirs de pluie et de brouillard, avec celui de Pascal. Le vrai réac a toujours dans sa musette l’idée alternative à celle qu’il soutient, c’est son viatique pour éviter l’hémiplégie intellectuelle. ». Lucide, Tillinac sait que sa civilisation construite grâce aux lumineuses Athènes, Rome et Jérusalem est à l’agonie, car un « scientisme fou », à mi-chemin entre Prométhée et Frankenstein, la conduit à sa perte. Onfray dirait une « technophilie folle ».
Foncièrement inactuel, le réac cherche des moments de grâce dans l’Histoire, s’extirpant par instants du bruit et de la fureur, pour revêtir une armure spirituelle et esthétique forgée par des personnages, des moments, des actes symboliques puisés dans ce passé riche d’enseignements et de leçons de vie. Cœur vaillant, il déteste les « chamailleries picrocholines » sur les taux de croissance ou les réductions de déficits qui agitent les arcanes des partis politiciens. Il abhorre « Ce pot-pourri de scepticisme ricanant, d’hédonisme bas de plafond et de compassionnel sirupeux dont l’inanité se planque derrière les mots éculés de " démocratie ", " droits de l’homme ", " humanisme ", " citoyenneté républicaine ", " valeurs partagées " et " laïcité " ». Pêle-mêle, les attributs du réac (corrézien, et de probablement tous les réacs) se trouvent dans le sens de l’honneur, de l’intériorité, de l’héritage, de l’humour, de la désinvolture, de l’élévation (avec des mots baudelairiens : « Se soumettre à cet instinct universel qui nous promet un surcroît de bonheur dans la contemplation des étoiles. Apprendre à les allumer. Dieu sera au rendez-vous, ou pas, mais c’est en convoitant un Graal que l’humain épure son cœur, fertilise son âme et cesse de tourner autour de son nombril comme un cheval de manège. Poser l’échelle de ses désirs et monter là-haut, là-bas, dans cet éther bleuté dont le plus trivial souffre secrètement d’être exilé. »), le sens de l’harmonie, de la religiosité, de la distinction, de la lenteur, de l’ambiguïté, du regret (« le Mal a enténébré et sali notre existence. Les catégories idéales du Bien, du Beau et du Vrai, ou le message évangélique ont souvent été négligés. »), le sens de l’éternité, du tragique, des nostalgies, de la pudeur, de la féminité.
En peu de mots, le réac possède le sens de la singularité et de l’incarnation. Il est pleinement homme, conscient de son unicité et fou de bonheur d’exister, acceptant, fataliste et confiant, le mystère de son être. Le réac est proche de la vérité, hors des constructions idéologiques. Il tutoie Dieu. Son trésor intérieur est secrètement impénétrable, c’est ce qui lui fait d’abord, comme dirait Jean Raspail, « suivre ses propres pas ».