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Le marché de Noël

Le marché de Noël

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Le marché de Noël est en cage. Entouré de barrières Heras, comme pour les chantiers. Et on filtre : une seule entrée. Et on retient : une seule sortie. C’est pour protéger le badaud des attaques terroristes. On construit un camp, on concentre les victimes potentielles. Pour leur bien. On ne pense jamais suffisamment que les prisons sont faites pour protéger ceux qui s’y trouvent. De quoi donner envie de faire un larcin quand un sentiment d’insécurité naît en nos entrailles. Mais après c’est sans fin. La poule et l’œuf. En perpétuant ledit larcin, je renforce le sentiment d’insécurité donnant le réflexe à ceux qui l’éprouve, de commettre le crime qui les conduira eux aussi derrière les murs protecteurs. On dira sans doute que mon raisonnement est faussé, c’est la raison pour laquelle j’ai pris la peine de l’écrire. Je veux amener d’aucuns à méditer. De quel côté du mur, la frontière nous rassure ? chantait la fausse Marlène cathodique, interprète poisseuse de Barbelivien dans les années 80. J’ai toujours goûté de citer de la variétoche pour accompagner ma philosophie de comptoir.

Revenons au marché de Noël clos, aux baraques barricadées. Nombreux sont les volontaires qui s’y précipitent. C’est blindé de zombies. L’idée est aussi sans doute de se serrer les coudes et de ralentir. Deux heures à la queue-leu-leu pour faire le tour de la place. L’objectif est de passer devant chaque chalet et d’envisager les objets dont on n’a pas besoin. Du vrai artisanat d’art acheté en gros en Asie pour vous messieurs-dames, des masques africains tombés du camion Action, des niaiseries en pyrogravure à clouer au mur. Il suffit de rendre tout très cher pour que chacun se sente concerné. Sans doute est-ce pour vérifier que l’on a des problèmes de pouvoir d’achat. Ce n’est pas tous les jours Noël. C’est idéal pour trouver des idées cadeau, se débarrasser du souci de faire plaisir. L’effet boomerang est implacable. Ils peuvent s’offrir dès aujourd’hui et pour eux même de quoi les combler jusqu’au marché cathare des créateurs cet été sur la plage de Canet en Roussillon.

Moi je contourne la place à cause de la clôture. Ma liberté de circuler est toujours en sursis dans ce monde marchand. Cependant, ils auraient dû trouver quelque chose de plus efficace que les barrières car mon nez grimace. Le mélange de mauvaises odeurs imprègne la foule qui stagne, piétine et salive sur place. À son aise. Chacun comme un membre d’un gros corps. Tartiflette et vin chaud, les volutes serpentent, à gerber en plein vent. Depuis des années les gens mangent leur merde transformant leur corps en surface de transformation de la bouffe en mort. Ce ne sert à rien de tant manger. Cela fait déjà un an que j’ai renoncé pour ma part. Je me contente de quelques biscuits Gerblé et d’un litre de vin par repas. Cela me suffit. J’ai toujours été suffisant. J’en croise une (trop grasse et trop maquillée) hors du marché avec une barquette de tartiflette, un fil relie sa bouche à la barquette. Bientôt plus rien ne les distinguera. Un groupe d’hommes à l’âge aussi avancé que le mien ricanent sur leur godet de vin chaud qui pue la cannelle. Ils croient s’enivrer rien qu’en inspirant. Ils croient faire la fête alors qu’on se caille et que l’air est humide.

Un vigile fouille les sacs à l’entrée. Faut voir sa tronche. J’aurais bien envie d’inverser les rôles. Voyons un peu : mains sur le capot, écarte les jambes, pas de gestes brusques, vide tes poches… Et tes papiers ? Il ferait moins le malin l’analphabète si je lui demandais ses papiers… Les gens lui ouvrent leurs sacs avec la fierté de n’avoir rien à se reprocher. Ils sont dans leur bon droit et jouissent du premier pas qu’ils mettent dans la cage. Ils se sentiraient presque privilégiés. Moi je n’ai pas tant confiance en moi que ça. J’aurais peur qu’on y décèle tous mes complots dans mon sac, dans mes poches, sous mes yeux. J’aurais peur qu’on devine mes désirs de crime, mes projets d’attentats, et puis, peut-être même, mes idées de viol d’autrui. Et là, si ça transparait, je me verrais interdit de marché de Noël, refusé d’entrer dans la cage aux chalets qui puent. Ce serait malin. Je préfère donc contourner le lieu avec le cou rentré dans les épaules rondes, emmitouflé dans un vieux caban d’ancêtre. C’est vraiment une bêtise de sortir de chez soi, cela ne fait que nourrir des haines des autres et des doutes de soi. La prochaine fois que je m’aventure à sortir aux alentours du marché de Noël, il faut que je mette une ceinture d’explosifs (il faut que je me renseigne comment ça se fabrique) et me fasse sauter juste devant, histoire d’entendre l’explosion de joie de ceux qui auront justement trouvé refuge au marché de noël. Voilà qui me réconcilierait avec la vie que de justifier en une seconde toute cette logistique préfectorale.


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