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Les empêcheurs de flâner sont en roues libres

Les empêcheurs de flâner sont en roues libres

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Je déclare la guerre à tous ce qui me roulent sur les nerfs ! Qu’ils viennent d’en face ou sur mes flancs, peu importe, je les accuse d’avoir tué toute possibilité de flânerie en ville. Les cons au volant sont devenus des cons au guidon et ils sont montés sur mes trottoirs avec la fierté de conquistador sauvant leur planète. Désormais, quand je marche, je ne déboite jamais sans jeter un œil dans un angle mort, je trésaille à chaque plaque d’égout qui s’ébranle sous les trépidantes roues et roulettes, et je manque de sortir le flingue que je n’ai pas au moindre coup de sonnette amical de celui qui trace sa route pendant que j’ai tout mon temps. Mais vers où glissent-ils tous à toute allure en sortant de leur travail tandis que je marche tranquillement ? Est-ce si urgent de risquer sa vie et la mienne pour aller se commander un mac do par Ubereats qu’ils vont déguster devant le dernier épisode de la dernière série Netflix ? J’imagine que le temps gagné leur permet de concocter leur petit compost à gerber samedi prochain dans le tas communautaire de quartier…

L’autre jour, place Carnot à Lyon, tandis que je déambulais paisiblement mon marécage de pensée sous le soleil, une trottinette est venue heurter ma pommette gauche de pleins fouets. C’était comme un dessin animé, les étoiles et insultes en vieux français tournicotaient en auréoles au-dessus de ma tête. Les deux gars juchés sur le bolide ridicule sont revenus vers moi gentiment pour dire un excuse-moi monsieur de bon aloi, tandis qu’ils me proposaient le rite de paix que j’acceptai immédiatement et qui consistait en s’en taper 5. Maladroitement, j’ai tapé ma main dans les leurs, en ayant simplement envie de poser ma tête délicatement sur un coussin. Ce fut un traumatisme. Depuis, j’ai peur. J’ai peur et je pense du mal de ceux qui viennent rouler autour de moi. J’avoue qu’une insulte fuse immédiatement entre me dents dès qu’un objet roulant me double ou me croise. Je les hais. Bande de brutes ! Je guette le gadin, toujours prêt à applaudir. J’aimerais tant qu’ils se viandent, et reviennent quémander un peu de douceur depuis leur charpie. Je crois d’ailleurs davantage haïr ceux de ma race. Les bourgeois blancs qui slaloment comme à Courch’ entre les piétons sont bien sûr plus coupables que les autres, car ils devraient avoir reçu de façon congénitale le souvenir de ce que fut la civilisation à son paroxysme, la France du gendarme à Saint Tropez. Et me vient l’envie de m’acheter un sifflet pour faire circuler toute cette engeance…

Je sens ma misanthropie gagner en ampleur chaque jour. Et j’ai peur un jour de jeter un regard noir à un collègue, un voisine et même un ami, que je n’aurais pas reconnu au préalable. Je ne comprends pas que les gens soient si pressés ! Pourquoi toujours distinguer le trajet et le lieu ? Comme si l’être était mis en veille pendant le trajet avant de s’épanouir à nouveau dans la consommation de loisirs ou la position sociale. Alors que je me sens particulièrement exister moi quand je flâne sans devoir fixer mon attention, sans devoir anticiper, calculer, … Quand je marche, j’ai l’intime conviction que tout se crée, que tout s’écrit. Tout ce qui roule sur mon chemin peut donc être qualifié d’empêcheurs d’exister tout simplement. Ils m’ôtent de la vie intérieure, c’est tout de même assez grave. Ce n’est pas parce que l’homme moderne a décidé de se vider d’âme qu’il doit me conduire à le suivre. La vitesse des uns devrait s’arrêter là où j’ai décider de souffler un instant.


Fin de la Nouvelle-France (1689 – 1763)
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