Voyage à Paris
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Voyage à Paris
Voyage à Paris
Deux journées à Paris avec épouse.
Accueil traditionnel aux déchets et cotillons de pollution, fluo-gens partout courant à travers les fumées, asphyxiés ravis, rats sous cloche scientifique, pantins à croquer.
J’ai boité tout le long tel Quasimodo, mutilé de guerre promené à la main, grimé soldat botineur, papi sa mémère. La douleur dans ma cheville s’est réveillée hurlante devant Orsay, heureusement j’avais mes outils, mes drogues ; j’ai fini en chaussette sur le parvis.
Les touristes armés de tickets nous dépassent sans nous voir, nous piétinent avec impatience, voluptés du bon droit. On n’ose plus s’interposer, se plaindre, on reste béats babas, aplatis confits, pacifiques et soumis, sentent-ils qu’on pue la France ? Qu’on n’a rien à faire ici ?
Mon os fait des siennes, je m’accroche comme un sac aux membres de l’épouse. Trente kilomètres quand même malgré le pas chaloupé, un record à se traîner débile dans des décors soviétiques, gigantesques farces en places désertées, pelouses sous travaux archivides, quelques balles au chien abandonnées dans l’herbe… tous partis où ?
Assis en terrasse sur les rives d’une affriolante rue piétonne, j’aurais pu noter tant de choses, faire quelque roman, un tome par heure. C’est fou (pour un diagonaleux du vide) tout ce qui passe, percute, hésite, s’envole, rugit ; c’est le départ en vacances, le gros lot, l’exode permanent. Surtout ils bouffent, avalent, quelle que soit l’heure, derrière des vitrines, attablés au kilomètre, des assiettes sans fond piquées fouillées, présentées sans distinction de fuseau horaire, des chinoiseries grouillantes qui fument, pléthores de beaux bourgeois lustrés en train de s’en mettre, cantines brasseries remplies, cocktails débordant de jeunesses, de lards bouffis, panses effrénées…
Enchaînements de défilés d’épileptiques chacun sa névrose, tenues artistement négligées, réglées codifiées, mille figurants minute, ratatouille de peuple au mètre carré. Affolement des sens pour nos âmes endormies d’empêtrés cambroussards.
J’ai fait mon petit pèlerinage Célinien (Courtial aux jardins du Palais Royal / passage Choiseul envahi de cantines à nouilles, « les jaunes à Cognac »), immeuble des Mots de Sartre et de l’édition des Fleurs du Mal, etc., mais soudaines fatigues et envies de ne plus exister ; une journée suffit beaucoup trop. Je reviendrai dans quelques années, pas avant, le temps d’oublier.
Pires ennuis à Orsay, foules d’idioties, pétassettes partout posantes, dans le fond des meubles, masquant les croûtes, l’horloge énorme ! Derrière le temps navré, quelques trous de Paris, joies des hirondelles. L’instinct d’attendre que ça ferme pour se cacher dans un sarcophage en bois sculpté par Gauguin, ou s’allonger dans quelques toiles, bercé aux coups de pinceau, meules et ports, entre l’eau et soi juste, au creux des pigments à vif.
Dîner savoureux avec Y, rencontre des conjoints et bavardages incessants, concierges possédées ricaneuses. Y spectaculaire de râleries, plaintes très drôles, chemise toujours démente sous mèche rieuse. Son homme plus doux, quasi apaisé, ailleurs fatigué.
J’aime décidément Y comme un double unique, un véritable artiste qui s’aventure loin. Beaucoup moins feignant, tout en colères, magnifiquement meurtri, délicatement abîmé, sculpté aux lames les pires, façade d’église assiégée mais qui tient bon, bourrée de tombeaux vernis polis aux touchers ; on entre on s’allonge tout luit ! Son sacré pieu méchant enfoncé tréfonds, éternel au liquide comme ces pilotis putréfiés vénitiens. Le comique explose. Regrets à se séparer.
Encore quelques rues sales achalandées laides, baraquements ou barricades escaladeuses pour confisquer la vue, installations pharaoniques révolutionnaires pour les ennuyeux « JO » sans doute ? Quelqu’un a décidé de démonter la ville, « pour pièces ».
Façades mutilées par d’immenses affiches publicitaires de luxe. Errances au fond du cercle infernal Samaritaine et ses salles d’opération briquées neuves, vendeurs spationautes et clients sur coussins d’air, champagnes et montres luisantes, un temple ignoble qu’on aimerait fouetter. L’épouse nous perd aux entrailles pour dénicher des pissotières Art Nouveau ; même le papier-fesses y était décoré de merdes imprimées.
On slalome entre les boues et déchets touristiques, groupes et guides à micro, perches à selfie et queues odorantes, l’angoisse foraine en métastases du réel, une rage de dents millénaire qui fait gémir la ville et fuir les cloportes que nous sommes.
Les Invalides déserts mais propres ; des uniformes délugent les trottoirs. Quartier en esquisse d’Ehpad ; où sont les Chinois ?
Retour des préfabriqués de chantier comme des vaisseaux Aliens installés partout, colonisateurs armés de plastique, et cette pluie tiède qui descend tout huiler, revenir aux sucs atroces. Énièmes femmes soignées en noir, manteaux de laine identiques, peu de jambes, sinistre harem sans beautés un jour de lessive. Parfois quelques jeunesses tendres à peaux de lait subsistent, miraculeuses, un livre dans un parc, éclatantes génisses de bonnes familles, légères tourterelles en replis d’ondes, évidentes existences sous serre, contes de fées et avenirs plumés…
Toujours pas d’enfants, bébés rares, poussettes chahutées roues en l’air, enfants terrifiés par le vacarme éructant des machines cyclopes crachantes, leur poison dans toutes les directions en eaux savonneuses pour shampouiner les placettes. Des noirs sous packagings bariolés virtuoses du coup de balai, la virevolte aux papiers de confettis humides, métaux lourds à l’égout comme par magie. Bitumes alanguis sous les roues des néo-pousse-pousse, coquilles contenant un pédalant être étrange, d’un œuf fort lointain, moustachu aux flancs d’Everest, indien en barrique importé dans quelque container de t-shirts, nouvel homme liane aux crampons féroces, génie en disparition de façade.
On s’affole à chercher l’issue dans ce jeu de quilles géant, et toujours cette tour Montparnasse qui nous surveille de loin, affreuse mort en verre aux mille yeux rasants, potence immense pour attirer les trains qui s’écrabouillent sous les tags pires que la rouille.
Notre wagon s’éloigne enfin, escorté d’ombres, fouetté aux rails comme une harpye chassée dégoûtante. Dans la vitre, la doublure jaunâtre des lampes se mélange à nos reflets fatigués, nez amoindris et traits changés, secoués comme des pots de yaourt sur une chaîne d’usine mal réglée. On débarque pétrifiés, genoux hésitants mais vite rassurés par la terre molle bien pourrie, le charme de la tombe où mijotait notre destin silencieux.
Notre campagne nous attendait là tapie, jalouse, inspirée garce dans sa brume laiteuse, prête à ses sempiternels maléfices ; on la retrouve et on oublie.