2,5 milliards d’Africains et moi et moi et moi
Livres Mauvaise Nouvelle https://www.mauvaisenouvelle.fr 600 300 https://www.mauvaisenouvelle.fr/img/logo.png2,5 milliards d’Africains et moi et moi et moi
Il enseigne les études africaines à l’Université de Duke aux Etats-Unis après avoir tenu la rubrique « Afrique » de Libération, puis du Monde. Stephen Smith, accompagné de Jean de la Guérivière, ancien journaliste, vient de publier L’Afrique 2,5 milliards de voisins en 2050, en 100 questions.
Là où la France, pays réputé jeune en Europe, a 18% de sa population âgée de moins de 15 ans, le continent africain affiche quant à lui le pourcentage de 40%. Dans trente ans, selon la prévision médiane des Nations Unis, l’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants. Nos auteurs exposent sans ambages les inconnues d’une équation éminemment sensible : « De deux choses l’une : soit l’Afrique trouve les moyens pour adéquatement nourrir, loger, former et employer tous ses jeunes, et elle pourra engranger un « dividende démographique » ; soit le nombre accru de ses habitants ne cessera de diviser sa richesse per capita déjà toute relative, et les conflits sur le continent risquent fort de s’exacerber. » Le poids de l’Afrique ne sera donc plus le même en 2050, elle abritera plus du quart de l’humanité. Le face-à-face entre une Europe de l’Ouest qui recensera toujours 500 millions d’habitants en 2050 et une Afrique cinq fois plus nombreuse sera-t-il fraternel ou conflictuel ? Les deux auteurs tentent de répondre à cent questions pour éclairer les lecteurs s’interrogeant sur ce fol enjeu.
La question des origines n’a jamais cessé de hanter les hommes. L’Afrique est-elle le berceau de l’humanité ? « L’Afrique est la terre natale de l’Homo Sapiens, l’espèce humaine qui y est apparue il y a 200000 ans et qui est sortie du continent pour se répandre à travers le monde, il y a environ 70000 ans. Cette hypothèse, dite « Out of Africa », l’a emporté sur l’hypothèse rivale dite « polycentriste » - fondée sur l’apparition parallèle de l’Homo Sapiens dans différentes parties du monde – à la fin des années 1980, grâce à de meilleures techniques d’analyse de l’ADN trouvé dans des fossiles […] L’Homo Sapiens s’est d’abord répandu en Asie puis, il y a environ 40000 ans, en Europe où sa diffusion a supplanté les Néandertaliens, par le mélange spécifique ou par la violence. »
Le thème des traites négrières, forcément abordé dans l’ouvrage, est particulièrement brûlant aujourd’hui. En mai 2021, Christiane Taubira, alors députée de la Guyane, a fait voter une loi qui, depuis son adoption, porte son nom. L’article 1 stipule : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien constituent un crime contre l’humanité. » Stephen Smith et Jean de la Guérivière affirment à raison : « Cette loi a suscité bien des objections, parce que le législateur écrivait l’histoire à la place des historiens et que cette version officielle passait sous silence d’autres crimes que ceux des Européens. » En effet, on distingue généralement quatre traites : la traite intérieure, entre Africains ; la traite transsaharienne, la plus meurtrière avec des pertes en vie humaine de l’ordre de 20% ; puis la traite orientale ou arabe ; et enfin la traite transatlantique, celle des Européens. En 2008, le chercheur franco-sénégalais Tidiane N’Diaye a dénoncé la traite arabe comme un « génocide voilé », couvert par le silence et sans « aucune repentance. »
Il est ainsi crucial de s’interroger sur le bien-fondé des lois mémorielles qui relisent -et redisent- le passé, le sanctionnent, au moins moralement, à l’aune des valeurs manichéennes d’aujourd’hui ; il n’est pas moins fondamental d’essayer de recouvrer un peu de raison en Occident, en cessant de se battre la coulpe, et en mettant fin à la repentance et la haine de soi qui sont parfaitement anachroniques et totalement suicidaires.
Qu’a-t-il bien pu se passer à Fachoda pour en faire un « complexe » ? Ce symbole de l’imaginaire colonial tient une place importante au point d’avoir donné son nom à un « complexe » français par rapport aux anglais. Fachoda, rebaptisé Kodok, n’est aujourd’hui qu’un bourg perdu dans la République du Soudan du Sud, au bord du Nil. En 1897, Jean-Baptiste Marchand, capitaine dans l’infanterie de marine, quitte Brazzaville pour accomplir ce que le ministère des colonies appelle la « mission Congo-Nil ». Un Nil le long duquel les Anglais avancent pour étendre leur contrôle de l’Egypte au Soudan. La France cherche à contrer leur projet et à réaliser pour sa part la jonction entre ses possessions dans le Sahel et sa toute récente prise sur le golfe d’Aden, la Côte française des Somalis (l’actuel Djibouti). A la tête de quatorze français et de 150 tirailleurs, Jean-Baptiste Marchand atteint Fachoda en juillet 1898 et y hisse le drapeau français. A Londres, le Premier ministre Salisbury répond par la politique de la canonnière, le Général Kitchener fort de ses 25000 hommes arrive à Fachoda. La colonne française n’est pas de taille, il n’y a pas de lutte armée mais la crise diplomatique est à son comble et les pays sont au bord de la guerre. Finalement, sur ordre du gouvernement de la IIIe République, Marchand quitte Fachoda le 11 décembre 1898 et gagne Djibouti via l’Ethiopie. C’est une humiliation. Le « complexe de Fachoda » ressurgit dans les années 1990 au sujet du Rwanda : « Le soutien apporté par la France au régime du président Habyarimana, face aux rebelles anglophones autour de Paul Kagamé, a d’abord été justifié par rapport au lieu de mémoire sur le Nil, symbole d’une volonté hégémonique anglo-saxonne, pour certains, et d’un complexe d’infériorité français, pour d’autres. »
De multiples autres questions sont abordées dans ce livre qui plaira à tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à ce continent fascinant : Quelles sont aujourd’hui les grandes inégalités en Afrique ? Pourquoi, avec un sous-sol aussi riche, l’Afrique n’est-elle pas sortie de la pauvreté ? Quel rôle jouent encore les croyances traditionnelles ? Quelle est la place des grandes religions monothéistes ? Quel est l’état actuel de l’édition et de la littérature africaines ? Quels sont les intérêts américains, chinois ou bien européens en Afrique ?