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Marc-Edouard Nabe, l’homme qui aurait aimé valoir 3 milliards

Marc-Edouard Nabe, l’homme qui aurait aimé valoir 3 milliards

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À dix-huit ans, j’ai lu « Au régal des vermines ». J’aimais Nabe. J’étais le seul à comprendre ses livres. Je ne l’aime plus – trop vieux pour ce genre haineux, trop pensif pour croire à la véhémence, surtout littéraire -, mais je suis toujours le seul à le comprendre… Comme à reculons. Il était une ordure sans nom. Il se nomme désormais lui-même comme une ordure. Il me fait penser à ses promeneurs du bois de Vincennes avec leur petit sac en plastique noir où git un étron canin : c’est si romantique ce balancement de sac. Depuis Sade, la défécation a ses illustrateurs. Je ne lis plus ses livres depuis longtemps. Je ne lis plus : c’est beaucoup trop accablant, hormis un peu de poésie et des réclames. À un certain moment de sa vie, il faut arrêter de lire pour sortir de l’incantation « culturelle ». Nabe m’amusait. C’était celui qui aurait aimé être l’homme qui valait trois milliards. Il voit plus loin, il court plus vite, il ressort vivant d’un accident. Mais, en plus de tout cela, c’est un écrivain qui est à la fois prisonnier de camp et gardien de camp. Il est devenu son propre mirador. Il s’éclaire, le soir, au projecteur. Il  a perdu ses lunettes. La nuit est de plus en plus effroyable. Il s’est fait prisonnier tout seul et, depuis trente ans, il se garde et se regarde s’empaler en lui-même, semant la panique dans ses propres neurones, pour échapper à cette calamité de n’être rien d’autre qu’un artiste, c’est-à-dire un peu plus qu’un être humain d’aujourd’hui et un peu moins qu’un homme de demain. L’humanité est à millimètre de la sortie de la caverne. Les artistes ont déjà enlevé leurs peaux de bête. Cependant, comme presque tous les livres, ceux de Nabe sont parfaitement inutiles. Hegel avait raison dans sa hiérarchie des arts, plaçant la poésie et la philosophie au-dessus de tout. Tous les écrivains habitent un réduit au fond d’un gourbi en soupente. Ils sentent l’hospice désaffecté et la malle humide. Nabe est le pire de tous, parce que le personnage est désormais drôle. Sa rationalité est presque délirante. Ses haines sont ennuyeuses. Il ne manque pas grand-chose pour qu’il manque de tout. Toutefois, le chemin est trop difficile pour être vraiment ailleurs. Il pourrait presque faire sérieux. Mais sa bedaine en dit long sur son état mental. Sa bouffonnerie réside désormais dans son aspect cul-de-plomb ruminant. C’est un bidon d’essence mais vide. Il joue avec une boite d’allumettes qui a passé la nuit dans un bidet d’eau rance. Il ne peut faire exploser aucun bus. Il n’est pas explosif. Nabe n’a jamais nui à personne. Il n’est pas même blessant : c’est le drame de tous les romanciers. Ils voudraient tant être pris pour des terreurs, mais même les pires insultes sont dérisoires dans sa bouche, car aucune n’a anéanti personne. Être homicide sur un plateau de télévision aurait pu avoir une certaine allure, si André Breton n’avait fait de l’assassinat de rue un effet de manche. On se souvient que « l’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule ». Breton est mort à soixante-dix ans sur un lit d’hôpital parisien. Nabe a déjà sa chambre réservée. Pourtant, l’intuition que la haine, la détestation, la menace et l’insulte sont des cavités à explorer, est  plutôt esthétique.  De tous les livres de Nabe, celui que je préfère est « l’âme de Billie Holiday », car c’est le plus inexpressif. Il ne dit rien sur la fulmination. Il ne dit presque rien sur le jazz. Il cerne une femme sublime. Beaucoup d’autres ont déjà disparu, sans aucune traite sur l’éternité. « Je suis mort » relevait de la prophétie. Les œuvres ne durent pas : elles brûlent des cierges aux limites des paradis d’occasion. Le plus triste, c’est que Nabe pense sûrement qu’il aurait pu obtenir un prix ou être publié en poche. Et, avec tous ses ennemis, personne n’a vraiment songé à l’assassiner. Il pourrait donc se meurtrir avec son prochain livre. Le papier est si tranchant. La littérature reste une martingale un peu vaine. C’est tout de même moins assommant que de croire aux idées politiques, aux réformes des sociétés ou être assis dans une salle, bêtement. Il y a partout des rivières et des merveilleux rivages où la grimace, même la plus vindicative, n’a plus aucun intérêt.


La Métamorphose de Nabe
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A la source de Jean-Edouard Colleter
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Entretien avec Laurent James
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