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Au nom de quoi je n’aurais pas peur ?

Au nom de quoi je n’aurais pas peur ?

Par  

Après avoir relu Gustave Thibon (Entretiens avec Christian Chabanis)

Je cache ma joie. Hors de question que je la montre. Ce n’est ni le jour ni l’heure. Avant l’agonie ce n’est pas l’heure. De quoi parle-t-on ? De la joie du Christ. Je vais me laisser aller ici à un agacement, à une colère très humaine, trop humaine, à la frontière du blasphème, je vais heurter mes coreligionnaires et peut-être donner le goût d’une bonne nouvelle aux autres. Ce qui m’agace ? Aujourd’hui, des Chrétiens ayant tellement peur de paraître tristes, sombres, sérieux, etc. singent en permanence une sorte de louange qui est -à mon sens- leurre. Depuis le N’ayez pas peur de JPII jusqu’aux événements de foule que sont les JMJ, pour être catho, il faudrait être joyeux. Il y a une sorte d’injonction à se réjouir avant l’heure et donc d’une façon qui me semble factice. Il faudrait sans doute que j’arrête de me complaire en littérature pour communier à cet effet de masse, que j’arrête de triturer ma plaie, de bronzer sous le soleil de Satan, de chérir la femme pauvre en soulier de satin…

Nous sommes condamnés à nous tromper dans l’outrance 

On ne peut pas « faire Eglise » (comme on dit) si on est rabat-joie. Avoir peur de la mort serait la marque d’un manque de foi ! Moi je revendique ma peur de la mort et surtout mon désaccord avec le Créateur à ce sujet. Je ne le provoque pas en duel comme le fait Renaud Manne (héros de l’Impasse du salut), en revanche, je lui dis mon désaccord et ça aussi, c’est une prière. A défaut d’être louable, elle est sincère, totalement incarnée. C’est dans le refus premier et obstiné de la mort que je me sens vrai. Ma prière actuelle : je me prononce pour un moratoire sur la mort ! Et la vieillesse ne me rend pas plus serein malheureusement. Gustave Thibon lui-même de confier en entretien : « Le mourant n’est pas mûr pour la mort. » De moins en moins… sinon l’agonie n’aurait aucun sens. Thibon me rassure tellement dans mon inconfort que je pourrais finir par le revendiquer et en faire un papier : « Nous mourons tous avant terme, c’est-à-dire avant d’être mûrs pour l’éternité. »

Certains ne comprennent pas la dimension chrétienne de mon roman L’Impasse du salut. Beaucoup ont été également effrayés par Mauvaise Nouvelle, sans avoir pris soin de regarder le manifeste de la fameuse anti-ligne éditoriale… Certains catholiques d’aujourd’hui, s’ils n’ont plus peur de la mort, ont en revanche peur de mal penser en permanence. Ils s’épuisent en ateliers divers et variés pour savoir quoi penser sur tout dans un culte parfois ridicule de la juste mesure. Ce qui me semble contraire à l’incarnation. La pensée est faite pour s’abîmer en notre chaire, nous sommes condamnés à nous tromper dans l’outrance si on veut rester honnête, cultiver la juste mesure nous désincarne immédiatement.

Revenons donc sur le manifeste qui nous fit appeler ce webzine anodin à l’ambition démesurée : Mauvaise Nouvelle. Il y a une mauvaise nouvelle : nous allons mourir et il est crucial de le rappeler, de reverticaliser la personne humaine, de la mettre bien droite, les deux pieds dans sa faille métaphysique avant de lui annoncer la bonne nouvelle. Christ est ressuscité. Le mal, la mort sont vaincus, une fois pour toute, c’est-à-dire de toute éternité. Nous qui vivons dans le temps, nous avons la « chance » d’être configurés au Christ et de vivre ce qu’il a déjà vécu dans l’agonie, pour participer à son sacrifice, comme à la messe, sans que cela soit nécessaire puisqu’il l’a fait. On peut parvenir à y adhérer intellectuellement, goûter une certaine joie d’y adhérer. Mais le vivre dans notre chair est impossible. Ne pas trouver ça scandaleux, impossible.

L’accélération continue est le propre des chutes plus que des ascensions.

Avant de vivre une bonne mort, se pose la question de vivre une vie honnête, en vérité. Et comme dirait Céline, la vérité est une agonie qui n’en finit pas. Donc bienvenue dans l’univers des nervous breakdown ! Nos combats spirituels sont souvent d’une pauvreté affligeante et on ne parvient tout de même pas à accorder notre chair à notre âme. Notre esprit se perd en raisonnements et en production de concepts, tandis que la tentation s’installe durablement. « L’homme boitera toujours par le sexe, et pourtant il est au milieu. » (Chesterton) La bonne nouvelle annoncée s’avère ambiguë, nous le voyons, plus on côtoie le Christ, plus il est exigeant, plus le mal attaque… On se met dans l’embarras. « Le Christ n’a pas tué le pêché, il lui a ravi l’innocence. » (Entretiens - p 162) Nous savons et la souffrance issue de ce savoir commence à nous purifier dès maintenant. Le purgatoire commence avec le premier pêché. Thibon tente de nous rassurer à sa manière : « L’accélération continue est le propre des chutes plus que des ascensions. » Felix culpa ? On va s’y rattacher pour espérer envers et contre tous.

Ne nous juge pas selon nos mérites

La solution serait peut-être dans la radicalité. Peut-on provoquer le sacrifice sans provoquer Dieu ? A ceux qui, enivrés par les propositions chrétiennes, se jetteraient avec zèle dans les bras de la communion aux souffrances et à la mort du Christ, aux impatients voulant précipiter l’agonie et mériter le coup de grâce, Simone Weil répond : « La souffrance choisie est toujours de la fausse souffrance. La vraie souffrance est celle qui vous tombe dessus malgré vous. » Nous en sommes là. Donc on repassera pour la louange. Je ne suis pas l’homme de la situation. Il y a quelque chose de plus vrai dans L’Impasse du salut, qui me correspond mieux et qui fait ressembler toute la vie à une agonie. Puisque « L’incertitude est la condition et le climat de la foi. » (ibid p 29), restons inadaptés, revendiquons de ne pas bien vivre les choses, d’avoir peur de la mort, de ne pas parvenir à nous convertir réellement. La seule prière qui provoque en moi réjouissance est celle dite à chaque messe : ne nous juge pas selon nos mérites.

Terminons une nouvelle fois par Thibon au seuil de sa vie : « Dieu a d’abord été pour moi puissance et loi ; puis lumière et amour ; enfin absence et nuit : et c’est peut-être en cela qu’il ressemble le plus à Lui-même. » (ibid p 178) « A la mort le masque tombera du visage de l’homme, et le voile du visage de Dieu. » (ibid p 173)


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