Bella Italia, l’itinéraire amoureux de Christiane Rancé
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Si tu étais un pays… A cette amorce de portrait chinois, Christiane Rancé répond aussitôt : l’Italie. L’auteur manifeste un désir de contamination par la patrie de la beauté : « Si seulement elle laissait son empreinte sur tout mon être ! » et nous souhaitons à sa suite être contaminés par le livre qui la raconte. Avec Bella Italia, elle nous offre bien plus qu’un essai amoureux sur un pays, mais une plongée au cœur même de la civilisation. Christiane décide d’amorcer son récit de voyage en France, par Toulouse, en avant-goût. Dans la ville rose, elle débusque des traces d’Italie, révèle ce qui fait l’Italie hors d’elle-même : les multiples places, la dolce vita, son éloignement du reste du pays, ses joyaux, ses tours d’hôtels particuliers qui dépassent les toits à la vénitienne… de quoi être mis en appétit et partir sur les pas du condottière de Gênes à la Sicile. Le voyage se fera dans plusieurs dimensions à la fois. Il s’agit de « Traverser non pas des lieux mais des siècles ». L’histoire de l’Italie est intimement liée à la géographie, comme son peuple. C’est comme si la terre fut révélée, ou plus précisément inventée par les artistes, pour reprendre l’expression employée par ceux qui découvrent des reliques, et bien cette terre d’Italie nous est ici, dans Bella Italia, réinventée par Christiane Rancé. Réinventée, réenchantée aussi, cela tombe bien puisque l’opéra est italien.
Ce n’est pas le régalien qui engendre la civilisation. « Le sentiment de terroir reste d’autant plus fort que l’Etat est faible. » C’est le génie d’un peuple qui ne sait pas faire autrement que tourner son regard vers le beau. « La beauté est le principe fondateur de l’Italie. » Bien plus que la guerre, car même si les italiens se sont fait la guerre, on admire d’abord le raffinement des architectures militaires. Voilà donc la terre de la civilisation par excellence. Mais ce n’est pas tout. Ce qui distingue le peuple d’Italie des autres : sa foi contagieuse en l’éternité. « N’est-ce pas grâce au Vatican si l’Italie est restée le centre du monde pour des millions d’hommes et de femmes ? » Ce paradis terrestre fut terre des dieux, elle est depuis deux millénaires terre de Dieu.
Pour raconter l’Italie, il faut du récit, des digressions historiques et artistiques, des citations d’auteurs, et des aphorismes poétiques comme cerise sur ce gâteau. Il y a tout ça dans Bella Italia. Christiane Rancé connaît sa chance, elle n’est jamais blasée. Elle cherche à cultiver sa première impression, elle cherche à la vérifier, c’est-à-dire à la ressusciter pour nous l’offrir sous forme de cartes postales littéraires, avec son morceau d’histoire, de mythes, d’anecdotes. Ce livre pourrait tout aussi bien vous servir de guide touristique ! Pour vous donner le goût de vacances intelligentes… Et si ce n’était que ça, pourquoi pas ! Ce serait le guide de comment il faudrait aller à la rencontre d’un pays à travers l’histoire, les arts et la littérature. Mais ici, le récit est déjà voyage. Christiane Rancé nous invite en quelques sorte à une conversion du regard en choisissant de regarder le beau en Italie comme ailleurs, même si la beauté ne se trouve qu’en parcelles, malgré la laideur techno-urbaine qui s’infiltre partout. C’est ainsi que le voyage devient pèlerinage vers le beau.
Allez voyageons rapidement, comme en survol… On commence par Gênes, cet amphithéâtre magistral, où Christiane Rancé, flânant dans de minuscules jardins de trois cloîtres de l’église santa Maria di Castello, renoue avec un sentiment d’innocence joyeuse. Dans les Cinque Terre, on découvre la joie de se perdre sans effort, et l’on croise Maupassant, Byron, Suarès, Rimbaud… Plus tard, notre auteur découvre Turin, blonde, aérée, ample et théâtrale. Agnelli incarne ici le miracle italien fait homme. Et puis bien sûr, Turin est l’écrin du Saint-Suaire, la possibilité d’entrer en proximité avec l’énigme du visage et du corps supplicié de homme-Dieu. Milan est la ville où l’art et le design se mêlent et se confondent. Il parait que l’on en revient augmenté…
Et si nous quittions les métropoles gigantesques pour les grands lacs, les connus et les moins connus… Là, c’est une myriade d’auteurs et d’artistes que nous croisons, toute l’Europe des arts et des lettres s’est donnée rendez-vous ici : Virgile, Horace, Flaubert, Liszt, Puccini, Bellini, Shelley, Byron, Stendhal, Kafka, Goethe, Nietzsche, Klimt, Thomas Mann, André Gide, Maurice Barrès et … Napoléon. Pourquoi pas nous dans ce lieu dévolu à rien d’autre qu’à la beauté, à la contemplation, au farniente ?
Avant Venise, nous passons par la merveilleuse et grave Véronne, là où l’amour tient le premier rôle, pour sentir les opéras flotter et y croiser l’ombre de la Callas. A venir, notre auteur sort rapidement de son émerveillement pour s’énerver contre les touristes à valises à roulettes, mais rapidement tombe en contemplation devant la ville-opéra, symbole des noces harmonieuses de l’Orient et de l’Occident. On y reste un moment avec Cocteau et Thomas Mann, on n’oublie aucune de ses îles. Christiane Rancé récapitule pour nous : « La sérénissime est faite de trois éléments, l’eau, la lumière et la musique. »
Le morceau de voyage qui vient s’annonce dense, nous allons y traîner quelques pages durant, puisqu’il s’agit de la Toscane, Florence, Sienne… L’esprit du génie des lieux y rode sans cesse, Michel-Ange. Christiane Rancé s’étonne devant Pise et son ensemble baptistère-duomo-campanile comme des bibelots gigantesques. A Florence, elle cite Goethe : « Tout y est beau (…) tout y est doux. (…) Tout y est suave. » et se prend un bain de Quattrocento, cette révolution artistique qui fera que plus rien ne sera plus comme avant dans l’art occidental après. Et nous ne quittons pas la ville sans évoquer l’inventeur de la langue italienne car « Florence est la ville de Dante. Et Dante est le cœur de Florence. » A Sienne, ville de sang et d’ombre, Christiane Rancé après avoir laborieusement abandonné sa voiture, tentera de mettre ses pas dans ceux de Catherine de Sienne.
Il est maintenant temps de cheminer vers Rome, et pour ce faire, Christiane Rancé décide de le faire à rebours pour y revenir. Il s’agit d’abord pour elle de partir de Rome vers Assise, aller « de la ville universelle à l’Univers dans une ville. » Il n’y a que la marche pour véritablement comprendre pourquoi l’Ombrie a donné tant de mystiques, pourquoi elle est terre des saints, des poètes et des artistes. Le retour à Rome est un retour aussi dans son propre passé, puisque la ville fut le lieu de son premier reportage comme journaliste. On croise rapidement Raphaël, Mendelssohn, Henry James et à force de flâner en ville, on se retrouve d’un coup propulsé sans s’y attendre dans un film de Fellini. On quitte la ville éternelle par cette synthèse : « Cette harmonie née du mariage hasardeux des siècles et de leurs vestiges, du concubinage involontaire des façades austères et des palais monumentaux, de son église, de la rigueur et des volutes. »
Nous reste à découvrir le sud de la péninsule. Nous avançons et tandis que le paysage tremble sous la chaleur, Naples s’offre, dévoilant derrière sa propre caricature un coffre aux trésors d’architecture. Ils sont fous ces napolitains d’avoir privilégié la splendeur à l’utile, le superflu à l’économie. « A Naples, l’homme est indissociable de la pierre, l’art de l’histoire, le rire des larmes. » Un petit saut et nous quittons la botte pour cette Amérique de l’Antiquité, la Sicile. Là, l’âme y a été forgée par trois volcans. Voilà une terre de paradoxes. La dévotion et la vendetta, le fatalisme et l’orgueil, les dialogues avec la mort et le sens de l’honneur. Nous y croisons Maupassant et Roussel et nous comprenons cette terre comme l’éternelle promesse d’un retour pour la diaspora.
Difficile de quitter l’Italie, difficile de refermer le livre. Il faudra y revenir. Il faudra y partir avec le livre en main.
Bella Italia, un itinéraire amoureux, récit de Christiane Rancé, éditions Tallandier, 336 pages, 21,50 €