Découvrez la collection Mauvaise Nouvelle, aux Éditions Nouvelle Marge.


Aurora Cornu, l’accoucheuse de Cormary

Aurora Cornu, l’accoucheuse de Cormary

Par  

Article publié une première fois dans Le Bien Commun (Journaux Archive - Le bien commun)

 

Qui est cette Aurora Cornu ? C’est d’abord « la femme que vous aimeriez aimer », autant dire que Pierre Cormary va cristalliser. Et il a raison puisque c’est bien le seul moyen que l’on a de s’extirper de la fadeur du monde et de retrouver les élans de l’adolescence, le seul moyen que l’on a d’être digne du héros de son enfance. Aurora Cornu, née Stéphanie Chitu, écrivain, poétesse cinéaste et … actrice, actrice de Rohmer, héroïne du Genou de Claire aux côtés de Jean-Claude Brialy. Et sujet du premier livre de Pierre Cormary. Celle qui ne se définissait pas comme mère mais comme sage-femme va faire accoucher l’écrivain. On le savait tous que Cormary était un écrivain, on attendait son livre avec impatience et certitude, on était certain que ce serait un livre sur sa mère et ce fut un livre sur la sage-femme qui l’a accouché, Aurora Cornu.

Cormary se fait son film

Cormary est né avec les blogs, un produit littéraire du web 2.0. Quand on est un geek littéraire nié par les rentiers de la littérature, on est bien obligé d’être dans le story telling pour exister dans la marge. Mais cette fois, il s’est carrément fait son film et il a bien fait. Il est tombé amoureux d’Aurora dans le Genou de Claire, cette bonne amie de Jean-Claude Brialy qu’elle manipule en le jetant dans différents bras au bord du lac d’Annecy. Un peu comme dans La rose pourpre du Caire, Cormary veut s’inviter dans le film, et ce sera finalement le film qui enveloppera toute sa vie. Cormary se fait enquêteur, il veut tout savoir sur l’actrice et en fera un papier sur son blog. Aurora fut d’abord la voix off de Cormary. Et le désir de se relier à cet invisible-là l’étreint. « Mais elle, où est-elle ? Est-elle-même encore vivante ? » Il va user de toutes les ficelles possibles et c’est finalement celle de l’ambassade de Roumanie qui marche. Et c’est à Orsay où il est gardien de musée derrière la statue de Rodin que Cormary entend pour la première fois la voix d’Aurora dans son téléphone. Ils vont se voir, cela va donc se faire. Il n’en revient pas, il ne s’agit plus d’écrire, il va falloir vivre, c’est une autre paire de manches, le chroniqueur en série n’a pas cette habitude. « Mon Dieu, ne me fais pas bafouiller, écris-moi un beau dialogue, fais-nous un beau film. »
Cormary entre dans son histoire d’abord en restant spectateur de lui-même, diariste de ce qui lui arrive. Pierre doute en permanence, il sait son indignité totale et c’est ce qui le distingue de la tourbe des semblables restés dupes d’eux-mêmes. Les premières rencontres, les premiers échanges sont terres d’élection mais Cormary semble guetter la chute, la peau de banane, trop beau pour être vrai… « Cette manie de me faire de mauvais films même après le bon ! » Médusé, comme au balcon de lui-même, il donne la réplique à son héroïne tout en cultivant le sentiment d’être une erreur de casting. Il s’avoue : « Je n’ai jamais été que le touriste de notre histoire. Le spectateur passif. Le fan pas au niveau. » et pourtant, nous allons assister à l’entrée de Cormary dans l’histoire, dans son livre, comme si la caméra faisait d’un coup la netteté sur son visage et que lui acceptait de jouer sa propre vie enfin. Et c’est parce qu’il accepte la vie qui s’offre à lui que son visage est désormais net.

Cormary fait sa cour

Cormary va faire le damoiseau de compagnie pendant cinq ans. Et Aurora n’en reviendra pas d’avoir son premier fan 42 ans après Le genou de Claire. Dès lors, une véritable relation amoureuse s’établit, et la plus belle qui soit puisqu’elle se fait dans la chasteté. « Un cœur romantique a tendance à exagérer son destin. » et c’est heureux, cela fait des livres, les cœurs gros. Le fan et l’icône vont camper dans ce temps d’élection d’avant la rencontre des corps, ce temps où tout le reste devient méprisable. « C’est fou comme tout dans la vie peut se vivre sur le mode de l’effroi ou du sacré. » Les deux se rejoignent pour s’élire, se faire la courte échelle, se consoler, pour porter la vie à son paroxysme malgré leurs propres médiocrités, malgré les médiocrités du monde. Nous suivons cette montée fusionnelle pendant les cinq ans de rendez-vous amoureux d’abord au restau puis chez Aurora. Et nous les envions. On devient tous amoureux d’Aurora, de l’inaccessible toujours là. « Le seul amour est celui que les autres n’ont pas connu. » Aurora est vieille, ils vivent leur amour dans l’urgence, c’est-à-dire en savourant chaque minute. « Tout ce que nous vivons est de l’ordre de la première et de la dernière fois. » Cormary a l’idée depuis le début d’écrire son livre, ce fut même le prétexte à la rencontre. Non pour thésauriser mais pour rendre grâce. Il pense qu’après cette histoire, il pourra mourir. Non, il écrira et c’est la même chose.

Cormary se fait son livre

Cormary témoigne de sa naissance comme écrivain et se plaint : « A chaque phrase, sa fausse-couche. » … Et Aurora l’a fait définitivement naître. Il lui fallait donc avoir vécu pour écrire vraiment. « La vie qui va plus vite que l’écriture. » L’histoire du fan et de l’icône ressemble à une pièce de théâtre, chaque dialogue de restaurant est à jouer et rejouer. Cormary est obsessionnel, c’est l’homme du retour, du replay. C’est le dialogue qui permet à la relation d’être vraie. Les longs dialogues se suivent comme dans un film de Rohmer. On s’exprime pour l’autre, on ne lui répond qu’après qu’il ait fini, on écoute l’autre dans le silence et on traduit du silence ce qu’on a à lui dire. Il y a un continuum qui s’établit avec les longues discussions du genou de Claire entre Brialy et Aurora. Pour Cormary, la morale de ce film préfigure son rôle d’écrivain : « L’échec du démiurge à changer le destin ». Dès lors, il ne sera que conteur de lui-même. Il passera au roman comme on passe à confesse sur un divan, préfigurant l’apéro. Le dernier film de Rohmer a donc été écrit, il ne reste plus qu’à le tourner.


« Je te pardonne d’avance les libertés et fantaisies inhérentes à une œuvre de fiction. » Aurora lui donne le blanc-seing. Elle le sait, on ne retient jamais un écrivain ! Elle aime trop la littérature pour empêcher un écrivain de naître. C’est ainsi que Cormary devint le dernier du clan Cornu, le rapporteur, l’écrivain. Ce sont sans doute les livres qui sont actes de naissance des écrivains qui sont les meilleurs, Aurora Cornu est de ceux-là.

Aurora Cornu, Pierre Cormary, Ed Unicité, 392 pages, 22€


La théocosmogonie de Malcolm de Chazal
La théocosmogonie de Malcolm de Chazal
La littérature, Israël et la France
La littérature, Israël et la France
Comment sculpter une prière pour tous ?
Comment sculpter une prière pour tous ?

Commentaires


Pseudo :
Mail :
Commentaire :