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Avec Mort au peuple, Obregon prend le pouls de notre époque

Avec Mort au peuple, Obregon prend le pouls de notre époque

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Propos recueillis par Maximilien Friche

Marc Obregon évoque son dernier roman, Mort au peuple. Islamisme, complotisme, obscurantisme technique et mirages de la Démocratie Planétaire : Mort au Peuple prend le pouls de notre époque. Il bat encore. Mais pour combien de temps ?


MN : Avec Mort au peuple, vous nous faites plonger dans la tête d’un complotiste, avez-vous vous-même éprouvé, ou éprouvez-vous les vertiges du complotisme ?

Marc Obregon : D’un point de vue romanesque, je trouve étonnant que ce thème ne soit pas embrassé davantage par la fiction. Le complotisme est une notion très floue qu’on emploie à tort et à travers, en particulier chez les donneurs de leçons qui ont trouvé là un moyen de remplacer les sacro-saints « antisémite » ou « fasciste ». En réalité, ce terme – comme tous les nouveaux concepts et mots-valises qui composent le vocabulaire de l’idéologie dominante – devrait être utilisé avec beaucoup de précautions. On devrait, par exemple, le différencier de « conspirationniste », qui à mon sens porte un sens davantage politique. Le complotisme, selon moi, relève d’un doute moral, métaphysique, qui est au cœur de la fonction de la pensée. Vouloir le désigner comme une faute, c’est déjà bannir la nuance et la capacité de mettre en doute la réalité. Bien sûr, ce qu’on peut critiquer, dans le complotisme moderne, c’est la façon dont il remplace le religieux, le bien commun – voire le « doute commun » - par une sorte de contre-mythologie personnelle qu’on va pimper ici et là avec ces concepts glanés au hasard sur le net. Mais ce complotisme-là n’est qu’un des multiples reflets de l’Ego tout puissant qui est devenu l’alpha et l’oméga de l’Occident. Doit-on traiter Socrate de complotiste à cause de son injonction à douter du réel ? ou Descartes ? Le réel étant un consensus cognitif, il est naturel de l’interroger. Comme il est naturel d’éprouver un plaisir esthétique au vertige du faux, à fortiori dans un monde qui a systématisé l’anesthésie.


MN : Le regard de votre héros permet de révéler bien des travers de notre société moderne qui se joue de l’être, cela représente un peu la part pamphlétaire de votre roman. Un roman est-il meilleur instrument que l’essai pour dénoncer la supercherie du monde moderne ?

MO : J’ai d’abord été séduit par l’essai et par le pamphlet. Avant de me rendre compte que tous les essais aujourd’hui se ressemblent. Je ne mets pas en cause la qualité de la pensée et de la réflexion de leurs auteurs, mais malheureusement nous sommes arrivés à un stade où presque tout a dit et prophétisé par les grands philosophes, de Platon à Baudrillard. En revanche, la fiction, parce qu’elle recèle une infinité de possibilités et d’articulations, un peu comme l’harmonie, peut encore dire des choses nouvelles, inédites – et souvent sans que leurs auteurs en aient conscience. Des écrivains comme Borges, Philip K. Dick, des cinéastes comme David Lynch ou Stanley Kubrick ont réussi à transformer leurs arts respectifs en arts divinatoires, en moyens de transmettre un appareil initiatique. C’est grâce à la fiction, qui redouble l’expérience du réel en se cachant derrière la facticité de ses situations, de ses personnages. Le roman, à mon sens, constitue un terrain d’expérimentation idéal et presque infini, là où un essai s’arrête tragiquement aux idées qu’il porte. Une fiction ne porte pas d’idées, ne transmet aucun message ; elle les incarne.


MN : Ne pensez-vous pas que tout est fait pour nous rendre fou dans ce monde ? Ne sommes-nous pas tous condamné au complotisme si on refuse toute collaboration à la course du monde ? Y-at-il d’autres issues possibles ?

MO : Je me méfie du discours décliniste qui fait fureur à droite. Je suis un conservateur, peut-être, mais je garde un espoir indécrottable dans les capacités humaines. C’est la première vertu du chrétien : l’espoir. Oui, le monde technico-scientifique transforme peu à peu notre expérience du réel en une simulation globale qui fait froid dans le dos. On peut appeler cette simulation la post-histoire, mais ce serait un peu trop facile. Ce serait vouloir un peu trop vite nous priver de notre volonté, de notre pouvoir premier qui est justement d’influer sur le cours du réel. Et ce pouvoir d’influence, c’est d‘abord l’enfantement, qui est une transmutation magique à laquelle nous avons tous accès et qui peut profondément modifier le cours du monde. Transmettre et chérir le fruit de son amour, c’est la seule mission qui peut nous éloigner de cette collaboration dont vous parlez. Il n’est d’ailleurs pas innocent de voir qu’aujourd’hui l’enfantement est si décrié, y compris par des gens ou des groupuscules qui pensent – peut-être sincèrement, et c’est encore pire – que faire un enfant peut nuire à l’écologie, à la Terre… ces gens-là vivent dans une sorte de paganisme régressif, totalement adolescent, sans se rendre compte que si le cosmos existe, c’est parce qu’on a doté l’homme d’un cerveau et d’yeux pour le rendre présent. C’est l’homme qui construit le cosmos à chaque instant en ouvrant les yeux dessus. Chaque clignement de paupière est un big bang. Sans l’homme, il n’y qu’un chaos pulvérulent, un monde chtonien sans intérêt – et encore, je suis gentil. Ce monde sans intérêt, c’est le monde liquide entrevu par les shamans, ou cauchemardé par Lovecraft – cet athée qui ne s’est jamais remis de son athéisme et qui le portait comme une tumeur au cerveau, voire la terrifiante nouvelle From Beyond qui montre à quoi peut ressembler un monde sans transcendance. C’est-à-dire sans cette idée sublime de l’Homme que Dieu a porté en lui.


MN : Vous avez fait le choix de l’islamisme comme solution au regard des causalités du désastre établies par le complotisme. Pourquoi ce choix ? Y avait-il d’autres choix possible dans votre roman ?

MO : J’ai été témoin des premiers soubresauts de la complosphère et de l’auto-proclamée « dissidence ». Elle s’est épanouie parallèlement, je dirai, à cet islam politique qui fait florès dans nos cités, et les deux courants ont toujours volontiers dialogué – voire la fameuse « réconciliation » soralienne. C’est très intéressant, parce qu’ici on voit deux types de population qui n’ont rien à voir ensemble – en gros, la France populaire blanche et la France des cités déracinée qui se rapprochent autour d’une dissidence fantasmée, et autour de cette contre-mythologie que j’évoquais plus haut. C’est à ce titre que l’islam moderne m’est apparu, non comme une religion, mais comme une sorte d’appareil critique dévoyé, qui agrège tout un tas de fantasmes et qui est massivement soutenu par des gens authentiquement malsains. Une étrange intersectionnalité qui correspond aussi à un besoin naturel de revenir vers la foi, sauf que ce retour ici se fait de la mauvaise manière – je mets d’ailleurs dans le même sac certains jeunes qui se disent chrétiens uniquement par réaction. La foi n’est pas une réaction, c’est un état de nature. Un petit tour sur l’islamosphère vous convaincra de la chose : sur Tik Tok, des influenceurs musulmans planqués au Canada instrumentalisent les jeunes français en leur faisant croire, par exemple, qu’un démon s’incarne en vous si vous pleurez en public ou qu’écouter de la musique vous plonge en enfer. Ce retour de l’obscurantisme, comme un retour de bâton de l’impensé colonial qui vient frapper nos cités, est tout à fait passionnant et c’est ce que j’ai voulu raconter dans Mort au Peuple.


MN : J’aimerais maintenant évoquer le travail de langue. Dans votre roman, la narration est émaillée d’une forme de poésie et d’un style pamphlétaire qui provoque une vraie jouissance chez le lecteur. Vous êtes par ailleurs journaliste. Pour quel type d’écrits êtes-vous réellement fait : essais, articles, roman, poésie… Quelle est votre quête à travers l’écrit ?

MO : L’art suprême, c’est la poésie, parce qu’il dérive directement de la musique. Malheureusement, la poésie est devenue illisible. Notre modernité n’a plus les moyens de la comprendre et de la produire. Voyez les « poètes » qui trouvent grâce aux yeux des éditeurs, comme Cécile Coulon et sa poésie RATP… Artaud a tué la poésie, le surréalisme a tué la poésie, et c’est peut-être très bien ainsi. Elle devait mourir pour accoucher de la modernité. J’essaie de retrouver, lorsque j’écris un roman, ce flux musical, quasi automatique, qui ne vient pas de la raison mais du corps… malheureusement, ça peut nuire à la compréhension. C’est pourquoi la science-fiction est pour moi un terrain idéal, parce qu’elle est expérimentale par essence, au croisement du poétique et du politique. La SF qui m’a inspiré n’est pas tant un exercice de prospective qu’un atelier surréaliste, sur le mode du « et si ? ». D’ailleurs, tous les grands romans, y compris de « littérature blanche » sont à mes yeux des romans de SF. Lorsque vous lisez Ulysse de Joyce, vous êtes littéralement catapulté dans un monde clos, régi par ses propres lois cosmiques. Ce qui devrait être le cas de toute littérature.


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