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Correspondances catholiques

Correspondances catholiques

Par  

Henri Quantin, professeur de lettres classiques, s’appuyant sur le travail de Michel Bressolette (décédé en 2008) qui avait réuni et commenté les lettres entre Maritain et Mauriac et entre Maritain et Claudel, a publié en octobre 2018 un ouvrage intitulé Correspondance, un catholique n’a pas d’alliés, enrichi d’autres lettres échangées par Maritain et Bernanos. Autant dire que ce livre est un trésor d’intelligence et une source utile pour comprendre une période de l’histoire émaillée par le surréalisme dans l’art, l’influence de l’Action Française, sa condamnation vaticane en 1926, la guerre d’Espagne, la montée de l’antisémitisme, la seconde guerre mondiale. Tous ces grands écrivains ou philosophes catholiques furent des témoins et des acteurs par l’écrit de ces événements. Quantin met en scène leurs échanges épistolaires qui restituent toute la richesse « de cet envers de l’histoire littéraire » : « Pas d’échanges entre alliés dans ces lettres et c’est heureux. Des éloges et des reproches, des aveux émus et des cris d’indignation, des questions délicates et des informations confidentielles, des espoirs trahis et des colères injustes, mais pas d’élaboration de stratégies consensuelles au service d’une ligne officielle face à un ennemi commun. Ni alliance de circonstance avec une idée derrière la tête, ni uniformité partisane. » Il faut bien sûr ne pas omettre la place unique tenue par Raïssa Maritain, femme du philosophe thomiste, qui sut être « à l’écoute du son des âmes », dans cette maison de Meudon (pourvue de sa petite chapelle) dont le couple fit le lieu intellectuel et spirituel le plus fécond de l’époque. L’étude de Bergson, la rencontre avec leur maître Léon Bloy, la conversion au catholicisme, la découverte de Saint Thomas d’Aquin furent déterminants pour Jacques et Raïssa. Par leur bouillonnement intellectuel et leur fréquentation de nombreux écrivains, poètes, jeunes prêtres, philosophes et artistes que comptait l’époque, les Maritain furent incontournables : enseignement à l’Institut Catholique de Paris et aux Etats-Unis, direction de collections dans des maisons d’édition et de revues, rôle d’ambassadeur à Rome près le Saint-Siège… « Ils eurent la volonté d’unifier, de travailler à réensemencer l’Evangile dans la culture et dans toutes les formes de l’art et à faire descendre la culture chrétienne dans la rue. C’est le dessein d’un humanisme intégral, non pas seulement sur le plan social ou politique» affirmait Michel Bressolette. « Chez eux, disait Mauriac, la connaissance tourne à l’amour, l’ordre de l’esprit rejoint l’ordre de la charité, voilà le secret de tout ; car qui dit fidélité, dit charité. » Pour les personnes qu’ils rencontrèrent, ils sont cet homme et cette femme dont le regard et la voix apportent une promesse : la présence visible de la Miséricorde.

Considérations et aphorismes entre Mauriac et Maritain

Mauriac sur l’Eglise : « La puissance de l’Eglise tient précisément à ceci qu’elle oppose aux catastrophes de l’histoire, non des attitudes sentimentales et spectaculaires, non des gestes passionnés et improvisés, mais la façade immuable d’une puissance spirituelle. » Maritain qui partageait la superbe vue de sa femme pour qui le Paradis auquel ils croyaient se bâtissait dès ici-bas, observe ses contemporains avec lucidité et sans acrimonie : « Pour qu’une inspiration évangélique passe dans le temporel, dans la politique même du pays, il faudrait que quelque chose ait bougé d’abord dans les profondeurs du peuple. Y-a-t-il dans plus d’âmes qu’on ne croit une aspiration refoulée ? Ce remuement dans les profondeurs se produira-t-il un jour ? Pour le moment il n’en est pas question. Et (à part ces initiatives héroïques d’un tout petit nombre qui ont toujours été le privilège de la France) la vie morale de ce peuple paraît pourrir avec une ferme résolution, quoique sans joie. » Sur le mal et l’amour, deux faces mêlées, François Mauriac enseigne : « Certes, le mal n’est jamais le bien au sens de Gide, mais le mal, lorsqu’il est ressenti comme péché, creuse dans nos pauvres vies les canaux par où pénètre cet Amour dont nous n’aurons eu que le pressentiment, nous qui ne sommes pas des saints. »

Maritain sur l’amitié profonde : « Cette merveille des amitiés que Dieu suscite et des pures fidélités qu’il inspire, et qui sont comme un miroir de la gratuité et de la générosité de son amour. » Mauriac, dans les Grandes amitiés, décrit ainsi la relation privilégiée qu’il eut avec le couple Maritain : « Les divers mouvements de la nature et de la grâce ne font pas beaucoup de remous, et parfois la vase monte. Une pauvre histoire humaine, la plus belle des histoires, celle qui nous rassure, quoi qu’il doive arriver ; celle qui nous rappelle à chaque page que nous ne sommes pas restés orphelins et que, selon la dernière parole que le grand Bernanos met dans la bouche de son curé de campagne : "Tout est grâce" ».

Considérations et aphorismes entre Claudel et Maritain

Claudel a une certitude ontologique qu’il définit ainsi : « Qui ne croit plus en Dieu, il ne croit plus en l’Etre et qui hait l’Etre, il hait sa propre existence. Seigneur, je vous ai trouvé. » Claudel et Maritain se rejoignent dans « la dénonciation de l’individualisme, du règne d’une raison sèche et obstinée et l’émergence d’une intelligence antimétaphysique empirique et raisonneuse. » Leurs divergences aussi sont présentes dans certains courriers : Maritain attaché à la chrétienté médiévale, « sans méconnaître la grandeur de l’art et de tout le mouvement concret de la Renaissance » que loue Paul Claudel, insiste sur le fait que « l’esprit, la pointe intellectuelle et spirituelle de la Renaissance, bien qu’il fût bon de rassembler toute cette beauté, a trop oublié la croix. » La question de l’anthropocentrisme de la Renaissance faisait alors l’objet entre eux d’une belle disputation à la française alors que Claudel admirait au plus haut point le foisonnement artistique en Italie à cette époque. Tout comme les apports du XVIIIème et du XIXème que Claudel, quelque peu esseulé sur ce point, présentait comme « ce mouvement de sentiment de la dignité humaine, de la fraternité, de confiance dans la raison, de conscience de la famille humaine comme formant un tout égal en dignité et en droit. » Concernant la guerre civile espagnole, Claudel, en homme d’ordre, se range du côté de l’Eglise d’Espagne persécutée par les anarchistes, alors que Maritain n’accepte pas d’assimiler catholicisme et sentiment national car il veut impérativement maintenir la séparation du temporel et du spirituel. Les dissensions et les réconciliations entre les deux hommes se succèderont dans une récurrence élevée. A certains moments, Maritain voit Claudel comme un « butor, vindicatif et haineux qui sévit en envoyant aux gens et sur les gens des lettres d’outrage et de fulminations », il lui donne une leçon à travers un dicton : « Il y a trois choses, dit un proverbe chinois, que le sage ne fait jamais : il ne laboure pas l’eau des fleuves, il n’instruit pas la bourrasque, il ne discute pas avec un homme qui n’a d’autre règle que son génie ; car le génie de cette sorte d’hommes les dispense de la rigueur du raisonnement, des premiers rudiments de l’objectivité, et de tout souci de justice à l’égard de la personne et de la pensée du prochain. »

Dans une lettre du 23 juillet 1930, Claudel met en garde le siècle : « Tout homme qui ne meurt pas avec le Christ et dans la communion avec le Christ meurt dans sa propre image. » Autre leçon du maître : « L’affaire d’un catholique n’est jamais de maudire mais de comprendre, et de ne pas sacrifier un présent réel, qui a besoin de vous et qui du moins existe, à un passé plus ou moins chimérique qui n’existe plus et qui probablement n’a jamais existé. »

Commentant le livre de Maritain sur la Primauté spirituelle, le fiévreux poète est admiratif : « Votre livre clôt une ère et il établit définitivement des principes. Il y a après lui des choses qui ne pourront plus être dites. Il montre que l’Humanité ne peut se passer d’une autorité spirituelle qui soit le suprême recours au regard de toutes les autorités humaines et la suprême défense des droits de l’Esprit contre ceux de la Force brutale. L’histoire des églises séparées montre d’ailleurs que la séparation du Vicaire de Dieu a été pour elles la raison de l’asservissement à César ou à Démos. »

Considérations et aphorismes entre Bernanos et Maritain

Bernanos le volcanique génie, l’indomptable contempteur de la société moderne, de ses affres technicistes, s’incline humblement face à Maritain : « Ne me ménagez pas. Je suis très loin de ressembler à l’image que vous vous faites de moi. Mais lorsqu’il s’agit de ruser avec Dieu, quel homme n’a sa profonde malice ? Quand je me croyais rebuté par votre douceur, ce que je craignais sans doute, c’était votre force. Je la crains toujours, mais je m’y soumets. » Bernanos radical, polémiste de la vérité, au moment de la condamnation par Rome de l’Action Française, tonne : « Tout se résume en ceci : ne pas faire bobo au Pape, et garder sa petite opinion de derrière la tête. Mais c’est la vérité que nous demandons. Que la Pape nous la donne, que cela lui fasse mal ou non. Nous la lui devons arracher. Au point où il en est, c’est la parole du Saint-Esprit qu’il nous doit. Il nous la faut. Ces tripatouillages et équivoques sont un scandale intolérable. La vérité ou la mort. » Maritain et Bernanos entretenaient des liens avec Maurras, Bernanos ayant même fait partie du mouvement jusqu’en 1919, avant de le quitter car il y voyait poindre un embourgeoisement. Dans une lettre, il se livre au nom des catholiques à un émouvant mea culpa pour n’avoir pas réussi, lui et les autres, à convertir Charles Maurras au catholicisme : « Je vous demande pardon, Maurras, au nom des catholiques que vous avez associés, au moins de cœur, à votre œuvre immense. Tout ce que le génie peut dispenser de lui-même, vous l’aurez prodigué sans mesure ! Nul ne sait mieux que nous la puissance et la portée de votre effort, lorsqu’une admirable générosité intellectuelle et votre étonnante dialectique vous conduisaient jusqu’aux frontières même de la foi. Mais le génie a eu sa part de la malédiction jadis portée contre notre nature, il doit être aussi racheté. Or cela qui vous manquait, nous l’avions, nous. Nous étions ce levain qui travaille la pâte du dedans, et rend efficace le labeur de l’ouvrier. Vous nous donniez le génie, nous vous apportions l’indispensable, la Divine Charité. Hélas, une fois de plus, nous n’aurons pas assez agi, assez prié, assez aimé. La bénédiction que nous demandions pour vous, et pour l’œuvre commune, nous l’aurons sans doute implorée en vain, d’un cœur trop lâche. Voilà que nous vous manquons au moment décisif. Voilà que nous sommes, au contraire, pour votre grande âme dévorée d’inquiétude, dans son tragique isolement, un scandale intolérable. Comptables de vous à Dieu, nous vous demandons pardon. »

Henri Quantin décrit ainsi les deux hérauts médiévaux et modérément modernes qui voulaient convertir les hommes de leur temps : « Face à ce qu’ils vivent comme un échec de l’avancée du Royaume de Dieu, Maritain et Bernanos tentent avant tout une lecture eschatologique des évènements. Ils sont disciples du Sauveur, non militant d’une cause temporelle. »

On ne peut qu’être émerveillé par ces quatre intellectuels qui incarnaient si bien ce que l’on a longtemps considéré comme l’apanage de la France : un génie propre, une capacité à privilégier les choses de l’esprit qui appartiennent à un ordre supérieur. On est doublement impressionné quand on entend Claudel clamer : « Un catholique n’a pas d’alliés, il ne peut avoir que des frères. » ; là, il s’agit bien de la couche supérieure de l’ordre supérieur : la relation qui lie les hommes différemment entre eux lorsque Dieu leur sert d’Absolu pour bâtir, ici-bas, un monde fondé sur la morale et sur la foi en la réalité incarnée d’un Dieu, monde atypique car désintéressé et tourné vers des mystères célestes, monde marginal qui seul peut sauver le monde.


Maritain, l’aimant des écrivains catholiques
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