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Dialogue controversé sur l’islam

Dialogue controversé sur l’islam

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Dans La controverse, sous-titrée Dialogue sur l’islam, le philosophe et spécialiste des traditions arabe, juive et gréco-latine Rémi Brague (RB) s’entretient avec Souleymane Bachir Diagne (SBD) professeur de philosophie islamique à l’Université Columbia de New York.

Au cœur de l’ouvrage se logent les nombreuses questions qui taraudent aujourd’hui beaucoup d’occidentaux : le Coran justifie-t-il la violence ? L’islam traverse-t-il une crise d’identité ? L’islam exerce-t-il une contrainte sur ses fidèles ? Est-il hostile aux autres religions ? Est-il une religion foncièrement politique ? Quelle place accorde-t-il à la rationalité ? Est-il soluble dans la modernité ? Existe-t-il une différence de nature, ou seulement de degré, entre islam et islamisme ? La liberté humaine peut-elle s’y déployer ? Autant d’interrogations auxquelles tout un chacun cherchera à répondre en soupesant les arguments des deux protagonistes de la discussion.

Pour SBD, l’islam, par le jeu des grandes migrations, est devenu européen et américain. L’islam a en effet profité de la mondialisation comme phénomène pour accélérer son expansion et s’enraciner dans à peu près toutes les régions du monde.

Sur la question première de savoir si la violence est intrinsèque au Coran, nos intellectuels évoquent les deux tendances qui se sont concurrencées dans l’histoire islamique : celle des mutazilites et celle des asharites. Toutes deux tentent, chacune d’une manière, de résoudre le problème suivant : le Coran est-il créé ou incréé ? S’il est créé, thèse des mutazilites, cela signifie qu’il est susceptible de discussion, d’interprétation, d’exégèse et peut alors être objet de questionnement par la raison, sur les plans philosophique et théologique. Quant à la position asharite qui domine aujourd’hui, elle soutient que le Coran est incréé, étant l’émanation directe de Dieu dictant son contenu au prophète en 610, et que par conséquent il ne peut pas être interprété, qu’il est immuable, et qu’il faut en avoir une lecture littéraliste. Ce courant largement majoritaire est celui qui irrigue le salafisme, la doctrine des Frères musulmans, et plus largement toute l’orthodoxie sunnite. Le Coran y est intouchable et les hadiths (paroles du prophète) doivent être appliqués littéralement et strictement. Bien sûr, la hiérarchisation des sourates traitant des mêmes thèmes se pose, tout comme l’histoire du prophète dans ses périodes mecquoise et médinoise. Rémi Brague nous explique l’enjeu : « Le problème est que de nombreux versets prônant un islam tolérant sont abrogés par des versets postérieurs. Cela tient à ce que, dans le récit traditionnel du prophète, quand celui-ci était à la Mecque, il était en situation de faiblesse. Il devait alors négocier, être prudent, trouver une place au soleil parmi d’autres communautés et face à ses adversaires. Mais, une fois à Médine, devenu le chef d’une armée et d’un Etat rudimentaire, il pouvait se permettre d’y aller plus franchement, et ne pas ménager ses adversaires. Ceci explique que les appels au combat se trouvent dans les sourates les plus tardives, surtout dans la sourate 9 qui est, selon la chronologie traditionnelle, la dernière à avoir été révélée. Cette sourate contient le verset du sabre commandant de « tuer tous les polythéistes ». Comme il semble qu’il n’y eût plus de polythéistes ou d’idolâtres à cette époque, il n’est pas exclu qu’il s’agît des chrétiens ayant adopté le dogme de Nicée, et donc qui, selon les musulmans, « associaient » au Dieu unique une créature, Jésus. Cette théorie de l’abrogation est une règle de marbre de l’islam. Un théologien soudanais, Mahmoud Mohamed Taha, avait proposé que l’on inversât l’ordre de priorité pour donner la plus grande autorité aux sourates mecquoises. Il a été condamné pour apostasie et pendu en 1985. »

Sur la question de l’historicité, les deux religions, catholique et musulmane, ne se situent pas sur le même plan. Rémi Brague argumente : « A cause de l’incarnation du Verbe en Jésus, la question historique est fondamentale. L’histoire du Christ est un récit plein de sens, mais qui a vraiment eu lieu dans l’histoire. Le christianisme joue gros. Pour l’islam, cet enjeu historique est moindre, puisque cette religion se présente comme un retour à une foi révélée avant tous les temps. Il est moins important que Mahomet soit né l’année de l’éléphant, qu’il ait connu, comme par hasard, la révélation à l’âge symbolique de quarante ans, etc. » Pour restaurer le monothéisme originel, l’islam ne s’embarrasse pas de fioritures et considère que la Torah des juifs et la Bible des chrétiens sont des livres pervertis et trafiqués par leurs auteurs : « L’islam prétend connaître mieux que les juifs ce que c’est que la Torah et mieux que les chrétiens ce qu’il y a dans l’Evangile. C’est pour cela qu’il est interdit dans l’islam de lire ces livres prétendument falsifiés que sont l’Ancien Testament des juifs et le Nouveau Testament des chrétiens. Cette idée est essentielle, car il y a tellement de contradictions entre le Coran, la Torah et les Evangiles qu’il aurait été impossible de les accorder. »

Le système juridique qu’instaure l’islam a permis de conquérir des territoires dans l’histoire, d’opérer les conversions en vertu du verset 29 de la sourate 9 qui dit que les populations sur les terres conquises doivent payer le tribut « dans une situation d’humiliation ». Pensons ici au statut de dhimmi prévu par la dhimmitude, cette législation islamique qui institue une citoyenneté de seconde zone pour les chrétiens, les animistes ou les athées en terre d’islam.

Le philosophe américain, SBD, rappelle utilement aux chrétiens que leur soumission à la République a engendré de nombreuses défaites pour l’Eglise. Dans les dernières en date, l’Irlande, pays catholique qui, lors du référendum sur la légalisation de l’avortement en mai 2018 a voté « pour » à 70%, sous la pression des nombreux lobbys féministes de Bruxelles. Nous pourrions aussi évoquer la quasi-totale inertie de l’épiscopat français lorsque le gouvernement a proclamé, en toute illégalité, l’interdiction de reprendre la participation au culte lors de l’épisode récent de la crise sanitaire. En désignant ce risque bien réel de la soumission confinant à l’étouffement, SBD, tel un roué adepte de la taqiya (la dissimulation), suggère implicitement que la loi coranique doit demeurer en surplomb des lois civiles, y compris (et surtout, vu les ambitions expansionnistes de l’islam) en Occident démocratique.

L’islam est-il un moyen d’émancipation pour la condition de la femme ? Ce sujet très sensible est traité de façon offensive par Rémi Brague qui rappelle la posture irrationnelle des littéralistes qui ne veulent rien changer aux affirmations suivantes : « « Admonestez les femmes dont vous craignez l’infidélité. Reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les. » Ou encore, dans le verset 282 de la sourate 2, la règle suivant laquelle le témoignage d’une femme vaut la moitié de celui d’un mâle. Ou que l’héritage d’une fille doit représenter la moitié de l’héritage d’un garçon (4, 12). » De son côté, SBD, magnanime, affirme qu’il n’y a pas l’obligation d’avoir quatre femmes et que c’est une tolérance… Rappelons que si la polygamie existe en France aujourd’hui, en contravention de la Loi, c’est parce qu’il a été importé et accepté par des autorités permissives. A cet égard, c’est le président Giscard qui a autorisé le regroupement familial dans les années 1970, lequel induit l’importation de la polygamie autorisée dans les pays musulmans. Interdiction d’un côté, acceptation tacite de l’autre. Voilà comment un Etat perd sa puissance souveraine et se condamne à la déliquescence. Le processus de l’introduction d’un Etat dans l’Etat est donc en parfait ordre de marche. Autrefois, sous Philippe IV le Bel ou avec Richelieu ou d’autres grands hommes politiques français, ces tentatives de noyautage étaient réprimées afin de garantir la puissance publique.

SBD, s’il considère que la plupart des convertis à l’islam ont été attirés par le soufisme, c’est-à-dire par une dimension mystique, n’en admet pas moins que de nombreuses organisations, dont les Frères musulmans, travaillent méthodiquement à l’oumma mondiale, c’est-à-dire à l’islamisation globale et l’édification d’une cité musulmane transcendant les nations, les races, les pouvoirs politiques : « La stratégie de ces organisations a toujours été de réislamiser la société par le bas. C’est la mise en œuvre du concept d’hégémonie, théorisé par le marxiste Antonio Gramsci : créons d’abord l’hégémonie culturelle et sociale, et le pouvoir politique nous sera donné de surcroît. L’action est sociale, mais la finalité reste politique. »

Complétons par le mot de Engels qui affirmait que le nombre finit toujours par faire de la quantité une qualité.

Si l’islam est un mondialisme assumé, ayant le vent en poupe par le double phénomène du dynamisme de ses membres et de la coupable démission de l’Occident remisant au placard la laïcité et ayant créé le vide spirituel absolu par le consumérisme, Rémi Brague évoque une différence de nature entre catholicisme et islam qui paraît en effet fondamentale : « Pour en revenir à l’islam, obéir à un Dieu qui nous parachute ses commandements est autre chose qu’imiter Dieu qui, comme celui des chrétiens, vient nous chercher pour nous associer à sa vie. La différence entre islam et christianisme est que, dans le Coran, la réponse est donnée par l’homme de toute éternité, alors que, dans le christianisme, la réponse reste ouverte. Du coup, toute l’histoire s’ouvre pour que cette réponse soit donnée, positive ou négative. »


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