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Houellebecq, Cassandre de notre agonie

Houellebecq, Cassandre de notre agonie

Par  

Houellebecq. Anéantir. « Lorsqu’il s’éveilla, le train traversait la gare de Chalon-sur-Saône ; il circulait à une vitesse de 321 km/h […] Il se dirigea vers la plateforme pour passer ses appels, mais il n’y avait pas davantage de réseau. Traversant deux wagons également déserts, il parvint jusqu’à l’espace de restauration « Inouï » ; il avait pris la précaution de se munir de son titre de transport, il n’avait pas de carte de réduction ; l’employé de l’espace restauration s’appelait Jordan et lui servit un burger de création Paul Constant, une salade de quinoa et d’épeautre, une bouteille de 17,5 cl de Côtes-du-Rhône tradition. Un défibrillateur était le cas échéant à sa disposition, mais il n’y avait toujours pas de réseau ; le train arriverait en gare de Mâcon-Loché TGV dans 23 minutes. » Désespérante routine, pâle et grise modernité décrite par son contempteur le plus célèbre dans son dernier roman.

Le personnage central, Paul, haut fonctionnaire, s’interroge : « Était-il responsable de ce monde ? Dans une certaine mesure oui, il appartenait à l’appareil d’Etat, pourtant il n’aimait pas ce monde. Et Bruno, il le savait, se serait lui-aussi senti mal à l’aise avec ces burgers de création, ces espaces zen où l’on pouvait se faire masser les cervicales le temps du trajet en écoutant des chants d’oiseaux, cet étrange étiquetage de bagages « pour raisons de sécurité », enfin avec la tournure générale que les choses avaient prises, avec cette ambiance pseudo-ludique, mais en réalité d’une normativité quasi fasciste, qui avait peu à peu infecté les moindres recoins de la vie quotidienne. »

Roman chrétien, le dernier opus de Houellebecq est truffé de références au catholicisme et de grandes interrogations existentielles; les proches de Paul, sa sœur Cécile et son beau-frère Hervé, sont de fervents croyants qui contribuent à tarauder l’âme de cet agnostique. D’autant que la mort, le coma, l’extrême dépendance, la culture du déchet s’appliquant à l’être humain tantôt avorté, tantôt euthanasié, sont les thèmes centraux qui invitent au questionnement, ils sont en quelque sorte les autres héros du roman. Certains d’entre eux ont presque disparu des radars dans la vraie vie, nous pensons à la maladie et à la mort, ces scandaleuses anomalies dont personne ne veut, que tout le monde abhorre. « En fin d’après-midi il croisa Hervé, qui lui proposa de boire un verre avant le dîner. Il accepta immédiatement, il était toujours partant pour boire un verre, un peu trop même, ça commençait à prendre des proportions exagérées, le tabac et l’alcool allaient peut-être le tuer rapidement, ainsi le problème de la fin de vie ne se poserait tout simplement pas. » ; « Un brouillard très épais, ce matin, recouvrait la campagne. Lorsqu’il pénétra dans la cuisine, où était servi le petit-déjeuner, Cécile lui demanda s’il voulait les accompagner à la messe. Non, peut-être pas deux messes dans une semaine ça faisait beaucoup pour un non-croyant, enfin un agnostique, argua-t-il. Il ajouta pourtant que la messe de Noël lui avait « bien plu », ce qui ne voulait pas dire grand-chose, il en était conscient. » ; « Ce n’était pas grand-chose, les vignes, à cette époque de l’année : de médiocres entités tordues et noirâtres, plutôt laides, tentant de préserver leur essence au cours de la traversée de l’hiver, on n’imaginait nullement que de si vilaines petites choses puissent plus tard donner naissance à du vin, le monde était quand même bizarrement organisé, se dit Paul en circulant entre les ceps. Si Dieu existait vraiment, comme le pensait Cécile, il aurait pu donner davantage d’indications sur ses vues, Dieu était un très mauvais communicant, un tel degré d’amateurisme n’aurait pas été admis, dans un cadre professionnel. » ; « Comment savait-elle tout cela, comment connaissait-elle la vie, elle qui n’avait connu qu’un homme, et qui avait immédiatement choisi, avec une prescience miraculeuse, un monstre d’intégrité, de fidélité et de vertu ? Peut-être que c’est très simple, en réalité, la vie, se dit Paul, qu’il n’y a à peu près rien à savoir, qu’il suffit de se laisser guider […] Et puis il n’y aurait plus qu’à attendre ; attendre et prier. Est-ce que la prière pouvait être une activité de couple ? Ou bien est-ce que c’était nécessairement un contact individuel, personnel, avec Dieu ? »

Notre auteur aime à prendre, comme à l’accoutumée, la posture de l’oracle. Cassandre provocateur et lucide, il est convaincu de la décadence de l’Occident dont il assure que s’il doit légaliser l’euthanasie il ne méritera alors plus que la disparition, son châtiment logique face à une telle forfaiture. Houellebecq tire en métronome ses traits d’arbalète au fil du récit, et l’on s’en délecte : « Ce n’était plus Nirvana, mais Radiohead ; et ce n’était plus Matrix, dans Le Seigneur des Anneaux. Il n’y avait que deux ans d’écart entre eux, mais ça pouvait suffire à expliquer la différence, les choses allaient encore relativement vite à l’époque, beaucoup moins vite évidemment que dans les années 1960, ou même dans les années 1970, le ralentissement et l’immobilisation de l’Occident, préludes à son anéantissement, avaient été progressifs. » ; « Son pavé de skrei norvégien mi-salé n’avait pas été desservi au moment où le serveur apporta leurs desserts ; une légère faute avait été commise dans un service jusqu’à présent parfait. Paul ne chercha pas à la minimiser ; il accueillit les excuses du serveur avec le sourire demi-indulgent de l’homme riche – l’homme riche qui pardonne, mais qui pardonne seulement pour cette fois. »


Houellebecq : celui qui ne sait ni écrire ni vivre
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Tsss… Houellebecq, Houellebecq !
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Soumission de la personne humaine
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