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L’aventure de la langue française selon Deutsch

L’aventure de la langue française selon Deutsch

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Lorànt Deutsch publie Romanesque, la folle aventure de la langue française. Livre roboratif où la verve enjouée de l’amoureux de culture française qu’est cet artiste atypique, conte à travers deux mille ans d’histoire, les tribulations du français, matériau incomparable de notre patrimoine. Nous apprenons de nombreuses choses et le ton humoristique, souvent employé, confère, au-delà du sujet traité, un éclat particulier au génie français.

L’historien Ernest Lavisse prêchait aux écoliers de la IIIème république l’amour du roman national : « Il y a dans le passé le plus lointain une poésie qu’il faut verser dans les jeunes âmes pour y fortifier le sentiment patriotique… Faisons aimer à nos enfants tous nos héros du passé, même enveloppés de légendes car c’est un malheur que nos légendes s’oublient, que nous n’ayons plus de poésie ni de contes dans nos foyers. Un pays comme la France ne peut vivre sans poésie. Faisons-leur aimer nos ancêtres les Gaulois et les forêts des druides… » Cette approche a longtemps fait consensus avant que les déconstructeurs ne passent à l’œuvre pour prôner l’apprentissage d’une histoire anachronique, multiculturelle et multicivilisationnelle… Et cela depuis, disons, les années 60, avec ce qu’on appelait la French Theory sur les campus américains. Ce qui a eu, et a encore, pour conséquence directe d’aboutir à une forme de rejet du passé et à une détestation de soi extrêmement préjudiciable. En n’ayant plus rien à admirer de son passé, une jeunesse (notamment celle issue de l’immigration) n’a plus de référentiel culturel solide et communément partagé. Cette jeunesse déracinée décide ainsi d’écrire sa propre histoire, dans une logique toute individuelle, pour le meilleur (parfois ! lorsque l’assimilation au corps social aboutit positivement), et pour le pire (le plus souvent ! lorsque les "jeunes" refusent de parler français et versent effrontément dans un communautarisme contre culturel et destructeur). Le grand écrivain russe Soljenitsyne avait prévenu que pour détruire une civilisation il fallait s’attaquer d’abord à ses racines. Les progressistes les plus vindicatifs ont appliqué cela à la lettre et ils connaissent, avouons-le, une « réussite » pour le moins éclatante…

L’auteur nous livre sa vision inspirée : « Qu’est-ce qui définit mieux l’âme et l’identité d’un pays que la langue qu’on y parle ? […] Mais la langue, c’est aussi le reflet du plus intime de nous-mêmes. La langue qui nous permet de nous connaître, de percevoir, de ressentir ; la langue, c’est le cadre commun qui donne à chacun d’entre nous la possibilité d’appréhender le monde et de communiquer. […] On devient français parce qu’on parle français, c’est aussi simple que cela. » En effet, parler correctement le français est le signe de l’acceptation explicite de la culture française, et le préalable indispensable à une assimilation réussie. L’inverse fragmente la société, la fragilise et la voit disparaître peu à peu.

Les racines indo-européennes

La langue commune à toutes les langues parlées en Europe et à certaines langues asiatiques est l’indo-européen apparu, pense-t-on, du côté de l’Ukraine trois mille ans avant Jésus-Christ. Le plus beau mot qui soit, le mot maman, provient de cette lointaine ascendance. Le latin le prononce mater, le gaulois matir, l’anglais mother, l’allemand mutter, l’espagnol madre, et l’on pourrait poursuivre cette litanie avec l’italien, le néerlandais, le biélorusse, le russe, l’arménien, le grec, le farsi, l’hindi… Une mère commune à tous, à quelque chose près ! Au Ier siècle en Gaule, il fallait détenir quelques mots-clés de latin afin d’être à même de commercer et respecter la loi. Au IIème siècle, « Les enfants de la noblesse gauloise apprennent le latin à l’université, on déclame les œuvres latines dans les odéons, les druides condamnent l’écriture et les bardes gaulois transmettent les légendes celtiques. » La lecture publique se généralise permettant ainsi la diffusion des œuvres et de la culture. Si Athènes, Corinthe et Pompéi ont chacune leur odéon, ces petits théâtres destinés à développer l’art mélodique, la Gaule n’en est pas dépourvue. Lugdunum (future lyon) et Vienna (Vienne au sud de Lyon), les villes les plus romaines de l’Hexagone, ont leur odéon redécouvert tardivement (sur la colline de Fourvière à Lyon entre 1941 et 1958 ; pour Vienne, après la seconde guerre mondiale jusqu’en 1976), qui offrent encore aujourd’hui des spectacles et des concerts.

Lorsque l’Empire romain se désagrège au IVème siècle, la conversion de l’empereur Constantin Ier au christianisme permet à la Gaule de se doter d’un ciment unificateur puissant établissant deux piliers : un Dieu, le Christ, et une langue, le latin. En 313, l’édit de Milan alors promulgué instaure la liberté du culte chrétien : « Nous avons pensé qu’il était conforme à la sagesse et à la raison de ne refuser à personne la liberté de professer, soit la religion chrétienne, soit toute autre religion qu’il jugerait mieux lui convenir… » L’Eglise recommande à ses évangélisateurs d’utiliser non pas la forme classique du latin, mais une parole simple et accessible, le Sermo humilis. Saint Augustin proclame alors : « Mieux vaut nous faire réprimander par les grammairiens que de ne pas être compris par le peuple. »

Naissance du français

Avec les Francs, guerriers germains surnommés « les Franken, les Indomptables », la Gaule devient la Francia, terme latin adopté au IXème siècle par les petits-fils de Charlemagne : « Quant au langage parlé dans ce pays, ce sera le franceis, devenu le français au XIème siècle, avant que la Francia ne devienne la France au XIIème siècle et qu’au XIVème siècle, notre monnaie s’appelle le franc. » Les Francs apportent pléthore de mots très prisés au Moyen-Age tels : blason, étendard, étrier, heaume, héraut, brave, flèche, guerre, hache, soldat… mais aussi des termes invitant au mouvement : danser, grimper, marcher, ramper. Clovis ayant conquis une bonne partie de la Gaule, il décide de coucher sur un parchemin un texte majeur, la loi salique, ou loi des Francs Saliens, rédigé en latin et établissant la transmission du pouvoir par les mâles, selon le principe de primogéniture. Ce texte déjà précurseur se préoccupe aussi des violences faites aux femmes, et prévoit les sanctions graduelles que devront payer les agresseurs : « Toucher la main d’une femme vaut une amende de quinze sous ; toucher une femme de la main au coude, trente sous ; du coude à l’épaule, trente-cinq sous ; jusqu’au sein, quarante-cinq sous… ».

Sur le plan linguistique, il existe peu d’homogénéité entre les pays d’oïl au nord et les pays d’oc au sud. Grosso modo, la langue d’oïl correspond au royaume des Francs, la langue d’oc au royaume des Wisigoths et le franco-provençal au royaume des Burgondes. C’est au VIIème siècle qu’une nouvelle langue issue du latin fait son apparition : le roman. Des langues non romanes (le flamand, le basque, le breton) s’ajoutent au millefeuille des dialectes et patois locaux, sans oublier le latin, employé comme langue vivante par l’université ou la chancellerie royale.

Le 25 août 1539, François Ier, en son château de Villers-Cotterêts en Picardie, signe l’ordonnance reconnaissant le français comme prééminent dans tous les actes administratifs et juridiques du royaume. Le XVIIème siècle qualifié de « Grand Siècle » l’est aussi pour la langue : « Richelieu crée l’Académie française, Malherbe puis Vaugelas fixent le bon usage, et avec Corneille, Molière, Racine, Pascal, Bossuet, Boileau, La Bruyère et Perrault, notre langue se pare de tous les talents. » Au XVIIIème siècle, la langue française triomphe dans toutes les cours européennes.

Dans le florilège joyeux de ce livre, les surprises abondent. Sait-on par exemple que le basque -euskara dans le langage originel- est certainement l’une des langues les plus anciennes au monde, précédant les Celtes, les Gaulois, et même les Indo-européens, et qu’il est encore parlé des deux côtés des Pyrénées par un million de personnes ? Sait-on encore que sans les Vikings, le rugby, mot du nord signifiant « ville du seigle » du nom d’une cité du centre de l’Angleterre, aurait probablement porté un autre nom ? Plus surprenant encore, un jeune moine nommé Gerbert d’Aurillac, considéré comme l’un des plus brillants esprits de son temps, introduit la numération à neuf signes plus le zéro, invention venue d’Inde et apportée en Espagne par les Arabes. Il substitue les chiffres « arabes » au système de numération romain jugé trop compliqué. Et en 999, ce même Gerbert, un français donc, devient Pape sous le nom de Sylvestre II ! Autre anecdote prise au hasard : le terme godon employé pour qualifier les Anglais du temps de Jeanne d’Arc, au XVème siècle, provient de la contraction God damn me qui était en fait l’injure préférée des soldats d’outre-manche.

Cet ouvrage brillant constitue une petite encyclopédie ludique. C’est une vraie trouvaille de Lorànt Deutsch qui reste persuadé que le français se nourrit d’apports des autres langues, qu’une forme de modernisation ne lui nuit pas, bien au contraire selon lui, car le temps sait garder le meilleur et effacer les scories. Son travail passionnera tous les amoureux de la langue, donc les amoureux de la France, de 7 à 77 ans.


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