Le fumet de l’ordure ou le retour de Jean-Edern Hallier
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Le corps de gloire paraît. Il revient, célébré en tous lieux, c’est Charles de Foucauld, de bure recouvert, qu’entourent les Franciscains du jour. Tous « Vus à la télé », certifiés conformes, se refont une virginité de dissidents à l’ombre du grand mort. Pour la plupart, des plumitifs tendance misogyne stipendiés par la presse masochiste, ô pardon féminine, sans oublier les pisse-copies et les bobardiers, attachés au journal qui sans rougir ni faillir se réclame de Beaumarchais, entonnent le péan : Tuez le veau gras ! Le fils prodigue est de retour, le pécheur est rentré à bon port ! C’est le journal La Croix qui me l’a dit… J’attendais mieux de la femme de Brian.
Notre glorieux grantécrivain auto-proclamé n’écrivait pas ses livres. Des nègres, des mulâtres, des sangs mêlés toujours prêtaient main forte. La chose est sue. Qu’importe ? Le mensonge, cent fois, mille fois, répété se fera vérité et chacun oubliera le fameux : « Tout le monde s’y met », précédant toujours chez Hallier l’instant de la remise des manuscrits.
Il fut avéré que leur héros, toujours entre deux vins, enfin deux vodkas, empocha l’argent remis par un autre aigrefin - deux fois Président de la République, s’il vous plaît - à l’intention des « Folles de mai. » Que chaut à ces Messieurs ! Le chevalier Hallier aurait d’ailleurs sévèrement bousculé dans les locaux de l’ambassade de France une de ces malheureuses. Et alors ? Les mères sont hystériques, n’est-il-pas ? Particulièrement dans ce genre de contexte. Le voleur, ô pardon « l’Insolent », revint du Chili avec un fort méchant ouvrage composé à la gloire de Pinochet. Est-il rien de plus amusant que ces stades emplis d’hommes qui vont mourir ? Quoi de plus glamour que la colonie Dignidad et son auguste maître le nazi Paul Schäfer et de plus excitant que toutes ces mères en pleurs ? Quel spectacle plus réjouissant que celui de ces marâtres futures à qui leur progéniture vient d’être arrachée ? Hallier, ne donnant pas dans le politiquement correct, tous les pleutres parisiens – ceux qui patiemment se fabriquaient une carrière dans un monde où déjà le livre valait peau de balle – se rangèrent de son côté. Beaucoup d’hommes sont femmes sur ce point qui ne savent résister à qui sait l’art de faire rire.
Qu’il fut un peu sycophante – notre larron désigna publiquement le redoutable et doux Ricardo Paseyro comme agent de la CIA - ne dérangea personne. Paseyro n’était pas de leur monde. Poète authentique, lecteur de Valéry, aficionado de ballets contemporains, figure d’un autre temps, ce gentilhomme uruguayen ne leur ressemblait guère. Pas le moins du monde « pédé viril », le genre d’hommes qui rentrent avec les Dames, mais chantent à tue tête « Les Copains d’abord », se plaisent à échanger leurs conquêtes, à les noter, saturent leurs opus de confidences aussi indiscrètes que transparentes. La CIA et Paseyro avaient en effet un ennemi commun : le futur Nobel Pablo Neruda, que Paseyro eut l’audace insigne d’attaquer dans un flamboyant essai de cinquante-sept pages, paru d’abord à Madrid, puis aux Cahiers de l’Herne, à cette heure encore propriété de Dominique de Roux, sous les titres respectifs de La parole morte de Pablo Neruda, puis du Mythe Neruda. Selon le logicien Hallier, qui le publia en place publique, Paseyro aurait prêté la main à l’enlèvement de Ben Barka ! Plus crapuleux ne se peut. Et quoi ? La chose est aussi fendarde, que le sera, d’ici quelques années, l’audace extrême d’un autre amuseur public de faire venir Faurisson en pyjama rayé à l’un de ses meetings, ô pardon, « spectacle ». Du moment qu’on se marre… La vie est tristounette, vous ne trouvez pas ? D’ailleurs, sur « la » question, Hallier ne fut pas en reste, qui se prétendit, mensonge éhonté, demi-juif, pour mieux soutenir et le motif palestinien et l’œuvre salutaire d’André Garaudy. L’ancien stalinien avait viré antisioniste et pour servir les ennemis d’Israël rejoignit d’abord le clan des sceptiques et bientôt celui des négateurs des chambres à gaz. Il fut publié chez Pierre Guillaume, à la Vieille Taupe, avant de se convertir à la si belle religion de paix et d’amour que constitue l’islam contemporain. Un parcours sans faute, que n’aura entravé que Michel Foucault, qu’on vit sans cesse attaché à empêcher Garaudy de professer ses dogmes mouvants dans aucune université. Hallier en outre admira et Vergès et Carlos, deux philosémites bien connus. L’un s’honorait d’assassiner les youtres et l’autre, de défendre leurs assassins au nom de la noble cause arabe. Algérienne pour l’un, palestinienne pour l’autre. Hallier demeure la girouette qui indique le bon vent, l’exacte boussole qui marque le retour de l’Orient dans le paysage français.
Avec cela, l’admirateur de Pinochet se fit, à l’instar de la belle Ségolène, laudateur de Castro « Un homme qui fait chier les Américains depuis quarante-cinq ans ne peut être mauvais ! » En voilà une raison qu’elle est bonne d’admirer qui condamne son peuple à vivre dans la peur ! Bref, nous retrouvons Hallier, copain des socialos, rêvant d’un poste de Ministre et faisant chanter un Président. Le grand cœur ne reconnaîtra sa propre fille naturelle que pour pouvoir publier le dossier Mazarine. Quand Mitterrand eut douché ses grandes espérances, le mendiant ingrat s’en alla, abandonnant ses amis, l’ardent moscoutaire André Lajoinie et Henri Krasucki, providence des humoristes, réclamer protection à Jean-Marie le Pen-qui-dit pas-que-des conneries, révélant ainsi sa nature profonde d’idéal type du Français moyen selon les Inconnus…
Ne pas oublier l’affaire des écoutes. Hallier ennemi public numéro 1. L’homme le plus écouté de France ! La bonne blague !
Hallier, nul n’est parfait, consommait de la drogue. Un soir de manque, le client, solitude dans un champ de coton, appela son dealer, célèbre producteur de cinéma et mari d’une des plus belles comédiennes du temps. Dans son délire, le camé lui confia vouloir enlever la fille pour se venger du père. La Mondaine – c’était là son job - écoutait le trafiquant, qui, aussitôt, transmit, CQFD, l’information aux RG qui en référèrent sur le champ au père et Président. Le moyen pour un père de ne pas protéger sa fille d’un drille capable de s’auto-enlever pour faire croire à un complot d’état contre sa personne ? Un zigoto si alcolo qu’il vida cul sec la bouteille d’aftershave de son pseudo-ravisseur et néanmoins copain ?
Qui verrait un paladin en ce type de personnage, hormis de bons garçons pressés d’arriver et tellement concentrés sur leur cible qu’ils avaient grand besoin de se délasser ? Suivre Hallier, c’était rire du soir au matin et de l’aube à minuit ! De là, à faire d’un semblable Gugusse, le Chateaubriand, le Félix Fénéon et le Péguy de notre temps, il y avait une marge. Vite franchie et toujours active en l’an 17 du Nouveau siècle. En réalité, Hallier fut une sorte de Drumont, un littérateur, certes non dénué de valeur mais corrompu par la haine et délirant à ses heures. Sans doute souffrit-il plus que d’autres. Feu Madame de, psychologue, comme l’ardente éditorialiste de La Croix, mamantes types, l’ont cru. Juste un malheureux qui, s’il n’avait été fils de famille, eût fini à l’hospice de Nanterre.
Tel s’affirme souverain le dernier modèle de l’intellectuel dissident à offrir au capitalisme finissant !
Parmi ses rares qualités, il faut encore compter la grivèlerie, la jouissance de se faire entretenir par un beau-père qu’on affirme mépriser, le culot de taxer la femme de ménage de son frère sans jamais la rembourser, le courage de jeter sa bourgeoise à la rue avec son bébé s’il vous plaît, une nuit d’hiver, parce que la Dame n’a pas goûté - bégueule, jalouse ! - de trouver une nymphette nue sur le canapé du salon et son mari affairé à la tatouer de poésie…
N’oublions pas les bombinettes déposées à demeure, ou expédiées aux confrères chagrins, les insultes dans la bonne vieille tradition de « l’Action française » et de « Je suis partout ». Le goût de l’ordure sanctifié par le rire.
Huguenin avait vu le fond de l’affaire, de Roux aussi. Qui les entend encore ?
Rire avant de mourir s’impose comme le premier commandement de toute société décadente. Ce cirque a les gladiateurs qu’il mérite et ces Spartacus de pacotille, les esclaves congruents.
Salut au biographe et ami d’Hallier et à leurs clients.
Sarah Vajda, ci-devant auteur de Jean-Edern Hallier, l’impossible biographie, parue en 2003, chez Flammarion, collection Grandes Biographies.