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Les deux Beune, Pierre Michon

Les deux Beune, Pierre Michon

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Publié une premeière fois pour Le Bien Commun (https://lebiencommun.net/kiosque/)

 

Le dernier roman de Pierre Michon, Les deux Beune, nous immerge dans la mythologie du désir. Tout y concourt et peut-être en tout premier lieu la langue si particulière de l’écrivain. L’histoire se déroule dans les années 60 dans le Périgord, un pays de rumeurs et de brumes, de grottes et de coins cachés, un pays habité depuis la préhistoire, traversé par deux bras d’une même rivière, les deux Beune, la grand et la petite. C’est l’écrin, le décor qui attend les épousailles, l’immuable qui a prévu que se rejoue ici et maintenant la grande scène mythique de l’amour, celle qui se traduit tout simplement par l’attraction des chairs.

Le héros est un instituteur parachuté d’ailleurs. Les figurants sont des pêcheurs du cru et la tenancière de la taverne. Les lieux sont peu nombreux : la salle à manger aux murs couleur sang de bœuf, l’extérieur fait de mille chemins et le tabac. Le tabac est une grotte, et à l’intérieur siège Vénus. L’instituteur tombe en fascination devant Yvonne. Il reviendra dans le commerce, il la guettera dans ses habitudes sur les chemins. Il observe la Venus du bar-tabac, la déesse préhistorique, symbole parfait, épanoui de la femme et décrit chaque détail pour s’y perdre, les sequins aux oreilles touchant la joue, le gras des doigts posés, et au cœur de son adoration, ressent « un plaisir vif comme une plaie ».

Il n’y a rien de raisonnable dans ce désir qui naît. « Le feu que cette vision avait fait circuler dans mes veines aurait dû m’arracher un cri. »

L’instituteur n’est pourtant pas seul, il y a Mado, l’amoureuse. « Il me fallait évidemment m’occuper d’elle, lui donner la réplique. » Il y a peu de chance qu’elle résiste à la bouffée de désir qui submerge l’homme, l’instituteur toqué de cette vieille, atteint d’une difformité de son cœur, devra la sacrifier. Celui qui désire ne peut être qu’un monstre d’égoïsme. Il fera même pleurer le petit Bernard, le fils d’Yvonne qu’il a en classe. Il faut dire qu’il « vous regardait profondément de ses yeux ronds, s’appliquant sans doute à comprendre, mais le grand sérieux et la profondeur de son zèle vous donnaient l’impression qu’il avait compris avant vous, vous prévoyait et même vous pardonnait. » Insupportable pour l’homme devenu esclave du désir de la Vénus du Tabac.

Au bord de la Beune, dans ce Périgord, tout est ici petit morceau de civilisation. Le microcosme remonte à la nuit des temps. Et pour l’instituteur qui reste interdit devant la grande callipyge, « Le monde avait mis ses dentelles pour que je les froisse, il m’aguichait de toutes les façons ; le monde est une femme. » C’est-à-dire le creuset de toute civilisation. « Yvonne devant moi était le comble de l’humanité. »

Pierre Michon décrit ce peu de choses qui construit le désir avec une attention maniaque. Il sait que ce sont les non-dits, les attentes silencieuses qui transforment l’amour en élan, un souffle indomptable. Le désir est implicite, la réciprocité est implicite, dès lors l’étreinte charnelle devient prévisible et évidente, comme une fatalité. Le verbe de Pierre Michon, toute sa poésie se dandinent de lignes en lignes pour dire les petites choses de la vie, pour dire la vie par ses détails chargés. C’est comme un chant qui peine à s’arrêter. Michon écrit sur le souffle, c’est comme ça que les légendes naissent. Sa poésie est faite d’un jargon neuf, une sorte d’argot d’élite dans lequel le lecteur se délecte. Nous avons l’intuition du sens. « C’est par la langue qu’on prend les poissons et les hommes. » C’est bien par langue que Michon fait de nous des lecteurs passionnés et fidèles.

 

Les deux Beune, roman de Pierre Michon, Ed. Verdier, 152 pages, 18,50€


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