Les sœurs de l’Espérance – Dantec
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Les sœurs de l’Espérance – Dantec
Par Maximilien Friche
25 mai 2013 15:01
Avec Satellite Sisters, Dantec renoue avec l’efficacité de son écriture de l’époque de Gallimard la Noire, c’est vrai. Satellite Sisters brouille les pistes et les genres en étant tout à la fois un roman d’aventure, un thriller pop, une épopée de science-fiction, un road-movie enivrant, un polar mental, c’est également vrai. Maurice G Dantec est parvenu à entremêler science-fiction et réalité en incorporant des personnages réels comme Richard Branson ou le groupe de rock Muse à son futur, encore vrai.
Cependant, la vraie nouveauté portée par Satellite Sisters réside dans l’Espérance que nous rencontrons à la lecture du roman. Jamais un Dantec n’a été aussi lumineux. La mauvaise nouvelle de la chute de l’humanité et du monde semble dépassée par l’existence des jumelles Zorn dans l’univers. Il ne croit pas en l'homme, mais ce n'est pas grave puisque l'homme peut être dépassé. Demain sera pire qu’aujourd’hui mais ce n’est pas grave puisque nous avons déjà gagné. Le sacrifice est à l’œuvre. L’écrivain sacrifie ses héros, et ce n’est rien non plus puisque le livre leur survit. Dantec a écrit le roman où l’Espérance est une aventure. Elle y est appréhendée via l’exil comme mode de vie, le pèlerinage comme mode de survie.
Les héros effectuent d’abord sur Terre une course-poursuite à travers l’Océan Pacifique, l’Australie, les forêts subéquatoriales jusqu’au désert de poussière de Las Vegas. Ils passent ensuite de l’horizontal à la verticale vers le lieu de la conquête spatiale où l’hyper-capitalisme s’est déplacé, le Las Vegas orbital. L’exil se prolongera vers la Lune et Mars. Dans ce road-movie terrestre et spatial, l’exil est imposé par la guerre, puis petit à petit c’est l’exil lui-même qui provoque la guerre. Il y a toujours une guerre de plus qui attend les héros, plus globale, plus radicale. Dantec semble tenter de nous faire ressentir le dilemme lié à l’impérieuse nécessité de choisir son camp dans la guerre de tous contre tous. Le camp de l’homme pour Dantec, c’est l’exil. Il y a toujours l’espérance d’une fuite, d’une suite. Nous sommes dans la suite de Babylon Babies.
Le roman crée un monde en même temps qu’il illustre le processus de la création elle même, non pas la création artistique, mais la création des mondes. Le narrateur parle de « l’incorporation du lointain futur dans le passé le plus proche. » Toorop, ce sage expert en stratégies, rabâche à ses interlocuteurs interrogatifs qu’ils ne peuvent avoir de réponses à leur pourquoi pour la simple et bonne raison que la vraie question est : « comment ? ». Dantec ne fait plus de théologie, il raconte une histoire. Il ne dit pas les choses, il les implique. La Théologie de Cosmos Incorporated est dépassée car devenue inutile. Ici, l’histoire incarne la vérité. Ici, l’histoire nous relie à la Vérité. C’est ainsi que Satellite Sisters peut contenir et dépasser tous les précédents romans de l’auteur.
Nous sommes désormais plongés dans le fonctionnement même d’une prophétie, au sens où il n’y a pas de réponse à une question, mais il y a, à chaque interrogation, une démultiplication des questions. La narration en marche pose des devinettes, nous révèle toujours une étendue plus vaste de questions. Ce mouvement est accompagné par celui de la fuite. Le plus développé existe toujours, l’étape d’après est toujours plus vaste et plus loin. Le lecteur confronté à cette narration ressent du vertige, de l’ivresse et du désir. Vertige face à l’étendue des questions posées engendrée par la réponse donnée. Ivresse d’être associé à la possibilité d’y répondre. Désir de démultiplier à l’infini le monde, désir d’éternité.
L’énigme elle-même est portée par le style Dantec. Comme toujours la musique, et plus particulièrement le rock, joue un rôle essentiel. On en parle, et on en fait. L’auteur manie l’ellipse comme la syncope, ses néologismes technologiques sont des coups de cymbales et ses aphorismes, des saturations et distorsions du son d’une guitare. La poésie de Dantec se veut efficace, elle est comme un raccourci dans le labyrinthe qu’est le texte. Elle accompagne l’histoire dans sa trame et permet une convergence des sens et de l’intelligence vers la Vérité qu’il propose.
Le roman met en scène sans cesse le lien, comme élément manifestant l’existence et la liberté des êtres. Les jumelles sont reliées entre elles, et étendent en lianes invisibles leur esprit vers une plante aux origines andines, Plante Codex, devenue agent cognitif, puis vers la neuromatrice, cette machine mutante, puis avec l’arme choisie par Toorop, cet arc gallois, puis avec une femme, puis… Il y a ce qui relie Toorop aux jumelles Zorn, Darquandier à la neuromatrice Joe Jane, et Babylone Babies à Satellite Sisters. Ce qui relie se recommence sans cesse par et avec le Verbe. Peu importe le mode de transmission. Dantec a tissé ces liens comme des fils d'Ariane dans le système post-politique futur qui est devenu labyrinthe et piège.
Le futur de Satellite Sisters est apolitique. L’humanité infatuée d’elle-même, ayant glorifié le confort individuel, a engendré un système qui piège les individus pour stopper toute évolution. L’ONU dans sa version 2.0 ne souhaite manifestement pas qu’il y ait une suite à l’humanité. S’extraire de la globalité revient à provoquer la guerre. C’est la guerre du lien contre les systèmes. Grâce à l'écriture pop de Dantec, nous sommes élevés et amenés en apesanteur avec les héros pour se relier à eux. Dantec est à distance, il écrit depuis l’exil parfait, avec facilité et fluidité. Il pose les mots justes nécessaires à l’imaginaire. L’action, les conditions préalables à son déclenchement et ses conséquences sont comme écrites d’un bloc. Parce que le lieu de l’écriture est en dehors du temps, c’est à nous de réintroduire le temps lors de la lecture. Ce n’est pas le temps qui relie mais l’être. Satellite Sisters donne envie de devenir télépathe comme le sont les sœur Zorn entre elles et avec ceux qu’elles élisent, le roman finit par nous laisser l'impression d’être relié : aux héros, à l’écrivain.
En cherchant l’ultime planète, en cherchant l’ultime exil, l’exil efficace au sens qu’il correspond à un lieu séparé de l’espace, Maurice G Dantec crée le Paradis, un lieu où peut se poser l’arche d’une future humanité. Il y a dans le roman la distinction entre le lieu et l’espace. Le lieu porte l’Etre, l’être des jumelles Zorn notamment. Le temps de ce lieu est la toute éternité et permet l’existence de l’individu, son évolution à l’infini. Quant à l’espace, là où sévit la guerre, là où le temps signifie encore quelque chose, ce ne peut être que l’enfer.
Et l’enfer n’est pas noir, les ténèbres doivent être remplies de lumières non saisies. Dantec se fait peintre pour nous montrer les couleurs dans toutes leurs nuances, dans toutes leur mouvance, tantôt dans la jungle luxuriante où se déroule une guerre éclair, tantôt dans l’artifice des lieux de loisirs du Las Vegas orbital, tantôt dans la manifestation de la guerre spatiale et de ses conséquences. L’espace n’est pas noir, il est bariolé.
La quête du lieu dans l’Espace est intimement liée à la place réservée par Dantec aux femmes dans son livre. Le féminin est mis en avant comme jamais dans Satellite Sisters. Les jumelles Zorn sont comme le processeur du livre. Et chaque personnage féminin du livre, quand il apparait, permet un développement particulier de l’aventure, sa continuation, une étape supplémentaire dans la fuite vers l’infini. Plante codex et la neuromatrice agissent également dans l’imaginaire du lecteur comme des présences féminines. Tout se passe comme si ces « femmes » devaient penser et désirer les actions pour les rendre possibles et autoriser la narration, l’incarnation étant réservée aux hommes et à notre imaginaire. Ce féminin semble détenteur du secret de la création et pour cela doit être protégé à tout prix. C’est la mission de Toorop, c’est ce qui justifie le premier départ, le fait de quitter l’île-sanctuaire. Et petit à petit, ce féminin finit par protéger en engendrant. Nécessaire pour permettre notre fuite, le féminin apparait au final comme le tabernacle du secret de la suite.
L’Espérance est une aventure
Cependant, la vraie nouveauté portée par Satellite Sisters réside dans l’Espérance que nous rencontrons à la lecture du roman. Jamais un Dantec n’a été aussi lumineux. La mauvaise nouvelle de la chute de l’humanité et du monde semble dépassée par l’existence des jumelles Zorn dans l’univers. Il ne croit pas en l'homme, mais ce n'est pas grave puisque l'homme peut être dépassé. Demain sera pire qu’aujourd’hui mais ce n’est pas grave puisque nous avons déjà gagné. Le sacrifice est à l’œuvre. L’écrivain sacrifie ses héros, et ce n’est rien non plus puisque le livre leur survit. Dantec a écrit le roman où l’Espérance est une aventure. Elle y est appréhendée via l’exil comme mode de vie, le pèlerinage comme mode de survie.
Les héros effectuent d’abord sur Terre une course-poursuite à travers l’Océan Pacifique, l’Australie, les forêts subéquatoriales jusqu’au désert de poussière de Las Vegas. Ils passent ensuite de l’horizontal à la verticale vers le lieu de la conquête spatiale où l’hyper-capitalisme s’est déplacé, le Las Vegas orbital. L’exil se prolongera vers la Lune et Mars. Dans ce road-movie terrestre et spatial, l’exil est imposé par la guerre, puis petit à petit c’est l’exil lui-même qui provoque la guerre. Il y a toujours une guerre de plus qui attend les héros, plus globale, plus radicale. Dantec semble tenter de nous faire ressentir le dilemme lié à l’impérieuse nécessité de choisir son camp dans la guerre de tous contre tous. Le camp de l’homme pour Dantec, c’est l’exil. Il y a toujours l’espérance d’une fuite, d’une suite. Nous sommes dans la suite de Babylon Babies.
Des pourquoi au comment
Le roman crée un monde en même temps qu’il illustre le processus de la création elle même, non pas la création artistique, mais la création des mondes. Le narrateur parle de « l’incorporation du lointain futur dans le passé le plus proche. » Toorop, ce sage expert en stratégies, rabâche à ses interlocuteurs interrogatifs qu’ils ne peuvent avoir de réponses à leur pourquoi pour la simple et bonne raison que la vraie question est : « comment ? ». Dantec ne fait plus de théologie, il raconte une histoire. Il ne dit pas les choses, il les implique. La Théologie de Cosmos Incorporated est dépassée car devenue inutile. Ici, l’histoire incarne la vérité. Ici, l’histoire nous relie à la Vérité. C’est ainsi que Satellite Sisters peut contenir et dépasser tous les précédents romans de l’auteur.
Nous sommes désormais plongés dans le fonctionnement même d’une prophétie, au sens où il n’y a pas de réponse à une question, mais il y a, à chaque interrogation, une démultiplication des questions. La narration en marche pose des devinettes, nous révèle toujours une étendue plus vaste de questions. Ce mouvement est accompagné par celui de la fuite. Le plus développé existe toujours, l’étape d’après est toujours plus vaste et plus loin. Le lecteur confronté à cette narration ressent du vertige, de l’ivresse et du désir. Vertige face à l’étendue des questions posées engendrée par la réponse donnée. Ivresse d’être associé à la possibilité d’y répondre. Désir de démultiplier à l’infini le monde, désir d’éternité.
L’énigme elle-même est portée par le style Dantec. Comme toujours la musique, et plus particulièrement le rock, joue un rôle essentiel. On en parle, et on en fait. L’auteur manie l’ellipse comme la syncope, ses néologismes technologiques sont des coups de cymbales et ses aphorismes, des saturations et distorsions du son d’une guitare. La poésie de Dantec se veut efficace, elle est comme un raccourci dans le labyrinthe qu’est le texte. Elle accompagne l’histoire dans sa trame et permet une convergence des sens et de l’intelligence vers la Vérité qu’il propose.
La guerre du lien contre les systèmes
Le roman met en scène sans cesse le lien, comme élément manifestant l’existence et la liberté des êtres. Les jumelles sont reliées entre elles, et étendent en lianes invisibles leur esprit vers une plante aux origines andines, Plante Codex, devenue agent cognitif, puis vers la neuromatrice, cette machine mutante, puis avec l’arme choisie par Toorop, cet arc gallois, puis avec une femme, puis… Il y a ce qui relie Toorop aux jumelles Zorn, Darquandier à la neuromatrice Joe Jane, et Babylone Babies à Satellite Sisters. Ce qui relie se recommence sans cesse par et avec le Verbe. Peu importe le mode de transmission. Dantec a tissé ces liens comme des fils d'Ariane dans le système post-politique futur qui est devenu labyrinthe et piège.
Le futur de Satellite Sisters est apolitique. L’humanité infatuée d’elle-même, ayant glorifié le confort individuel, a engendré un système qui piège les individus pour stopper toute évolution. L’ONU dans sa version 2.0 ne souhaite manifestement pas qu’il y ait une suite à l’humanité. S’extraire de la globalité revient à provoquer la guerre. C’est la guerre du lien contre les systèmes. Grâce à l'écriture pop de Dantec, nous sommes élevés et amenés en apesanteur avec les héros pour se relier à eux. Dantec est à distance, il écrit depuis l’exil parfait, avec facilité et fluidité. Il pose les mots justes nécessaires à l’imaginaire. L’action, les conditions préalables à son déclenchement et ses conséquences sont comme écrites d’un bloc. Parce que le lieu de l’écriture est en dehors du temps, c’est à nous de réintroduire le temps lors de la lecture. Ce n’est pas le temps qui relie mais l’être. Satellite Sisters donne envie de devenir télépathe comme le sont les sœur Zorn entre elles et avec ceux qu’elles élisent, le roman finit par nous laisser l'impression d’être relié : aux héros, à l’écrivain.
La quête du lieu dans l’Espace
En cherchant l’ultime planète, en cherchant l’ultime exil, l’exil efficace au sens qu’il correspond à un lieu séparé de l’espace, Maurice G Dantec crée le Paradis, un lieu où peut se poser l’arche d’une future humanité. Il y a dans le roman la distinction entre le lieu et l’espace. Le lieu porte l’Etre, l’être des jumelles Zorn notamment. Le temps de ce lieu est la toute éternité et permet l’existence de l’individu, son évolution à l’infini. Quant à l’espace, là où sévit la guerre, là où le temps signifie encore quelque chose, ce ne peut être que l’enfer.
Et l’enfer n’est pas noir, les ténèbres doivent être remplies de lumières non saisies. Dantec se fait peintre pour nous montrer les couleurs dans toutes leurs nuances, dans toutes leur mouvance, tantôt dans la jungle luxuriante où se déroule une guerre éclair, tantôt dans l’artifice des lieux de loisirs du Las Vegas orbital, tantôt dans la manifestation de la guerre spatiale et de ses conséquences. L’espace n’est pas noir, il est bariolé.
La quête du lieu dans l’Espace est intimement liée à la place réservée par Dantec aux femmes dans son livre. Le féminin est mis en avant comme jamais dans Satellite Sisters. Les jumelles Zorn sont comme le processeur du livre. Et chaque personnage féminin du livre, quand il apparait, permet un développement particulier de l’aventure, sa continuation, une étape supplémentaire dans la fuite vers l’infini. Plante codex et la neuromatrice agissent également dans l’imaginaire du lecteur comme des présences féminines. Tout se passe comme si ces « femmes » devaient penser et désirer les actions pour les rendre possibles et autoriser la narration, l’incarnation étant réservée aux hommes et à notre imaginaire. Ce féminin semble détenteur du secret de la création et pour cela doit être protégé à tout prix. C’est la mission de Toorop, c’est ce qui justifie le premier départ, le fait de quitter l’île-sanctuaire. Et petit à petit, ce féminin finit par protéger en engendrant. Nécessaire pour permettre notre fuite, le féminin apparait au final comme le tabernacle du secret de la suite.