Michel-Georges Micberth : Un cri d’amour et de révolte
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Michel-Georges Micberth : Un cri d’amour et de révolte
« Les Vociférations d’un ange bariolé » de Michel-Georges Micberth
Michel-Georges Micberth (1945-2013) est un nom qui résonne peu aujourd’hui, et c’est bien dommage. Écrivain, pamphlétaire, éditeur et figure autoproclamée de l’« anarchisme de droite » et de l’« aristocratie libertaire », il fut une voix majeure du pamphlet au XXᵉ siècle. Pourtant, il demeure injustement méconnu. Son recueil Les Vociférations d’un ange bariolé, publié récemment par les éditions Lorisse, regroupe des textes incisifs parus principalement entre 1973 et 1974 dans Actual-Hebdo, un journal pamphlétaire qu’il avait lui-même fondé, ainsi que dans le controversé Minute. Ces chroniques, d’une liberté et d’une violence rares, nous plongent dans une époque révolue, plus irrévérencieuse, où la plume pouvait encore s’exprimer sans crainte de la censure contemporaine.
Une plume acérée, reflet d’une époque débridée
Micberth, c’est avant tout un style : un « style flamboyant où les niveaux de langue se mêlent dans un joyeux bastringue », comme le décrit si justement une critique. Argot cru, souvent sexuel, et finesse d’esprit s’entremêlent dans une prose excessive mais maîtrisée, qui fait tout le charme de cet art du pamphlet aujourd’hui presque disparu. « Le raffinement côtoie l’immondice », note une recension, et c’est précisément cette tension qui donne à ses textes une intensité unique. On y trouve des saillies provocatrices, comme lorsqu’il évoque Georges Pompidou : « Il y a quelques mois, nous avions un président de la République dret, coquet, dynamique, un chouia playboy ; et aujourd’hui il nous reste une sorte de machin ovoïde, un peu flasque, moumoute, très peu ressemblant, en fait, avec le modèle d’origine. Voilà, ça y est, j’ai compris. On nous a chauffé notre président de la République, pour le remplacer par un extra-terrestre. » Cette vacherie cinglante, typique de Micberth, illustre son goût pour la transgression et son mépris des convenances.
Ces textes, écrits au lendemain de Mai 68, capturent l’esprit d’une époque où la révolte, même de droite, avait encore droit de cité. Micberth, « anar de droite infréquentable » selon ses propres termes, cultive une révolte contre la révolte, un rejet viscéral des conformismes, qu’ils viennent de la gauche ou de la droite traditionnelle. Il dénonce avec la même verve les « petits pommadés de l’extrême droite » et les « embrigadés d’extrême gauche », se positionnant comme un défenseur farouche de l’unicité de l’homme et du « droit à la différence ».
Un cri d’amour pour l’homme et la liberté
Dans l’avant-propos des Vociférations, Micberth prévient : ces textes ne sont pas les plaintes d’un désespéré, mais « les gueulements d’un homme qui hurle d’amour, d’un homme qui a la foi dans l’homme et qui le crie à se faire saigner les poumons ». Cette passion pour l’humanité, paradoxale au vu de la violence de ses mots, transparaît dans ses réflexions. Dans le dernier numéro d’Actual-Hebdo, il écrit : « Aimer son pays, c’est avant tout ressentir au fond de soi une tendresse jaillissante pour la terre, la culture, l’homme. Aimer son pays, c’est refuser le tourbillon des clowns qui anime celui-ci depuis deux siècles. » Pour Micberth, aimer, c’est résister, refuser les compromissions et les honneurs faciles.
Cette foi en l’homme se double d’une méfiance envers les idéologies dominantes. Dans un texte publié en novembre 1975 dans Le Quotidien de Paris, intitulé « Vers une nouvelle droite », il défend une droite idéologique qui, loin des clichés, condamne « l’exploitation de l’homme par le bourgeois » et prône une attitude non conformiste : « Est vraiment de droite celui qui place l’homme dans son unicité originale, même s’il doit pour ce faire refuser le groupe. » Ces positions, qui rejettent à la fois le capitalisme populaire et le socialisme, résonnent encore aujourd’hui pour qui cherche une pensée libre, hors des sentiers battus.
Une liberté d’expression menacée
Relire Micberth en 2025, c’est aussi mesurer à quel point notre époque s’est éloignée de cette liberté d’expression qu’il incarnait. Aujourd’hui, la police de la pensée veille, et le moindre mot mal interprété peut mener à des procès ou à l’ostracisation. Cette frilosité étouffe les voix libres, et l’art du pamphlet, si cher à Micberth, semble condamné. Ses textes, qui choqueraient sans doute les « prudes oreilles contemporaines gangrenées par le politiquement correct », rappellent une époque où l’on pouvait encore écrire sans peur. Dans un article paru dans Minute, intitulé « Fasciste on n’est pas ! », Micberth dénonce déjà l’usage abusif du terme « fasciste » par une « jeunesse malade des glandes » : « Vous vous réclamez de l’amour, mais vous n’entendrez que la haine. »
Le fascisme, dans sa déformation péjorative, c’est vous, les petits khons de l’arbitraire. » Cinquante ans plus tard, cette critique des dérives idéologiques reste d’une actualité brûlante.
Rencontres et désillusions littéraires
Micberth n’épargne personne, pas même les figures littéraires qu’il croise. Dans une anecdote savoureuse, il raconte sa rencontre avec Lucette Destouches, veuve de Louis-Ferdinand Céline, à Meudon. Celle-ci, croyant qu’il venait pour des cours de danse (qu’elle donnait pour survivre, faute de droits sur l’œuvre de Céline), le flatte : « C’est étrange, vous êtes la première personne qui ne dit pas d’âneries sur Louis. C’est stupéfiant. » Mais Micberth, fidèle à son style, ne s’arrête pas à cet hommage. Il évoque aussi les désillusions : Lucette lui confie que tout a été pillé après la mort de Céline par des « charognards » comme « Robert Canard » et « Dominique Deroupette » – des noms déformés, typiques de l’ironie mordante de Micberth, qui renvoient à des figures bien connues des cercles littéraires. Il n’épargne pas non plus Céline lui-même, dénonçant « les flatulences de la triste âme de Ferdinand, son égoïsme violent, et son conformisme taré, plus abject que celui des bourgeois parce que plus lucide ».
Un héritage à redécouvrir
Les Vociférations d’un ange bariolé est une plongée dans un temps révolu, celui des années 70, où la liberté d’expression avait encore du panache. Excessif, polémique, souvent dérangeant, Micberth n’en reste pas moins un maître de la langue française, dont le style unique continue de fasciner. Ce recueil, à la fois cri de révolte et déclaration d’amour, nous rappelle l’urgence de préserver cet esprit libre qui manque cruellement aujourd’hui. Comme il l’écrivait lui-même, il s’agit du « cri d’un homme qui a toujours refusé le putanat », quitte à en payer le prix. À l’heure où la censure et l’autocensure dominent, Micberth nous invite à retrouver cette flamme de la liberté, même si elle brûle parfois les doigts.
Les Vociférations d’un ange bariolé, de Michel-Georges Micberth, Lorisse, 320 pages, 35 €.