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Processus d’islamisation, littérature et politique

Processus d’islamisation, littérature et politique

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Soumission ne parle pas de l’Islam, pas du tout ! Ah bon ? Au prétexte qu’il s’agit d’une fiction, il ne faudrait surtout pas considérer la dimension politique de ce roman qu’est Soumission. Comme s’il y avait une différence entre la politique et la littérature… Bien sûr Soumission ne présente pas une thèse de l’auteur. Les thèses ne servent qu’à écrire des essais qui sont achetés par des gens convaincus, cherchant à justifier leur point de vue, et ne les lisant au final pas. Non, Soumission est une narration, donc une écriture capable d’entrer dans un être, de s’y déposer et de le modifier. Et ce qui se dépose parle de l’Islam. Et ce qui se dépose parle de politique.

Un Islam d’autant plus vrai qu’il est modéré

Non Soumission n’est pas un petit roman moderne où l’auteur parle de son moi profond, c'est-à-dire de ses entrailles en se léchant le nombril. Il n’appelle pas les commentaires psychologisant des légions critiques gloseurs révélant l’effet miroir de l’homme, extrapolant en constatant : ça me fait quelque chose quelque part. Non. La place de l’Islam est essentielle dans le livre. La religion musulmane dans ce roman est bien plus qu’un simple décorum pour une intrigue. C’est le champ du possible pour révéler la capacité de l’homme postmoderne à se soumettre. C’est aussi et surtout la possibilité, par la rencontre faite avec le monde occidental, d’imaginer un Islam du point de vue le plus favorable et le moins caricatural pour l’homme d’aujourd’hui. Ce qui émerge de cette confrontation est un substrat quasiment inattaquable. Sur France 2, au lendemain de la parution de son livre, Houellebecq disait lui-même avec l’apathie qu’on lui connait que l’Islam de son roman est un Islam extrêmement modéré, sans doute le plus modéré du monde. C’est parfait, cela nous convient bien. Cela signifie qu’on va pouvoir l’attaquer frontalement, le critiquer radicalement sans que nous soit opposée une accusation d’amalgamisme, sans que nous soit imposée l’obligation de distinguer des méchants et des gentils. Merci à Houellebecq d’avoir imaginé ce monde de l’Islam modéré en Occident, de l’Islam humaniste.

L’Islam réinvente la paix romaine

Houellebecq ne fait certes pas une narration destinée à condamner l’Islam, c’est évident. Il crée une fiction où l’Islam est la suite logique d’une postmodernité. Le livre révèle donc une certaine conception de l’homme par l’Islam mais aussi dans la société occidentale. Il montre que nous sommes prêts, que la République et la société de consommation nous ont préparé à la soumission, pire, nous y ont déjà placés. Le livre de Houellebecq montre que le musulman sera le genre humain. Il est finalement le citoyen idéal pour succéder au consommateur qui avait succédé au soldat. Grâce à l’Islam, la République peut espérer organiser la paix mondiale, réinventer la paix romaine, de façon plus efficace qu’avec les droits de l’homme et les supermarchés. Mohamed Ben Abbes, le nouveau président de la République Française, conserve d’ailleurs l’essentiel des institutions républicaines et ambitionne de prendre la présidence de l’Europe en tournant le dos petit à petit à ses financiers du golfe. Le directeur de la Sorbonne devenu ministre dans le roman avait d’ailleurs construit sa thèse d’un Islam humaniste, et je crois bien que les deux mots vont très bien ensemble. Ce nouveau président musulman de la France souhaite en effet « incarner un nouvel humanisme, présenter l’Islam comme la forme achevée d’un humanisme nouveau, réunificateur… » (Soumission – Michel Houellebecq – Flammarion – ISBN 978-2-0813-5480-7 - p152)

La géopolitique selon Houellebecq

Au delà de l’Islam illustré offert par ce livre, le lecteur a accès à des visions géopolitiques du héros et de personnages du roman, tout à fait criantes de vérité et non soumises, puisque issues de la narration d’une sphère privée, à la censure du politiquement correct. Seule la narration peut dire des vérités, puisque ce sont les vérités toutes relatives dites par un personnage forcément critiquable par ailleurs. Les vérités géopolitiques sortent de la bouche d’interlocuteurs à figure d’expert du narrateur.

Ainsi on peut lire : « Curieusement, les pays occidentaux étaient extrêmement fiers de ce système électif qui n’était pourtant guère plus que le partage du pouvoir entre deux gangs rivaux, ils allaient même parfois jusqu’à déclencher des guerres afin de l’imposer aux pays qui ne partageaient pas leur enthousiasme. » (Ibid. p50) Ca sent l’aphorisme de comptoir et la critique du système UMPS à plein pot. A un autre moment, comme en confidence évidente, sort une phrase que tout le monde dit en privé et s’interdit de partager en public sur la sortie de l’Euro : « A long terme les conséquences pour l’économie française seront peut-être très bénéfiques ; mais dans un premier temps nous allons connaître des convulsions financières considérables. » (Ibid. p 87) Par ces dialogues, Houellebecq illustre l’hypocrisie de notre société actuelle, où tout le monde est d’accord sur les diagnostiques et les solutions et où personne n’a le courage de les porter publiquement.

Houellebecq livre également une analyse simple et criante de vérité sur une gauche tiraillée entre l’antiracisme et la laïcité. Il décrit cette gauche tétanisée par son antiracisme, qui ne parvient même plus à brailler quand sonne l’heure et à lancer « ses anathèmes depuis ses citadelles médiatiques sur le retour des heures sombres, l’ambiance nauséabonde »… L’Islam s’installe et détruit tous les combats antérieurs sur la laïcité et le féminisme sans plus aucune résistance efficace de la part de la gauche. On laisse même les juifs fuir notre République.

Deuil identitaire

Houellebecq n’est pas totalement dénué d’intentions. Il n’est, je pense, pas totalement neutre. Même s’il se sait capable de se soumettre, il livre dans sa narration, comme en souvenir ce qu’a été la France, sa culture, son rayonnement et ce qu’elle doit à la Chrétienté. En s’arrimant à son auteur de prédilection, Huysmans, il fuit. Il se retrouve à Martel… Mais rassurez-vous, l’Islam n’est pas du tout le sujet du livre. Et le village de Martel fonctionne dans l’imaginaire comme le symbole de la France : une terre rurale, un clocher, un bourg. Le paysage est celui des paroisses dessinées par saint Martin. Et puis il y a son escapade à Rocamadour, sa mini retraite de trois jours au monastère, qui peut en fait être vue comme une tournée d’au-revoir, d’adieu. C’était bien, c’était mieux, mais il n’a pas l’énergie d’aller vers ce passé, de s’y accrocher. Cette nostalgie nous est transmise et procure une sorte de révolte en nous, un sursaut identitaire. Choisissant le lieu de sa fuite, le héros optant pour le sud-ouest déclare : « le confit de canard me paraissait peu compatible avec la guerre civile » (ibid. - p126) Il y a dans cet aphorisme de terroir de quoi se rattacher aux oripeaux culturels français. Mais la sentence est sans appel, l’identité n’est que prétexte à en faire le deuil. Il donne d’ailleurs comme définition du fascisme : une tentative spectrale (…) de redonner vie à des nations mortes.

L’Islam : un humanisme contraire au féminisme

Cet Islam modéré et humaniste qui se construit, ne peut faire l’économie de la polygamie. Si l’Islam est accepté, c’est également qu’il permet aux mâles dominants de la société de disposer de plusieurs femmes, donc d’un plaisir légal, où le désir est hors jeu, la conquête est hors jeu. Il est amusant d’ailleurs de constater comment la polygamie a tout de suite pour conséquence de voir l’âge des épouses diminuer. La polygamie, organisant la raréfaction de la femme, fait cheminer tranquillement vers une forme de pédophilie. Mais ce n’est qu’un roman, ce n’est pas la réalité, bien sûr. A chacun de faire le tri. La réalité n’est peut être pas pire, qui sait ? Le rapport de l’homme à la femme semble trouver facilement sa place également du fait d’un féminisme agressif ayant ôté par le passé toute identité à l’homme occidental. Ce féminisme moderne a finalement rendu enviable et estimable le modèle musulman. Les hommes peuvent enfin être heureux de retrouver une véritable position dans la société, de se sentir beaux et désirables car apportant : sécurité, argent, statut, etc. Mais Houellebecq s’amuse à montrer l’amorce d’un échec de cette société si confortable, il lézarde les certitudes. En effet, comment tenir une vie sociale acceptable sans femme ? (Ibid. p235) La complémentarité homme-femme offerte dans une société occidentale serait un gage de monter le niveau des discussions ! Sinon, il ne reste que le foot pour faire société entre hommes. Ce constat ne va pourtant rien empêcher, il ne se pose qu’en parenthèse, un doute suspendu mais la conversion est inéluctable.

Opportunismes et collaborationnisme

Finalement la conversion à l’Islam de la France est à la fois le résultat d’une préparation à la soumission opérée par l’esprit révolutionnaire de la République qui a nié la personne humaine, et également le résultat d’une préparation à la soumission opérée par le matérialisme capitaliste qui a rendu extrêmement docile et triste l’individu postmoderne. Mais, nous constatons que la préparation n’est pas tout, la conversion à l’Islam est aussi le fruit de multiples opportunismes. Nous venons de voir l’opportunisme masculin souhaitant jouir sans la souffrance du désir, souhaitant recouvrer son identité mise à mal. Mais l’homme n’est pas le seul à trouver intérêt à la venue de l’Islam. L’argent achète tout. Françoise et son espion de mari sont achetés pour une retraite dorée en province, l’ami universitaire avoue également que « cela paye bien », le confort matériel accompagne le confort affectif. Les lendemains qui chantent arrivent, le peuple va roter tout seul dans sa mangeoire. Dans le bal des opportunismes, même les catholiques sont présents. Ils vont trouver un intérêt dans cette société pour que le fait religieux cesse d’être agressé. La droite bourgeoise peut se satisfaire que la racaille disparaisse du centre commercial Italie 2. Le « à quoi bon » se voit remplacé par un « pourquoi pas. » Après les opportunismes, nous voyons le collaborationnisme d’Etat se remettre en route. La force de la France est de toujours pouvoir miser sur son administration et l’esprit « fonctionnaire » d’un bon nombre d’individus dont les intellectuels. Ces derniers, dont Brückner, se mettent à produire les essais dont cette France islamisée a besoin. « L’intellectuel de France n’avait pas à être responsable, ce n’était pas dans sa nature » (Ibid. - p271).

La force de ce roman est de nous donner l’impression à chaque fois que l’on referme le livre, d’être dans cette société. On a l’impression que nous est racontée notre actualité. On prend ainsi conscience que notre propre soumission est déjà à l’œuvre. J’ai eu à plusieurs reprises envie de twitter contre Bayrou ou Mohamed Ben Abbes, avant de réaliser que nous avions encore à combattre Juppé et Tarik Ramadan. Le processus d’islamisation de la France décrit dans Soumission est on ne peut plus réaliste. Par ce processus, la littérature de Houellebecq dit beaucoup de notre préparation actuelle à la soumission. Il nous modifie en nous faisant sortir brutalement de l’illusion d’être encore un individu postmoderne dans une société purement occidentale. On regarde nos pieds et notre monde n’est déjà plus là.


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