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Relire Marcel Aymé contre la bêtise ambiante

Relire Marcel Aymé contre la bêtise ambiante

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Quand l'époque est à la sottise triomphante, à l'instinct grégaire victorieux en politique mais pas seulement, à la simplification extrême de la pensée, il n'existe pas beaucoup de solutions. On peut toujours lancer des mots d'ordre ronflants, des appels à la révolte que leurs auteurs s'empressent de ne pas suivre. On peut aussi agir comme l'a fait au moment des Guerres de Religion un ancien maire de Bordeaux, un certain Montaigne. Il en profita pour cultiver son goût de la vie, sa bibliothèque, son insatiable curiosité intellectuelle et spirituelle, et sa culture en lisant en particulier les philosophes antiques. Il finit par écrire lui-même toujours soucieux de rester libre et de s'affranchir des certitudes, ce « bonheur des imbéciles » comme l'écrivit Nietzsche.

Marcel Aymé avait sans doute moins de talent que son grand ami Louis-Ferdinand Céline, mais ce qu'il est écrit est bien plus humain, toujours bienveillant même si caustique et sans pitié envers les lieux communs et les préjugés. Il ne se soumit à aucun maître de penser politique ou autre, resta sans cesse libre, défendant Brasillach et des jeunes militants du FLN. Il écrivit même pendant la Seconde Guerre un article contre le sort réservé aux juifs par les autorités de l'époque et fut quand même accusé après 45 d'avoir été collaborateur car continuant à écrire des articles…

Marcel Aymé au delà de cela sera toujours d'actualité dans sa description de la nature humaine. Celle-ci en effet ne change pas depuis qu'il a écrit les premiers contes du Chat perché. Elle est toujours aussi déplorable. C'est d'ailleurs le propre du fantastique qu'il y a dans ses contes et nouvelles :

Qu'il arrive quelque chose d'extraordinaire voire de surnaturel à une personne celle-ci se conduira de manière toute aussi pitoyable qu'auparavant. Un type qui devient beau et séduisant n'aura de cesse que de revenir à son ancienne vie alors qu'il a la possibilité d'en changer du tout au tout. Un brave homme recevant une auréole en cadeau divin s'entêtera à la perdre en commettant le plus de péchés possibles car sa femme et lui auront peur du « qu'en dira-t-on », un modèle de cartes postales pieuses finira par se prendre pour les saints qu'ils incarnaient. D'anciennes déesses païennes se promènent dans les marais mais les paysans qui les rencontrent seront aussi avides et durs avec les faibles. Face au pauvre Dermuche redevenu enfant, cadeau du divin, ses juges seront impitoyables et lui couperont quand même la tête. Duttillheul qui traverse les murs ne trouve rien de mieux que de se conduire en parvenu etc.

Marcel Aymé écrivit également formidablement sur la politique. Rien n'a véritablement changé depuis les années 30. Nos politiques tous issus de la même caste affichent toujours les mêmes lieux communs vaguement humanistes, jouant la comédie plus ou moins intelligemment. Il s'agit pour eux au fond et toujours et encore de défendre les intérêts matériels de leur classe, un mode de vie proprement amoral au sens concret du terme, sans se soucier du reste. Ne comptaient déjà que l'apparence, les paravents, les attitudes et aucunement que tout cela ne soit profond. Je songe au père de famille de la nouvelle « la canne », aux familles de « Travellingue », au mari de « Aller-retour ».

Et bien entendu, en la matière « Uranus » reste indépassable ainsi que Traversée de Paris qui se termine chez Marcel Aymé beaucoup plus sombrement, Martin le type sans histoires, n'hésitant pas à toutes les bassesses pour survivre, tuant Grandgil l'individu hors-normes, trop libre à la fin de l'histoire. Dans cette histoire célèbre, les êtres humains s'habituent et se satisfont de tout, y compris l'horreur et l'abjection, ne s'inquiétant que de leurs petites personnes.

C'est aussi le cas dans Uranus où les personnages rajoutent à leur hypocrisie en se cachant pour les uns derrière une idéologie, pour les autres derrière une feinte indifférence, un seul étant lucide, le profiteur du marché noir qui a retourné sa veste au bon moment pour continuer à faire des affaires, les maîtres ayant juste changé. Seuls l'ingénieur ou le cafetier du roman, Leopold, sauront montrer un peu d'humanité et de compassion. Il faudra qu'ils en soient punis…

Tout n'est pas perdu chez Marcel Aymé car il y aura toujours des enfants, et si l'esprit d'enfance demeure, le monde sera toujours un peu moins triste. Je parle ici du véritable esprit d'enfance et non de l'infantilisme en vogue dans nos sociétés et ce dans tous les milieux. Bien sûr l'auteur des bottes de sept lieues sait aussi très bien que les travers de l'humaine nature touchent déjà les gosses, mais cependant parfois un peu moins que chez les grandes personnes dites raisonnables.

NB : Ses contes sont disponibles en intégrale chez Gallimard « Quarto », tous ses romans et pièces de théâtre sont largement accessibles en « livre de poche » et « Folio »


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