Romanidès : l’orthodoxie au cœur
Livres Mauvaise Nouvelle https://www.mauvaisenouvelle.fr 600 300 https://www.mauvaisenouvelle.fr/img/logo.pngRomanidès : l’orthodoxie au cœur
Heureux sommes-nous de pouvoir lire Romanidès. Jean Romanidès était un théologien orthodoxe, sans doute le plus grand que le XXème siècle ait compté, et grâce à la collection Contrelittérature dirigée par Alain Santacreu, ce théologien est traduit en français pour la première fois et vient jusque dans notre Occident catholique. A nos risques et périls, car la lecture de ce théologien ne sera pas sans effet sur nous. Nos certitudes et notre confort intellectuel volent littéralement en éclat, non seulement par l’approche orthodoxe du théologien, mais aussi par les connaissances qu’il nous apporte à un degré supérieur de précision. Et ce n’est pas un hasard si c’est dans la collection Contrelittérature que cet ouvrage sort. Car il y a quelque chose de contraire chez Romanidès : sa théologie. Il livre le contraire de la théologie telle que nous l’entendons en Occident. C'est-à-dire qu’il prie, tout simplement, tout premièrement.
Le contraire de la théologie
Impossible pour moi de nourrir une controverse avec l’orthodoxie, je vais donc me contenter de restituer ce que j’ai retenu dans mes filets. Dans la présentation de l’ouvrage faite par Mgr Philarète, nous recevons déjà une claque : « Le but de la vie n’est pas de faire des actes moralement bons, qui seront récompensés après la mort par le paradis, tandis que l’enfer serait donné aux méchants. Ce qui vient après la mort, c’est la manifestation de Dieu, du Christ, dans toute Sa gloire. Tous sans exception Le verront (…). Il dépendra de nous que cette vision soit ciel ou enfer. » (Théologie empirique – Jean Romanidès – L’Harmattan – collection Contrelittérature – ISBN 978 2 336 30908 8 6 p37). Voyait-on les choses vraiment comme ça, même en rejetant le moralisme avec force ? Mgr Philarète nous introduit à la lecture de Romanidès en décrivant d’abord sa vie, puis sa prière, sa pensée et enfin en nous communiquant la méthode de la théologie orthodoxe. « La méthode spirituelle en question ne consiste pas à farcir l’esprit de notions », mais au contraire, à en chasser les pensées, bonnes ou mauvaises, par la prière qui devient permanente « l’on doit se souvenir de Dieu plus que respirer », dit saint Grégoire le Théologien (ibid. - p44). L’approche orthodoxe a trois caractères : pieux, négatif (théologie apophatique) et dynamique. C’est dire si tout s’ancre dans la prière, l’exégèse est avant tout contemplation de l’écriture, dans la conscience que toute tentative de qualification positive de Dieu nous est immédiatement ôtée car ayant l’incapacité de dire réellement quelque chose de Dieu, et le tout sous la forme d’un jaillissement d’un cri d’amour.
Quand la théologie est thérapie
A partir de cette mise en garde, nous plongeons dans la pensée de Romanidès comme dans un tourbillon. Oui, c’est cyclique. Oui, il se répète. Mais il faut dire qu’on a la tête dure, et un cœur de pierre. Cette répétition nous fait comprendre que l’on n’a forcément rien compris, c’est une épreuve d’humilité, voire de purification par la lecture qui s’offre à nous. Nous sommes pétris. Il ne dira rien de nouveau, mais renouvèlera sans cesse son discours. Pour Romanidès, la tradition orthodoxe ne se laisse pas réduire à un système abstrait et métaphysique. Pour lui la théologie est thérapie, elle guérit l’âme, « elle serait plus parente de la psychiatrie moderne ». Et cette guérison suit trois étapes : la purification, l’illumination et la glorification. Ce sont les êtres qui possèdent la prière incessante qui atteignent la glorification, et ce sont les mêmes qui doivent former l’Eglise, « sans eux le corps du Christ n’est pas. » (ibid. - p127). Romanidès qui ne voit aucune distinction entre le travail et la prière, refuse la philosophie. Nos certitudes s’effondrent lorsque, reprenant les pères de l’Eglise, le théologien accuse Saint Augustin de nous avoir éloignés de la vérité. Nous voilà démunis face au mystère. Je découvre qu’il y a un problème avec Saint Augustin. « Nous devons poser une distinction radicale entre la doctrine sur Dieu et le mystère de Dieu. Augustin a confondu les deux choses et a pensé, qu’en acceptant la doctrine, il pourrait, par la foi, comprendre le mystère. » (ibid. - p128). Saint Augustin aurait également confondu l’essence de Dieu et les énergies de Dieu. Le Fils peut envoyer l’Esprit Saint sans que ce dernier procède de lui. Il relie ces « approximations », ces « erreurs », à la volonté franque de conquête de la romanité. Le lien est désormais fait avec le politique, et avec la crise du filioque ininterrompue jusqu'à nos jours. Cette Approche là aussi nous « décentre ». Nous avons tendance à regarder l’histoire depuis Charlemagne et à qualifier de grec et de schismatique ce qui ne fut peut-être que la romanité conservée, sanctuarisée.
Le Christ omniprésent
Ce qui m’inquiète est de découvrir par ce livre la présence du Christ dans l’Ancien Testament. Avais-je une vision trop linéaire des choses, avais-je fini par convoquer la toute éternité dans notre histoire trop humaine ? « Le Christ dans l’Ancien Testament n’est pas le Messie, mais l’Ange du Seigneur, l’Ange du grand Conseil, le Seigneur de gloire. Ce n’est pas le Messie qui a été élevé à la divinité par le Christianisme primitif mais, au contraire, c’est le Seigneur de Gloire qui s’est fait homme par Sa naissance de la Vierge Marie, devenant le Messie » (ibid. - P 132). Voilà bien de quoi modifier mon regard et notre rapport à la judéité encore aujourd’hui. Jésus est partout et je l’entends me murmurer : homme de peu de foi.
Ascèse spirituelle et guerre totale à Satan
Petite inquiétude : la mise au rebus de toute métaphysique, cette science qui questionne l’existence des choses. J’y suis attaché, et la voir mise de côté me laisse intellectuellement et émotionnellement tout nu. Mais l’approche du pêché et de la mort que Romanidès propose va me remettre dans les rails, dépouillé de mon orgueil d’avoir raison. « La mort, entre les mains de Satan, étant la cause du pêché » (ibid. - p136), et « du fait de la peur et de l’angoisse, les relations avec autrui et avec Dieu sont des relations utilitaristes » (ibid. - p99) car Dieu n’est alors qu’une « projection psychologique du besoin de sécurité. » Et donc pour se débarrasser de cette angoisse de la mort qui fait de moi un pêcheur, que m’éloigne tellement de Dieu, qu’une fois face à sa Gloire, je ne verrai qu’un feu me consumant, il faut que j’atteigne l’amour désintéressé, condition sine qua non du salut (ibid. - p149). Comment ? Ni par décision intellectuelle, ni par une inclination sentimentale pour le bien, ni par conviction psychologique de prédestination, nous dit Romanidès. Lâchons prise, écoutons le docteur des âmes : ascèse spirituelle et guerre totale à Satan.
Participer à l’œuvre de Dieu
Après avoir achevé la lecture de cette théologie empirique de Romanidès, lecture venant après bien d’autres ayant tellement gonflé mon crâne jusqu’à une certaine jouissance intellectuelle permanente, j’en viens à désirer un reset général. On ne nous demande pas de faire telle ou telle chose, on ne nous demande pas de faire de la théologie pour progresser dans la connaissance de Dieu. On nous demande simplement d’être des saints. Cela m’évoque ce que rappelait sans cesse Saint Josemaria. Mais comment être des saints ? La théologie orthodoxe semble n’exister que pour répondre à cette question très pratique finalement.