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Saint Ex, écrivain de la présence

Saint Ex, écrivain de la présence

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Les éditions Pierre-Guillaume de Roux nous gratifient parfois de trésors. Le petit opuscule de Sylvain Fort, Saint-Exupéry Paraclet, est l’une de ces pépites rares. Notre auteur et critique musical a su trouver dans l’œuvre de cet « écrivain des temps de détresse » une matière qui nous rend plus tangible et plus intégrale la compréhension de ce que nous sommes en tant qu’hommes : « L’effort de Saint-Exupéry pour sauver nos âmes demeure pour nous un fanal dans la nuit. Il n’eut pas le temps de livrer tous ses trésors, mais il importe aujourd'hui qu’il soit encore des hommes pour entendre sa parole. Elle est celle d’un consolateur. D'un protecteur contre la détresse des temps. D'un Paraclet. » Saint-Exupéry, fâché par la modernité et le divertissement dans lequel ses contemporains se complaisent, a ces mots résignés : « Je suis lourd de trésors inutiles, comme d’une musique qui jamais plus ne sera comprise. », et puis, dans la Lettre au général X « Ainsi je suis profondément triste – et en profondeur. Je suis triste pour ma génération, qui est vidée de toute substance humaine. Qui n’ayant connu que le bar, les mathématiques et la Bugatti, comme forme de vie spirituelle, se trouve aujourd'hui entassée dans une action strictement grégaire, qui n’a plus aucune couleur. » ; « Ceux que je hais, c’est d’abord ceux qui ne sont point. (Citadelle) » ; « Moi qui hais ce bétail et l’homme vidé de sa substance et sans patrie intérieure. »  Lui sait, en pilote confronté au péril et à la solitude du désert, que « l’homme est animé d’abord par des sollicitations invisibles, qu’il est gouverné par l’Esprit. » : son apologie de l’invisible est présente dans Le Petit Prince mais aussi dans toute son œuvre. Il est hanté par les souvenirs de l’enfance qui lui sont comme une constante « morsure du réel ». Sylvain Fort rappelle que Le Petit Prince n’est peut-être pas un conte mais « le plus fidèle récit qu’un enfant ait jamais livré de son expérience du monde. La tristesse, la mélancolie, puis le rire vivace, les larmes, la séparation, la peur de ne plus se revoir, l’angoisse de mourir sont des sentiments qu’un enfant éprouve avec une violence inouïe, que la maturité saura mater parfois jusqu'à extinction complète. » Dans Lettre à sa mère, Saint-Exupéry a cette phrase qui révèle l’esprit d’enfance qui ne le quittera jamais : « Ce monde des souvenirs d’enfance me semblera toujours désespérément plus vrai que l’autre. C’est un drôle d’exil qu’être exilé de son enfance. »

Sa vision de la mort est consubstantiellement liée à la vie. Écrivain de la présence, il cherche à tutoyer sa finitude, à s’incarner intensément, et tient pour libération l’heureuse urgence d’exister, dans Pilote de guerre : « C’est comme si ma vie m’était, à chaque seconde, donnée. Comme si ma vie me devenait, à chaque seconde, plus sensible. Je vis. Je suis vivant. Je suis encore vivant. Je suis toujours vivant. Je ne suis plus qu’une source de vie. L’ivresse de la vie me gagne. ». Il aspire absolument aux confins de l’âme, dans Lettre à un otage : « J’ai besoin d’aller là où je suis pur. », et justifie le sacrifice comme accomplissement de la vocation de l’homme : « Tu te découvres grand et tu ne sauras plus l’oublier. Et c’est toi-même. Tu as le sentiment soudain que tu t’accomplis dans l’instant même et que l’avenir t’est moins nécessaire pour accumuler des richesses. Celui-là a ouvert ses ailes qui n’est plus lié aux biens périssables, qui accepte de mourir pour tous les hommes, qui rentre dans je ne sais quoi d’universel. […] Maintenant tu peux bien courir le risque de mourir (Madrid). »

Au sujet de l’incarnation, épicentre de son œuvre, l’enseignement de ce maître est précieux dans Pilote de guerre : « Nous nous sommes trompés trop longtemps sur le rôle de l’intelligence. Nous avons négligé la substance de l’homme. Nous avons cru que la virtuosité des âmes basses pouvait aider au triomphe des causes nobles, que l’égoïsme habile pouvait exalter l’esprit de sacrifice, que la sécheresse du cœur pouvait, par le vent des discours, fonder la fraternité ou l’amour. Nous avons négligé l’Être. » Autre leçon encore sur la grandeur de l’imperfection, sur l’imperfection de la vie et donc sur la grandeur de la vie, dans Courrier sud : « Je suis le défaut dans l’armure. Je suis la lucarne dans la prison. Je suis l’erreur dans le calcul : je suis la vie. »


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