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Si on chouannait…

Si on chouannait…

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Voilà une entreprise passionnante ! S’attaquer au beau pavé, dans tous les sens du terme, d’Anne Bernet intitulé Histoire générale de la chouannerie. Ce soulèvement de l’Ouest pendant la révolution française correspond à une « mosaïque d’insurrections peu coordonnées, discontinues dans le temps et dans l’espace ». Contrairement à la Vendée militaire, habitée d’un « peuple de géants », qui disposait d’une armée catholique et royale et d’illustres mémorialistes tels la marquise de La Rochejaquelein et Napoléon 1er, les chouans ne furent que d’obscurs paysans rebelles qui « livrèrent une guerre de coups de main, de buissons, une guerre de chemins creux et d’embuscades nocturnes ». Alors pourquoi s’intéresser au destin singulier de ces hommes et ces femmes que l’histoire officielle a rangés au placard des oubliés et des ombres errantes ? Qu’avaient-ils en commun de si précieux pour unir leurs trois provinces ? La Foi ? Un caractère indomptable en ces terres où « lève en fleur de bruyère la grêle d’insoumission » ? Tout cela bien sûr, et plus encore. La chouannerie a proclamé à la face du monde que l’homme est libre, « libre de vivre comme il l’entend chez lui, libre de prier comme il le veut, et que cette liberté vaut de mourir pour la sauvegarder ». Un testament pour les temps qui suivront. Et peut-être un modèle de résistance utile. Face aux grands bouleversements qui nous font face, déchristianisation, perte de toute transcendance, affaissement moral du genre humain, disparition de notre civilisation, submersion de l’Occident chrétien par les barbares de l’islam, il est crucial de se plonger dans ce moment de notre histoire riche d’enseignements, si par quelque hasard nous étions conduits à devoir nous opposer à la tyrannie du monde moderne, autrement dit si nous étions contraints de chouanner. Le souvenir du sang versé, l’honneur et le courage de ces populations de l’Ouest sont assurément des phares qui clignotent dans la grisaille de notre temps.

Une succession d’événements inacceptables pour ces habitants de l’Ouest causa angoisse et généra perte des repères de toujours : avril 1790, refus de l’Assemblée de déclarer le catholicisme religion d’Etat ; juillet 1790, constitution civile du clergé, mesure gallicano-révolutionnaire et schismatique ; interdiction le 13 février 1792 de célébrer le culte catholique non conformiste ; chasse ouverte aux bons prêtres réfractaires ; exactions contre les fidèles. Dans ce contexte de violence inouïe, spirale diabolique de haine et de folie, certains hauts faits de cette mystérieuse insurrection et quelques-unes de ses figures héroïques méritent notre attention.

L’abbé Cormeaux, face à la persécution qui sévit et à l’accusation de fanatisme dont font l’objet les catholiques, notamment dans la presse rendue paranoïaque par un prétendu complot ecclésiastique, publie cet admirable droit de réponse : « Mais je suis un « fanatique » ! J’ai un attachement aux principes de la conscience, de la justice, de la religion ; attachement que rien ne peut ébranler, ni menaces, ni promesses, ni la crainte, ni la mort. Or, par la grâce de Dieu, telle est l’heureuse disposition où je suis et où j’espère être jusqu’à la fin. On appelait « fanatiques » les martyrs ; et depuis que les persécutions avaient cessé, on a souvent prodigué le nom de « fanatiques » à ceux qui soutenaient avec zèle la cause de Jésus-Christ ».

Ce peuple breton qui s’est donné pour devise « plutôt la mort que la souillure » a vu naître en son sein le marquis de la Rouërie qui œuvra pour l’unification du Maine et de la Bretagne et fut le fer de lance de l’Association bretonne : « bretons et concitoyens des différentes provinces que la religion et l’honneur rassemblent ici, on vient de vous donner connaissance de mes pouvoirs, celle de mes desseins. C’est pour votre bonheur que je les ai formés. Il n’est pas un de nous, mes compagnons, que les crimes et les désordres de la Révolution n’aient pénétré d’horreur. La preuve la plus évidente et la plus utile que vous puissiez donner de vos sentiments est votre union actuelle autour d’un chef commissionné au nom du Roi par les Princes, frères de Sa Majesté. En rendant à l’Eglise ses véritables pasteurs, en protégeant l’influence et la dignité de votre culte béni, en protégeant les individus et les propriétés contre tous les genres de brigandages, vous hâterez le retour de la constitution bretonne. Pour moi, mes braves amis, se trouve un moment de gloire dans ma vie : c’est celui où, confondant mes principes, mon honneur, mes espérances et mes dangers avec les vôtres, je promets, en votre nom et au mien, à mon Dieu, à ma patrie et à mon roi, de les servir aux dépens de ma fortune et de ma vie. Jurons tous de nous dévouer sans réserve à une si noble cause et que nos amis et nos ennemis sachent enfin que, dans la faible partie de la France que nous habitons, il y a une force irrésistible composée d’hommes dignes de l’honneur du monde entier ».

Force irrésistible composée d’hommes exceptionnels comme Jean Cottereau, Georges Cadoudal, Philippe de Talmont. Combattre, être fidèle, vivre et mourir pour l’honneur : voilà bien des vertus oubliées de nos jours. Anne Bernet rappelle qu’en pays chouan, « il y a des familles où, quel qu’en soit le prix, l’on ne détourne pas les enfants de leur devoir ou de leur vocation ». Evoquons l’épouvantable calvaire des sœurs de Jean Cottereau, Perrine et Renotte à peine âgées de 18 ans et 15 ans. Gravissant l’échafaud, à la manière des bienheureuses carmélites de Compiègne, Perrine intime à sa jeune sœur terrorisée et prête à défaillir de demeurer altière dans la mort. Au moment de subir la mortelle haine révolutionnaire, Perrine crie d’une voix courageuse : « Vive le Roi ! Vive mon frère Jean Chouan ! Que Dieu les protège, et qu’il me fasse miséricorde ! ». Les derniers mots de leur frère Jean Chouan, mortellement blessé, furent ceux-ci : « taisez-vous… je suis frappé à mort, je le sens bien. Je n’en ai plus pour longtemps. Mais puisque le Bon Dieu m’accorde la grâce de vous parler encore une fois, je veux me hâter de remplir envers vous mon dernier devoir, qui est de vous engager à rester fidèles à notre Roi et à notre religion. Mes pauvres amis, vous aurez encore de rudes moments à passer…Je vous demande de les supporter en chrétiens, l’heure viendra où vous en aurez la récompense, et si ce n’est pas dans ce monde, eh bien ce sera dans l’Autre ! C’est la même récompense que j’espère pour moi, si la cause pour laquelle je me suis sacrifié a pu me mériter le pardon de mes fautes. Je compte aussi pour cela sur le secours de vos prières, car je sais que vous ne m’oublierez pas… ».

Edifiés par ces comportements sublimes, osons une simple interrogation : si on refusait les diktats du monde post-moderne qui nous fait l’adorer et nous contraint de brûler ce qui, jadis, nous était le plus cher : l’honneur, Dieu, la patrie, la parole donnée, la vérité ? Si on chouannait ? Mais en avons-nous seulement la force et l’étoffe ? Dieu seul le sait.


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