Le leadership vertueux
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Non, il ne s’agit pas là d’un énième ouvrage médiocre sur le management où l’on vous débite les poncifs de la bienveillance dans le seul but d’instrumentaliser les personnes au travail. Nous avons, entre les mains, autre chose, une matière bien différente à l’image de la couverture illustrant une ingénue et splendide Jeanne d’Arc, œuvre du peintre Léon-François Bénouville. Il s’agit du livre d’Alexandre Dianine-Havard, paru en octobre 2018 et intitulé Le leadership vertueux. Sans être un oxymore, le titre surprend en associant deux termes rarement agrégés ensemble ; l’un est un terme anglo-saxon sur-usité et dépourvu de réelle substance, l’autre renvoie à des valeurs oubliées par notre époque. Beau défi en perspective, donc. Havard est un auteur russe francophone, avocat et enseignant en top-management auprès d’entités prestigieuses : la Russian Railways qui compte un million d’employés, ou encore l’Ecole de Guerre de l’US Army et l’Ecole de Guerre de l’US Navy. Avec un tel curriculum vitae, nul doute que l’on puisse trouver au fil de la lecture une substantifique moelle offrant des clés précieuses pour renouveler la vision du management dans l’univers du travail.
Des figures édifiantes sont mises en exergue telles des modèles d’engagement à imiter : Charles de Habsbourg luttant pour la paix durant la terrible 1ère Guerre Mondiale ; Stolypine et sa noble ambition de permettre aux petits paysans russes de devenir propriétaires de leur exploitation ; Jérôme Lejeune, découvreur de la trisomie 21, se battant pour l’accueil inconditionnel de toute vie ; François Michelin, dirigeant catholique, et sa vision pédagogique d’une nécessaire collaboration de l’entreprise à l’œuvre créatrice de Dieu ; José-Maria Escriva de Balaguer fondateur de l’Opus Dei et sa « sanctification pour tous » ; Jean-Paul II et son révolutionnaire « n’ayez pas peur » qui, alors qu’il inaugure son pontificat, appelle les peuples à combattre le communisme et l’athéisme ; et encore, Mère Teresa de Calcutta, Jeanne d’Arc et bien d’autres. On le voit, les domaines de la vie sociale pris en exemple sont variés et n’appartiennent pas toujours au strict champ de l’entreprise et de l’économie. Les personnalités hors du commun qui jalonnent l’ouvrage invitent naturellement à prendre une belle hauteur grâce à la plume élégante de notre professeur. La vérité est convoquée, le mensonge, lui, est jugé infréquentable car il tue systématiquement dans l’œuf la propension de l’homme à aspirer aux grandes choses. C’est l’un des mérites de Havard, et non des moindres, de nous amener sur des lignes de crête pour, aujourd’hui comme hier, contempler cette humanité à laquelle nous avons chacun une pierre singulière à apporter. Pour lui, le leadership concerne non pas quelques privilégiés mais le plus grand nombre. C’est une vocation à caractère universel, un peu à la manière de la sainteté qui se propose à tous les hommes de bonne volonté. D’ailleurs, on comprend au fil de la lecture que le leader paré de la vertu de sainteté figure l’archétype idéal du bon manager, cet homme dont notre société a tout autant besoin que les sociétés commerciales. S’inscrivant dans le principe de réalité, où l’adage « être dans le monde et pas du monde » peut se vivre comme un idéal, la science de la vertu peut alors se déployer. Le géant Jean-Paul II disait à cet égard : « Le système aristotélicien des vertus est basé sur une authentique anthropologie. Ce système, sur lequel la réalisation personnelle dans la liberté humaine et la vérité dépend, peut être qualifié d’exhaustif. Ce n’est pas un système abstrait ou un a priori. » La vertu est une capacité de l’esprit humain, de la volonté humaine, et aussi du cœur. Pour établir une éthique de la vertu, il faut cultiver ses composantes comme une habitude. Le programme du leader d’entreprise, ainsi défini et quoique fort ambitieux, semble limpide.
Havard approfondit sa philosophie du management et s’appuie sur Soljenitsyne, l’un de ses maîtres, pour nous conter la vérité du cœur humain : « Si les choses étaient si simples ! Si seulement on pouvait identifier les gens mauvais qui commettent insidieusement des actes mauvais, les séparer des autres et les anéantir ! Mais la ligne de démarcation entre le bien et le mal traverse le cœur de chaque être humain. Et qui est volontaire pour détruire son propre cœur ? » Lumineuse interrogation que le manager doit avoir sans cesse à l’esprit pour ne jamais jeter la première pierre, celle qui blesse ou fracasse, et prendre le soin de peser, soupeser toutes les dimensions d’une situation donnée.
La notion de magnanimité, « cette tension vers les grandes choses », et d’humilité, « cet abaissement devant Dieu et ce qui est de Dieu dans autrui », seraient les vertus essentielles caractérisant le leader. Havard puise chez l’auteur de Chemin, Monseigneur Escriva de Balaguer, pour nous livrer une juste définition de la magnanimité : « Elle est grandeur d’âme, ouverture du cœur au plus grand nombre. Force qui nous dispose à sortir de nous-mêmes, à entreprendre des actions valeureuses, pour le bien de tous […]. Le magnanime s’adonne sans réserve à ce qui en vaut la peine ; c’est pourquoi il est capable de se donner lui-même. Donner ne lui suffit pas : il se donne. » Pour circonscrire la notion d’humilité, l’auteur convoque Thomas d’Aquin qui ne s’embarrasse pas d’ellipse : « Mépriser les dons que Dieu nous a donnés n’est pas de l’humilité, mais de l’ingratitude. » Il faut ici entendre que la véritable humilité consiste à faire fructifier nos talents sans les mettre sous le boisseau. Cela oblige à exercer ses responsabilités et ne pas fuir les affaires des hommes. Havard synthétise ces deux traits essentiels du manager, et de l’honnête homme en fait, par l’exemple de la personne du Christ : « Jésus-Christ fit preuve à un degré extrême de magnanimité en accomplissant la mission la plus élevée qui puisse exister : obtenir pour l’homme sa divinisation ainsi que son salut et son bonheur éternel. Il fit preuve en même temps à un degré extrême d’humilité : il prit la forme d’un serviteur, mourut sur une croix et offrit son corps à l’humanité comme nourriture spirituelle. »
Bien sûr, il est inconcevable de traiter le sujet du leadership ou du management vertueux sans aborder la question de la subsidiarité qui occupe une place de choix dans la Doctrine sociale de l’Eglise. De quoi s’agit-il ? En quoi un bon manager devrait-il s’en inspirer ? La recette de la subsidiarité est la suivante : confiance, délégation de pouvoir, non interférence par un leader dans le périmètre de tâches ou de compétences d’un subordonné, encouragement à la co-construction ou la co-responsabilité du résultat, esprit de service et motivation altruiste. Nul besoin d’entrer dans le détail de ces piliers du leadership efficace et vertueux. Cette vision généreuse est un contrepied évident au management séculariste, matérialiste et utilitariste qui règne dans la plupart des entreprises. La source juridique de la subsidiarité se trouve, faut-il le rappeler, dans les grandes encycliques sociales Rerum Novarum de Léon XIII (1891) et Quadragesimo Anno de Pie XI (1931).
Pour nous aider à bien comprendre la psychologie répandue dans le monde du travail, notre auteur évite le piège manichéen qui consiste à considérer les salariés comme les principaux fautifs du manque d’implication, de l’instabilité des équipes et du turn-over, du désamour puis de la désaffiliation de ces mêmes employés à l’égard de leurs entreprises. Ce discours lénifiant est ressassé à l’envi par les organisations patronales et passe à côté de l’essentiel. Observateur à l’acuité laser, Havard voit les choses comme elles sont en réalité : « Les enquêtes démontrent que la loyauté des employés vis-à-vis de leurs chefs est en crise, parce que la loyauté des chefs à leur égard est de plus en plus douteuse. » La logique libérale classique du rapport employeur/employé est ici contestée et doit s’incliner devant l’humanisme chrétien fondé sur la dignité de l’homme. L’épicentre des objectifs n’est plus le seul appât du gain et la hiérarchisation agressive, mais le partage, la création de richesse puis la juste redistribution, ainsi que la considération de la dimension sacrée de l’homme au travail.
Dans ce précieux vade-mecum pour mieux vivre en entreprise et pour assumer ses responsabilités de façon chrétienne, l’auteur offre un ultime petit sésame : « Quand nos faiblesses conduisent à désespérer, se souvenir de ces paroles de l’Ecriture : "Pour les hommes, c’est impossible, mais pour Dieu, tout est possible". » Nul doute, Havard est bien un enfant inspiré de Soljenitsyne. Que la Russie est belle.