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Synthèse des relations maître-disciple

Synthèse des relations maître-disciple

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VIII. Synthèse des relations maître / disciple

A. L’action du maître :

Le mode instructif suivra le mode naturel de connaissance. Chez saint Augustin, le maître était en quelque sorte un éveilleur de connaissances : il oriente l’élève vers une connaissance déjà présente en lui. Chez saint Thomas, le rôle du maître est plus décisif : il manifeste le mode de connaître de sorte que l’élève en prenne conscience et conduise ensuite sa propre démarche de connaissance vers la vérité. Ici, le mode est de passer du sensible à l’intelligible de façon autonome : c’est l’élève qui découvre lui-même la vérité. Le maître est un tuteur.

La difficulté sera de définir ces « vérités premières » dont parlent saint Augustin et de voir si elles correspondent aux  « premiers principes » de saint Thomas d’Aquin.

Chez saint Thomas en effet, au départ, l’intelligence humaine est chez l’enfant comme une « table rase » : c’est l’expérience sensible du monde extérieur qui développera ces principes ou dignitates.

Sans la direction d’un maître, très peu d’hommes sont capables d’une invention personnelle des vérités naturelles. La découverte des principes communs est plus difficile chez saint Thomas que chez saint Augustin.

Il s’agit pour le maître de faire passer de la puissance à l’acte les dispositions sensibles et intellectuelles de l’enfant. L’habitus est une disposition stable acquise par exercice à agir selon les finalités de la nature humaine.

Les vertus sont les bons habitus, les vices les mauvais. La notion de dispositions stables vient d’Aristote (Catégories, 8 et Ethique à Nicomaque, II, 5).

Ce qui sépare l’homme de l’animal est la capacité à abstraire les formes immatérielles des choses et d’en induire des concepts généraux. L’intelligence humaine est donc cette faculté spirituelle qui nous aide à passer du sensible à l’intelligible, du singuliers aux universaux.

Autrement dit le maître doit proposer des exemples singuliers sensibles pour fournir aux disciples des points de départ du processus inductif. « Par son enseignement, le maître meut le disciple à former lui-même, par la puissance de son propre intellect, les conceptions intelligibles dont il lui présente les signes extérieurs » (I, qu. 17, a.1).

L’imagination va procéder à une première généralisation qui va fournir à l’intellect des phantasmes1.

B. L’instruction : par les mots ou par les choses ?

Il semble que le processus d’abstraction s’effectue plus facilement chez l’enfant si sa connaissance sensible propre (5 sens) est stimulée par les sons, et non pas par les sensibles propres ou les images. Le mot est déjà une réalité abstraite et intelligible mais reste un signe.

Saint Thomas se situe entre l’hyper-réalisme de Platon et le nominalisme de Roscelin de Compiègne (plus tard repris par Guillaume d’Occam) : l’abstraction est facilitée par les mots qui sont déjà des signes abstraits d’idées générales.

On comprend dès lors le mode d’exposition verbal de la scolastique : en théorie, elle reste fidèle à l’induction d’Aristote qui fournit le concept du mot, mais en pédagogie, elle s’appuie sur le mode généralisant du langage humain. Le mot (lu, écrit ou parlé) est aussi un objet sensible qui se présente aux sens externes : c’est un sensible commun (comme le nombre, la figure, le mouvement, etc).

L’homme est un animal rationnel : son mode de connaissance passe du sensible à l’intelligible mais le verbe reste un point de départ pour l’enseignement du maître. Que ce point de départ soit verbal ne l’invalide pas au regard du mode abstractif.

Le De Magistro reprend le mode de connaître d’Aristote. L’empirisme pur de Démocrite enseigne que la connaissance est une fusion avec l’objet connu. L’intentionnalité pure de Parménide enseigne que le connaissant se fond dans l’objet connu. Le scepticisme enseigne que l’objet reste inconnaissable.

Saint Thomas enseigne que la connaissance est une action commune de l’intelligence et de l’intelligible dans la chose sensible. Cette connaissance s’effectue par degrés successifs (le phantasme est un stade intermédiaire entre le concret singulier sensible et le concept abstrait). La forme à abstraire est en puissance dans le monde sensible externe : c’est l’intelligence qui la fait passer de la puissance à l’acte. Notre intelligence, par induction, extrait la forme (idée) des objets extérieurs afin de la faire exister sur un mode abstrait dans ma raison.

Contre Averroès (III De Anima, Comm. 5), saint Thomas ne dit pas qu’il existe un seul intellect patient pour tous les hommes. Le maître aide l’élève à ordonner sa recherche dans le sens de la logique naturelle à l’esprit humain. Chacun se forme ainsi des notions générales à partir de ses propres domaines d’investigation. C’est l’élève qui engendre en lui son propre savoir.

C. La nature des « premiers principes » :

Au contact du réel sensible, l’intelligence reconnaît vrais des « principes premiers » que saint Thomas nomme « dignitates » et traduits souvent par les traducteurs français par axiomes. La plupart du temps, ils semblent désigner les principes de contradiction, d’identité, de tiers-exclus. Ces premiers principes ne sont pas les principes proches ou moyen-termes de la conclusion du syllogisme, intelligés par l’intelligence : ces axiomes premiers n’en sont que les conditions logiques ultimes.

De nombreux commentateurs définissent l’induction comme principe de connaissance des premiers principes, sans préciser que l’induction est aussi principe de connaissance des définitions qui engendrent les jugements (deuxième opération) et les syllogismes (troisième opération).

Le maître dispose l’intelligence du disciple à connaître, mais l’acte de connaître est celui du disciple seul. Saint Augustin enseignait l’illumination divine dans notre acte de connaissance. Pour le Docteur Commun, l’abstraction de l’intelligence opère de façon autonome par induction. Dans sa Création Dieu a disposé des premiers principes reconnus pour vrais par les hommes afin de progresser dans la science et la sagesse. Mais ce sont nos inductions personnelles qui fournissent les principes de nos syllogismes et donc de notre science2, point de départ de notre choix de conscience.

IX. Quelques mots sur la philosophie juive au Moyen Âge

À suivre…


1 Sur les paliers du processus : Michel Siggen : L’expérience chez Aristote.

2 “cum omnis scientia per demonstrationem habeatur, demonstrationis autem medium sit definition” (In Physicorum, Liber 1, Lectio 1, n° 1.


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