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Un poète et un philosophe à fleur de mots

Un poète et un philosophe à fleur de mots

Par  

Valéry Molet lance une nouvelle collection qui lui est chère au sein des éditions Sans Escale : Poésie, philosophie. Il la lance et l’inaugure en compagnie de Julien Farges, philosophe spécialiste de philosophie allemande et particulièrement de Husserl. Ces deux-là ont beaucoup parlé ensemble et c’est au cœur de leurs discussions qu’ils ont révélé une correspondance tout aussi étonnante qu’évidente. Le coup de foudre intellectuel se devait d’accoucher d’un livre : Fermeture ajournée des zones d’ombres. Inutile de se concerter, il leur suffit d’écrire chacun de leur côté, le cadavre exquis qui en résultera sera une ébullition qui donnera soif d’être plus humain, plus qu’humain. Comment oser gloser sur cette audace esthétique et intellectuelle, sinon en prenant conscience que « seul le langage est poétique. Car la poésie est d’abord quelque chose qui arrive aux mots : c’est à fleur de mot que se rencontre cette profondeur qu’on est toujours (…)  disposé à lui reconnaître. »

D’où parlent-ils, ces deux hommes ? Ce n’est pas leur discipline qui m’importe mais le lieu où ils ont élu domicile pour écrire. Voilà deux hommes sortis de la grotte, un poète et un philosophe se tiennent en face de l’immensité. Ils sont côte à côte et causent sans se regarder. Ils ne dialoguent pas car ils se connaissent déjà. Ils parlent à l’horizon qui les relie. En face, « Le soleil vaincu se terre. » Les deux hommes repoussent leur point de mire « puisque l’horizon émigre dans sa légende. » Ils nous invitent à les rejoindre au seuil de la grotte, nous qui sommes encore dans leur zone d’ombre. Il s’agit dès maintenant de sortir des mythes et d’observer en plein jour. Le poète dit les mots ordinaires : prémolaires, macaronis, papier-bulle, claquettes, chips, radars automatiques… Il les rapproche d’autres mots. L’incongruité les vide de sens et devient un socle poétique. Ainsi hissés par le poète, les mots révèlent leur capacité à produire des images au-delà de leur utilité à signifier, à faire pétiller des musiques, des saveurs, dans nos têtes de nœuds. Il nous faut absolument « Fuir la fiction de la cohérence ».

 Et puis, quand même la mer, la plage, le bord comme lieu de prédilection du poète. N’est-ce pas le meilleur endroit pour se mesurer à l’horizon et faire le constat du vide « sans perspective de marée ».

« Personne,

Les vagues ne se replient même plus,

Elles ont la persistance triste

De ne plus y croire elles-mêmes. »

La philosophie de Julien Farges laisse poindre une malice derrière le cours. Quand on s’amuse à être précis, à ciseler les définitions, on se rend compte que notre voyage est loin d’être fini, nous pouvons porter plus loin notre carcasse sans bagage inutile. On commence à percevoir que l’on jouit de penser. Ils ont écrit sans se concerter, on l’a dit. Mieux vaut des sous-entendus que des malentendus. Toujours. Notre lecture relie poèmes et brèves philosophiques, les confond. Les deux jouent avec les mots qui se jouent de nous qui jouissons d’eux. Voilà donc deux alter ego, deux autres eux-mêmes. Si Molet avait été philosophe… Si Farges avait été poète… Farges nous le dit, l’alter égo c’est « Comme se rencontrer soi-même dans l’autre », « Il est le moi que je ne suis pas. » Et nous et nous et nous ? Les lecteurs au seuil de la grotte, dans leur zone d’ombre, on ne sait plus l’on crèche. Il faut dire que « Devant autrui, je suis renvoyé à moi-même sur le mode de l’inévidence. »

 Dans ce livre, Fermeture ajournée des zones d’ombres, il n’y a pas que de la poésie et de la philosophie, on y trouve aussi des peintures. Bérénice Le Guélinel, discrètement, ponctue ce dialogue de trois tableaux où les formes dialoguent comme des masses qui s’attirent. L’esprit se repose. Les mots ne veulent rien dire. C’est l’être qui se signifie. Les peintures sont là comme en souvenir de la grotte. On ne peut en sortir qu’en cultivant la nostalgie de soi. « Orner consiste à remplir gratuitement l’espace ou le temps. »

 J’ai bien fait de me laisser aller, de me laisser dire par le philosophe et le poète. J’ai bien fait de ne pas chercher à entrer en lecture comme on entre dans un débat, mais plutôt de contempler ce qui se passe à fleur de mots. J’ai bien fait car « La poésie ne glose pas. Elle humilie ce qui la contrecarre. »

Fermeture ajournée des zones d’ombre, Julien Farges, Valéry Molet, Ed Sans Escale 110 pages, 13€

Article publié une première fois dans Le Bien Commun


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