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Alex Rzewuski dandy puis dominicain

Alex Rzewuski dandy puis dominicain

Par  

L’historien et essayiste David Gaillardon nous offre une stimulante biographie d’Alex Rzewuski intitulée La Beauté et la grâce, itinéraire d’un aristocrate européen. Qui connaît aujourd’hui Alex Rzewuski, surnommé Sacha, qui, par sa grand-tante Ewelina Hanska était le petit-neveu de Balzac ? Pas grand monde. Pourtant, le parcours de vie de ce personnage hors normes mérite le coup de projecteur et l’éclairage sur un destin unique.

Russe par sa mère et polonais par son père, l’homme a eu plusieurs vies en une. C’est à Venise qu’il achève son existence terrestre, le corps porté par une gondole funèbre à laquelle on a suspendu l’habit blanc de saint Dominique qui se reflète majestueusement dans les eaux de la lagune. L’embarcation se dirige lentement vers l’île aux morts, nom qui désigne le cimetière de San Michele où il doit être inhumé. Alex Rzewuski emporte avec lui dans la tombe le souvenir des fastes de Saint-Pétersbourg, celui de la Révolution d’octobre 1917 et de l’exil, « le souvenir aussi de ces années 1920 durant lesquelles Paris fut une fête sans fin, quand il était lui-même un artiste de renommée internationale, et que couraient sur cet aristocrate à la taille de géant mille histoires fabuleuses […] Ruiné à vingt ans par les guerres et les révolutions, celui qu’on a parfois surnommé le « prince Rzewuski » pour son dandysme, son goût du luxe et ses amitiés mondaines, sut bâtir une nouvelle fortune en quelques années, avant de finalement renoncer aux plaisirs et à la gloire, faisant alors le choix de se retirer du monde. »

Baigné dès son enfance dans un environnement élitiste, aristocratique et international, Sacha manie très vite le russe, le français, l’anglais et connaît aussi l’allemand et l’italien. Géant par la taille (adulte, il mesurera un mètre quatre-vingt-dix), beau garçon, intelligent, s’exprimant aisément dans ces différentes langues, il passe sa licence de droit en 1911. Assez seul à Saint-Pétersbourg et portant en lui beaucoup d’interrogations, il tâtonne, s’essaie successivement aux philosophies athées, aux sagesses orientales et n’échappe pas à quelques paradis artificiels et autres religiosités : « Ce sont ainsi les séances d’éther, stupéfiant alors très en vogue et bien plus facile à se procurer que l’opium ou la cocaïne. Ce sont ensuite les séances de spiritisme. Ces dernières sont à la mode -qu’on se souvienne de l’atmosphère de mysticisme, d’hystérie et de fausse dévotion qui, à la veille de la Première guerre mondiale, agite la cour de Russie, tout entière sous l’emprise de Raspoutine. » Bien plus tard, dans son livre de souvenirs, A travers l’invisible cristal, Sacha prendra la décision de parler de « sa vie d’avant ».

Il décide rapidement de prendre des cours de dessin et de peinture, s’inscrit à l’atelier de Léon Bakst, décorateur, peintre et costumier russe, proche du critique d’art et impresario de ballets Diaghilev. Sacha a trouvé sa vocation. La vogue des Ballets russes tient pour beaucoup aux décors et aux costumes somptueux et puise dans la mythologie et le folklore russe. Il est émerveillé. Il s’imprègne durablement dans l’atelier de Bakst de l’influence et de l’engouement de ces Ballets russes qui perdureront après la Première Guerre Mondiale.

La nuit du 24 décembre 1916, seul, par une nuit de blizzard, il fait une expérience intérieure extatique et parapsychique. Il décrira l’évènement dans ses mémoires, soixante ans plus tard : « Il se produisit quelque chose d’extraordinaire et indicible. Tout fut instantanément transfiguré. C’était le même paysage, la même neige, le même vent frappant le visage, mais tout fut comme illuminé, par une Présence, une Lumière non pas sensible, mais purement spirituelle. Et mon âme, en un instant, fut transformée aussi. En présence de ce phénomène indescriptible auquel je me sentais participer de tout mon être, j’étais envahi par la paix, et plongé dans une immense joie. » Epuisé par cette expérience mais possesseur d’une paix intérieure qu’il n’avait jamais connue jusque-là, il prend la décision de devenir catholique. Accompagné par les frères capucins d’un couvent, il abjure peu après l’orthodoxie de son enfance pour professer sa foi dans le catholicisme.

La Révolution russe d’octobre 1917 pousse Sacha à partir, ce qu’il fait au début de juin 1919. Il s’installe à Paris. Comme lui, de nombreux exilés russes sont arrivés en France ; parmi eux beaucoup exerçaient une profession artistique avant leur exil. A Paris, Rzewuski réalise ses premières illustrations et dessins pour le magazine Femina. Très vite il connaît le succès, ses portraits, en particulier ses fameuses pointes sèches lui assurent une notoriété en France, en Angleterre et auprès des riches américaines qui hantent le Paris des années 1920. Introduit dans les milieux artistiques, il visite l’atelier de Fernand Léger et celui du sculpteur surréaliste roumain Brancusi, le peintre Tchelitchew est l’un de ses amis intimes. Il dessine les costumes de Miss Florence (Florence Kolinski, jeune beauté de l’époque à la plastique superbe ayant pris des cours de danse à New-York et dont le destin a des analogies avec celui de Sacha : elle est fille d’immigrés russo-polonais et a été très tôt livrée à elle-même) qui se produit en Reine de Saba au Moulin-Rouge : succès retentissant. Sacha fréquente le gratin des jeunes créateurs et créatrices dont l’effervescence est prodigieuse en ces années folles : Jeanne Lanvin pour qui il dessine les robes (dont certaines sont conservées au Los Angeles County Museum of Art), Coco Chanel l’iconoclaste qui a deviné que la femme du XXème siècle serait active et plus sportive. Mademoiselle Chanel fournit à ses amis artistes les costumes de leurs pièces de théâtre ou de leurs ballets ; Picasso, Cocteau, Stravinsky, Darius Milhaud ou encore Diaghilev sont ses familiers.

En 1925, Elisabeth Derten, alias Madame Baba, qui s’occupe de Sacha depuis l’enfance et qui l’a suivi fidèlement à Paris, s’éteint dans la maison de l’artiste de la rue Théophile-Gautier. Il est anéanti et se sent abandonné : « Avec la mort de celle qu’il considérait comme sa mère et qui, seule, savait apaiser les crises d’anxiété qui le taraudaient parfois, quelque chose vacille. » Un verset du livre de l’Ecclesiaste dans la Bible lui revient sans cesse à l’esprit dans cette période douloureuse : « Vanité des vanités, tout est vanité… »

Volontiers mystique, lassé du monde, c’est une rencontre avec Jacques et Raïssa Maritain dans leur maison de Meudon, lieu où le tout-Paris artistique se réunit, puis une seconde rencontre avec Mgr Ghika, prêtre qui fut lui-même prince avant de vivre pauvrement qui le conduisent à entrer dans les ordres à la fin de 1926. Il choisit les Dominicains comme famille religieuse et intègre le couvent de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume en Provence (Var).

Il demeurera proche des milieux littéraires et artistiques de son époque (Julien GreenJacques MaritainJean BourgointJean Hugo et Misia Sert…), tout en exerçant son ministère à Fribourg, à Toulouse, à la grotte de la Sainte Baume ou dans son ermitage de Prouilhe (dans l’Aude).

Le mendiant magnifique, comme le surnommait Liane de Pougy, danseuse, courtisane de la Belle-Epoque puis religieuse et amie proche de Rzewuski, ne se départira jamais de ses manières aristocratiques. S’habillant sur mesure chez Lanvin quand il sera à Paris, ou chez les tailleurs traditionnels de Savile Row quand il sera à Londres, cet homme de goût ayant pris la condition de frère prêcheur s’étonnera que tout le monde ne cultive pas l’élégance. « C’est si pratique » lui fera dire le Père dominicain Jean-Pierre Arfeuil qui le fréquenta dans l’Ordre.

Destin unique qui embrasse conjointement l’infiniment incarné de la vie des hommes et l’aspiration aux confins des sphères étoilées. La terre et le cosmos. L’homme et Dieu. Destin mû par une manière de radicalité dont seules les âmes exceptionnelles sont capables.


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