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Bellamy échappe à l’ère du mouvement perpétuel

Bellamy échappe à l’ère du mouvement perpétuel

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François-Xavier Bellamy use volontiers du contrepied. Il a intitulé son ouvrage paru en octobre 2018 Demeure, invitant par-là ses lecteurs à ne pas être « en marche ». L’immobilité contre le déplacement. Le conservatisme face au progressisme dans un remake de la sempiternelle bipolarisation française. Le sous-titre révèle l’intention assumée : Pour échapper à l’ère du mouvement perpétuel. Ce livre qui pourrait être un programme politique utile prend la forme d’une réflexion philosophique bien sentie sur les grandeurs et décadences de l’époque. Dès les premières pages, Saint-Exupéry, écrivain de la présence et de l’être, est cité au travers de ses Ecrits de guerre. L’aventurier du ciel s’adonne à une autocritique quant à l’indomptable passion qu’il eût de la vitesse, des avions, de la technique et des expéditions périlleuses : « Ceci est peut-être mélancolique, mais peut-être bien ne l’est pas. C’est sans doute quand j’avais vingt ans que je me trompais. En octobre 1940, de retour d’Afrique du Nord où le Groupe 2-33 avait émigré, ma voiture étant remisée, exsangue, dans quelque garage poussiéreux, j’ai découvert la carriole et le cheval. Par elle, l’herbe des chemins. Les moutons et les oliviers. Ces oliviers avaient un autre rôle que celui de battre la mesure derrière les vitres à cent trente kilomètres à l’heure. Ils se montraient dans leur rythme vrai qui est de lentement fabriquer des olives. Les moutons n’avaient pas pour fin exclusive de faire tomber la moyenne. Ils redevenaient vivants. Ils faisaient de vraies crottes et fabriquaient de la vraie laine. Et l’herbe aussi avait un sens puisqu’ils la broutaient. Et je me suis senti revivre dans ce seul coin du monde où la poussière soit parfumée (je suis injuste, elle l’est en Grèce aussi comme en Provence). Et il m’a semblé que, durant toute ma vie, j’avais été un imbécile… »

L’injonction moderne de sans cesse bouger, changer, s’adapter, innover, avancer, marcher, être « disruptif » n’est-elle pas contraire à un invariant biologique chez l’homme : le besoin d’enracinement ? Sur cette question, Saint-Exupéry encore répond : « Deux milliards d’hommes n’entendent plus que le robot, ne comprennent plus que le robot, se font robots. » Semblables aux personnages orwelliens contemplant la façade du Ministère de la Vérité, nous sommes comme privés de notre libre-arbitre et de toute volonté de résistance. Formatés depuis l’enfance par une rééducation scolaire et médiatique, nous abandonnons aux apprentis sorciers la responsabilité de construire l’avenir. Et ceux-ci s’en donnent à cœur joie, suivant frénétiquement leurs obsessions prométhéennes : société sans pères avec la PMA et sans mères avec la GPA, mise en place d’une société de rupture où l’indifférenciation entre masculin et féminin constitue un principe cardinal. La technique et ses mirages nous ont éblouis, subjugués et nous sommes désormais figés, frappés de cécité et incapables de la moindre réaction. Les gardiens du camp du Bien veillent bien sûr à disqualifier les rares esprits qui se rebelleraient. Ils les frappent d’un ostracisme infâmant qui dissuade toutes les velléités d’éventuels autres contestataires.

La modernité peut se définir comme un gigantesque effort de déconstruction. Pour libérer le génie s’échappant de la lampe du mouvement perpétuel, elle a détruit toute forme d’intériorité en s’attaquant au domaine de l’esprit. Une possible façon de reconquérir notre âme serait alors d’accepter l’un ou l’autre des postulats que Saint-Exupéry établit : « La vie de l’esprit commence là où un être "un" est conçu au-dessus des matériaux qui le composent. » ; « L’amour de la maison est déjà de la vie de l’esprit. » ; « Nous nous battons pour gagner une guerre qui se situe exactement à la frontière de l’empire intérieur. » La réappropriation des choses bien réelles que sont le couple homme/femme, la famille, la maison, le quartier, le village ainsi que notre ré-enracinement sont des voies simples et salutaires que tout un chacun pourrait suivre s’il prenait conscience des enjeux vitaux qui se jouent aujourd’hui.

Des présocratiques Parménide et Héraclite de qui tout découle, en passant par le géocentrisme et l’héliocentrisme, Aristote, Thomas d’Aquin, Thomas Hobbes ou Freud, François-Xavier Bellamy nous balade brillamment sur les sentiers de la réflexion philosophique et de l’histoire des idées. Nous comprenons mieux alors ce que Rémi Brague appelle la construction de l’histoire par strates successives. Une sédimentation d’acquis civilisationnels s’opère tout au long des époques, naturellement, validant une forme d’universel et alimentant une sagesse s’imposant à tous. Mais cette cristallisation heureuse des génies des différents âges ne dédaigne jamais s’enrichir de découvertes nouvelles. Dans cette optique, nous acceptons la balance équilibrée et bien pesée de la conservation et du progrès, du modus vivendi entre anciens et modernes. Nous sommes ici dans la victoire de l’intelligence et de l’esprit. Mais c’est précisément ce dont les tenants de la postmodernité ne veulent pas, obnubilés qu’ils sont à changer par tous moyens la société à coups de ruptures physiques (suppression des frontières), culturelles (abolition des identités au profit du multiculturalisme) et anthropologiques (indifférenciation du genre humain).

Achevons notre chronique avec ce viatique précieux offert par Saint-Exupéry : « Autant que des êtres, je parle des coutumes, des intonations irremplaçables, d’une certaine lumière spirituelle. Du déjeuner dans la ferme provençale sous les oliviers, mais aussi de Haendel. Les choses, je m’en fous, qui subsisteront. Ce qui vaut, c’est certain arrangement des choses. La civilisation est un bien invisible puisqu’elle porte non sur des choses, mais sur les invisibles liens qui les nouent l’une à l’autre, ainsi et non autrement. »

La civilisation, ce trésor si précieux, semble ne plus mériter -pour quelle mystérieuse raison ?- que nous la défendions avec la plus pure noblesse d’âme. Serait-elle devenue une valeur frappée d’obsolescence ? Empêcherait-elle l’accomplissement du bonheur individuel et collectif ? Le strict bon sens et le principe de réalité obligent à dire que c’est exactement l’inverse qu’elle permet.


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