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La Russie autre et autrement (13)

La Russie autre et autrement (13)

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Épisode 13 : Ta patrie, ton corps : Vratchi

J’ai choisi comme exemple de professions libérales, la médecine, car elle fit les mêmes bonds évolutifs que toute la société russe, comme l’art. Tout d'abord, les chamans ("vetovniki") et la médecine naturelle des Bouriates, par exemple, puis l'abolition du servage en 1861 et l'accès à l'éducation de la classe moyenne et les flux de grands chercheurs vers l'Occident : Metchnikoff, Botkin, Pavlov et l'émergence de la classe éduquée des médecins qui faisaient aussi de la littérature (Tchekhov) ou de la musique (Borodine). La destruction révolutionnaire bolchévique a anéanti ce développement normal et le médecin s'est vu dénigré et dégradé à un statut d’officier de santé ("vratch") dans la protection de la santé, ce qui est merveilleusement décrit dans la prose de Boulgakov, Cholokhov ou Pasternak.

Il faut dire que l'inspiration bolchévique pour leur système de médecine préventive provenait de travaux et de systèmes européens. Une fois de plus, une copie transférée en Russie ! Si Bismarck a créé la sécurité sociale pour mettre à la botte l'Europe post-napoléonienne (en se débarrassant de Louis II de Bavière pour obtenir l'unification allemande), le système Beveridge est né pendant la Deuxième Guerre mondiale en Angleterre pour faire face à ce monstre d'efficacité du fascisme continental : la mutualisation des risques a dû assurer l'armée, qui était soignée, et les risques sanitaires, qui étaient répartis dans toute la population. Les dérives qui en résultent sont évidentes avec du recul : aujourd’hui, c’est l'assureur (ou l'État comme en Angleterre avec le NHS et en Russie) qui décide pour votre santé et non pas le patient, ni le médecin, ni leur accord mutuel ! « L'industrialisation de la médecine » est une invention du Dr (docteur en philosophie !) Joseph Goebbels et de son ministre de la Santé à Prague, sous protectorat allemand, en 1941 (la même année et dans la même ville, la "solution finale de la question juive" a été conçue par Reinhardt Heindrich). Elle a été appliquée pour la première fois par le professeur Claus Schilling à Dachau en premier lieu, puis elle est réapparue comme slogan dans les années 1980 avec les théories de la globalisation du marché et de la mondialisation culturelle de mauvais goût, comme subterfuge de la mutualisation démesurée de Jacques Attali. Certes, il n'y a pas de barbelés, pas d'expérimentations sauvages sur les humains (même si l’introduction obligatoire du vaccin RNAmessager anti-Covid est un exemple mondial), pas de chiens qui aboient, pas de capos, pas de manque de nourriture… Néanmoins, les similitudes intellectuelles et structurelles sont effrayantes ! Les vaccins mRNA anti-Covid, dès 2021, administrés obligatoirement, sans essais préalables, même en face d’un danger inconnu, constituent une violation du consentement éclairé.

En Russie, il n'y a aucune notion de profession libérale. En médecine, le "vratch" comme officier du système "zdravo-okhronenia" (de la protection sanitaire) existe soit en chaîne privatisée (ouchastnyi = actionnaire) ou à "l’hôpital" (ou ambulatoire "prichodnia") étatique. Le "vratch" assure la protection de la santé sans aucune dimension spirituelle, tandis que le médecin n'est pas reconnu en tant que praticien de la médecine allopathique, docteur en médecine, mais UNIQUEMENT comme enseignant (professeur) ou chercheur étatique (académicien, au mieux !) ou comme médecin commercial de la médecine esthétique. La médecine allopathique libérale éduquée n'existe pas, car le médecin individuel privé, sorte de praticien, (« lichnyi vratch »), ne peut subsister. En Occident, c'est atténué. Le charme de cette pensée bolchévique qui divise le bon = public et le privé = mauvais, c’est qu'elle présente cette dichotomie de pensée positiviste comme seule et unique organisation possible de la société russe, et des soins médicaux.

L’idée de la mixité ou du libéral n'existe pas : aux yeux des oligarques russes, le libéral est dangereusement flou et individuel, voire individualiste. Il faut attirer les pauvres électeurs à qui le système libéral est présenté comme une source dangereuse d'enrichissement.

Aujourd’hui, la fuite vers le commerce pur (…dentaire, esthétique) de ce système inefficace, meurtrier et suicidaire, est évidente. La France de 2024 se dirige inévitablement vers ce charme caché de la médecine industrialisée du collectivisme étatique ou oligarchique.

En 2016, j'avais la fausse impression que le système libéral pouvait peut-être naitre dans les grandes villes : Moscou et Pétersbourg ; en 2018, j'en doute : il n'y a que des « cliniques » privées et la misère des « bolnitsas » (hôpitaux) étatiques. Il me semblait qu’en 2024, le médecin libéral, dédié par sa profession aux soins, en Russie n’existait pas.

Il n'y a que la médecine industrialisée – héritage d'une science de la protection et de la prévention sanitaire sous le régime soviétique, écho bizarre à l'invention du Dr Goebbels ! Les soins médicaux sont procurés par des « vratches » interchangeables, car formatés et non éduqués, et, en effet, c'est une antithèse de la médecine hippocratique comme art conservateur : la médecine du sport produit des athlètes dopés et les soins sont majoritairement prothésistes, implants, stimulateurs… ou, au maximum, chirurgicaux. La médecine ou l'approche médicale sont effacées ! À Birobidjan, le "vratch" (c'est difficile de l'appeler "médecin" et encore moins un « docteur ») "voit" (il ne peut pas consulter) 170 personnes (et non malades) par journée de travail de 8 h, et ceci tous les jours du lundi au vendredi, les réunions indispensables à propos du management comprises ! Qu’appelons-nous une "consultation", un "médecin", un "patient", un "système" de santé ? Tous ces mots ont perdu leur sens dans cette boucherie du système de la médecine industrialisée. Pour pallier ces crimes organisés, la population s'enfuit et les médecins sont remplacés par les médecins chinois. C'est une autre culture médicale, une autre culture tout court ! La médecine au noir, les vetovniki et les guérisseurs sont florissants, seuls les professeurs en blancs de l'académie sont autorisés à avoir des revenus libres et commerciaux. À Khabarovsk, ville impériale russe du 19ᵉ siècle, il n'y a plus de Russes, ils ont fui et ont été remplacés par une population venue de Chine. En France, en parallèle, à Saint-Denis, à côté de la basilique où sont enterrés les rois, dans le centre-ville, il n'y a plus de "Français de souche" ; après le coucher du soleil, le centre rappelle celui de Bagdad. En France, ce sont les bas tarifs qui font mourir la médecine libérale en ville : si la consultation était, en 2014, facturée au patient directement par le médecin libéral à 23 €, la « même » consultation, dans un centre médicosocial municipal, coutait au contribuable 85 €, 125 € en policlinique, 250 € à l’hôpital et 350 € aux urgences, payés par les impôts et prélèvements obligatoires. Une telle incongruité est néfaste pour toute la médecine, notamment celle de ville. Le scientisme marxiste efface toute valeur métaphysique, imminente, intrinsèque et réifie, chosifie, toute la société. C'est un faux pas de la pensée et un cul-de-sac de l'évolution culturelle.   Le marxisme comme idéologie du capitalisme, du prolétariat et de l'industrialisation en général (y compris privée ou fasciste) était une idéologie enracinée en Russie plus particulièrement à cause de l'histoire, plus qu’en Occident : l'expansionnisme tsariste au 19ᵉ siècle, puis la révolution bolchevique orchestrée contre cet impérialisme russe par les puissances de l'époque : Woodrow Wilson qui a libéré Léon Trotski de sa prison canadienne (britannique) pour le faire rentrer et faire la révolution en Russie, ou Lénine qui a été exfiltré de Zurich à travers le front de la guerre par les Hohenzollern pour faire la révolution et pour décréter la paix en 1917. Le marxisme muté vers le marxisme-léninisme est aussi omniprésent à cause du fait que le taux d’analphabétisme a chuté de 80 à 0,1 % entre 1917 et 1999. Cette "culture marxiste" incarne la formation aveuglante des masses.

Tout cela fait de la Russie (et des autres pays qui empruntent la voie collectiviste sur les bases de l'idéologie industrielle marxiste, comme pays d'adoption du batisme, le Canada, ou même la France) un énorme goulag à ciel ouvert où les "moujiks" ont été remplacés au début de l'industrialisation par des "ouvriers", le prolétariat, qui s'est transformé finalement en salariat. L'immensité de la sous-population rend ce goulag éternel. L’Occident a aussi adopté ce chemin du déclin en effaçant les « classes » moyennes.

La solution russe adoptée par le « grand remplacement d'Orient » (invasion de travailleurs asiatiques) accentue le danger et augmente la friction entre l'Occident encore individuel et libre, même mourant, et l'Orient, collectiviste et tribal. J’avais souhaité, entre 2016 et 2018, que la Russie fasse des efforts pour "s’occidentaliser", mais le contraire s'est, à ma crainte et à ma surprise, hélas, produit. Le moment déclenchant a été l’ouverture des hostilités militaires en Ukraine le 24.02.2022. En effet, la Russie fut harcelée et coincée par l’Occident depuis 2007, plus particulièrement depuis 2014. Le conflit mondial qui se profile et qui provient de la désintégration de l’hégémonie monopolaire unique américaine depuis 1992 (depuis la désintégration de l’URSS, en parallèle) qui coûte plus qu'elle ne rapporte aux USA. La guerre froide signifiait une guerre de concurrence larvée entre deux espaces issus idéologiquement de l’espace gréco-judéo-chrétien, entre l’URSS (Russie) et l’Occident.

Ce conflit risque de se faire avec la Chine, la première économie planétaire, et au second degré avec la Russie qui a opté pour être l'allié des Chinois. Il me paraît hélas inévitable à cause de l'expansion chinoise obligatoire : la Chine n'a pas de ressources naturelles, souffre de surpopulation dans les territoires habitables et présente l'aspiration humaine pour une vie plus consommatrice, plus occidentalisée. La relégation de la Russie de sa suprématie au troisième ou quatrième rang avec un mépris occidental pour les Slaves, oblige l’Occident à composer avec l’espace culturel non gréco-judéo-chrétien, soit sinois, indien, arabe.

Est-ce que ce conflit prendra une forme militaire comme en Ukraine, économique ou purement politique ? Je n'ose pas me positionner. La primauté chinoise mondiale économique, la primauté militaire et la technologie américaines, la primauté des ressources naturelles russes sont éminentes, ainsi que la primauté culturelle européenne (au sens large, dans une certaine mesure avec exclusion "scientifique"). La position géopolitique russe est hégémonique, car, sur un territoire représentant 17 % de la surface mondiale, la paix ou la guerre font le bonheur ou le malheur du globe terrestre : la Russie est présente au moins dans les régions géopolitiques suivantes : en Arctique, en Extrême-Orient, en Asie centrale, au Moyen-Orient, dans le Caucase, au Proche-Orient, en mer Noire, en Europe (Europe de l'Est) et en Baltique-Scandinavie. Il est donc navrant de voir un certain retour du « nationalisme-patriotique-stalinien » et surtout de la société centralisée, hiérarchisée, « enchaînée » en Russie qui, en 2016, m'avait paru être en voie d’occidentalisation. Si le Pakistan, l'Inde, la Chine, les USA et l'Europe se militarisent, il est compréhensible que la Russie se militarise également (5,4 % du PIB en 2016 contre 3,9 % en 2005 et 5,9 % en 2023).

La position de certains politiciens européens à propos de la militarisation qui se fait uniquement pour relancer l'économie est une dystopie et fait écho, une fois de plus, à la position du chancelier allemand von Papen dans les années 1930. La militarisation mène à une agression inévitablement, car elle combine l'agressivité structurelle (cumul des armes) et culturelle (intellectuelle, économique, scientifique) !  


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