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La subjectivité, pour quoi faire ?

La subjectivité, pour quoi faire ?

Par  

« Qui est-il celui qui aurait surmonté la réflexion ? Un homme existant. »
(Kierkegaard, Post-scriptum…)

Il est étrange de constater combien l’absolu peut varier… « Absolu » : ce mot nous fait presque fuir, si l’on n’y voit qu’un concept. Mais autre chose est de l’associer à ces vécus très singuliers dans lesquels telle réalité s’est imposée à nous comme seule importante au monde… Ce sont des moments et des lieux, où la conscience s’absorbe au point d’abolir, fût-ce un instant, la frontière habituelle du dehors et du dedans. Car tous les autres moments et lieux sont plus ou moins transitoires. La réflexion fait obstacle à cet absolu, puisqu’elle objective toute réalité, et interdit de s’y fondre. Par conséquent, la réflexion va contre cet absolu. Elle y répugne puisque, en montant par degrés l’échelle de l’objectivation, elle se dégage plutôt de toute emprise du monde sur notre subjectivité. Mais faut-il conspuer cette dernière ? Faut-il mépriser ce rapport drastique et sans recul au monde ? Ce serait mépriser l’expérience même, sa fraîcheur et sa saveur ; et ce serait manquer la culture, quelle qu’elle puisse être d’ailleurs, dans sa vérité.

Dans un village a lieu cet événement : l’équipe de basket locale en rencontre une autre. L’association des bénévoles du club est entièrement mobilisée. La presse du coin est là. Les autochtones s’y retrouvent à l’avance pour palabrer bruyamment. On les invite à s’asseoir, à plusieurs reprises. A quelques minutes du match, un hommage solennel est rendu à l’un des piliers de l’association, décédé une semaine plus tôt, ce qui plonge le gymnase dans une émotion unanime. Le match a lieu. Nous ne sommes pas au « palais des sports » ; il y a peut-être deux-cents personnes ; mais tout le monde est captivé par un même drame, celui du match, dont le suspens va croissant, jusqu’à la victoire de l’équipe locale, arrachée de justesse. On crie donc victoire, puis on dresse des tables pour un festin, même s’il est tard, avec une efficacité qui ne peut s’expliquer que par des décennies d’expérience assidue. Bien sûr, ce n’est qu’un microcosme par rapport aux inquiétudes de l’histoire mondiale ; mais, oubliant avec raison cette dernière, c’est un absolu pour ceux qui le vivent. Il n’y a d’expérience que locale ; fustiger l’histoire locale au nom d’une histoire mondiale qui serait la vraie tournerait assez vite au nihilisme ; et se garder de prendre part aux histoires locales, c’est ne prendre part à aucune histoire en fait. Il n’est pas sûr qu’un match de basket dans un gymnase de province soit à tous égards moins important qu’un épisode surmédiatisé des Jeux olympiques. Cela n’a rien à voir !, dira-t-on. Mais de quel point de vue parle-t-on ? « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » : là où est ta subjectivité, là sera ta culture. Là seul se trouvera ton absolu.

La réflexion fait quand même son chemin. Elle se tient, comme on disait, à l’écart du rapport subjectif au monde ; elle objective ce contact, et ne le comprend pas de ce fait. Toujours peut-elle traiter avec respect – regard et recul – ce fait que chaque subjectivité porte son propre absolu, qui tantôt s’actualise, tantôt reste latent, et qui par cette alternance même constitue le tout de sa destinée, c’est-à-dire la seule ligne d’existence qu’elle vive au présent. On peut avoir toutes les raisons « objectives » de juger faux cet absolu, surtout si c’est celui d’un autre – comme on s’en prend parfois à l’amour de la chasse ou de la corrida (mais quelle tradition échappe à ce procès « objectiviste » ?), à grand renfort d’universels ! Il convient du moins de s’avouer que l’on manque en ce cas la seule raison concrète qui fait que telle culture est culture, et qu’on prétend pouvoir lui substituer je ne sais quel universalisme invivable et sans vie. C’est un absolu contre un autre. Mais lequel est le vrai ? Un certain scientisme nous a appris à déprécier le particulier. Faut-il alors n’habiter nulle part ? On peut plutôt se souvenir avec profit de cette scandaleuse affirmation de Kierkegaard : « La subjectivité est la vérité. »


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