Russie autre et autrement (4)
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Russie autre et autrement (4)
Épisode 4 : Trois sujets majeurs restent constamment préoccupants en Russie.
- La persistance de vouloir tout verticaliser et centraliser, en utilisant cette réification économique totalisante, et ignorer dans une non-création et non existence de la classe moyenne (sauf peut-être très pudiquement à Saint-Pétersbourg et à Moscou)
Et
- Une agressivité structurelle avec la réhabilitation du stalinisme et de l'expansionnisme stalinien et impérial et l'introduction de nouvelles armes (comme Kindjal),
Et
- Le rapprochement avec la Chine, orchestré dans un « grand remplacement oriental » par des oligarques contre le pouvoir central, qu'ils défient, et contre "le peuple", qu'ils méprisent.
N’oublions pas que les oligarques ont été massivement et cupidement soutenu à leur ascension par les occidentaux : les « génies de la finances », les « superhéros anticommunistes de la désétatisation » russe ou les « supermen des privatisations » furent adorés, ventés, glorifié pas les masses média occidentaux en dépit des Russes et leur État ou en dépit de leurs discutables moralités ou cohérences avec la réalité socialement acceptable ou plus juste.
L'ouverture sauvage de la Russie vers l'EST était frappante : surtout avec l'ouverture des frontières avec la Chine continentale et aussi, à un moindre degré, avec le Japon (économiquement car les deux pays sont, à cause des exigences territoriales des Îles de Kouriles, toujours en guerre depuis 1941 sans armistice et sans traité de paix, conclu en 1945 avec les autres parties belligérantes). Je pense que c'est une œuvre politique et économique des oligarques, eux-mêmes successeurs des boyards historiques, sous prétexte d’une nécessité de mains d’œuvre : ce grand remplacement oriental a les mêmes racines idéologiques qu’en Occident, par l’islamisation : maintenir l’état providence, du Léviathan et de la redistribution injuste.
Si la Russie dispose de ressources naturelles immenses, elle reste sous-peuplée malgré une éducation ou plutôt une formation performante. Si la Chine dispose de main d'œuvre peu chère, peu qualifiée, elle ne dispose pas de surfaces habitables, d'eau, ni de ressources naturelles. Les deux "puissances d'argile" disposent d'une armée et elles n’ont pas la notion de dimension humaine, de vie, que l'Occident cultive et partage depuis la création de notre civilisation dans l'espace gréco-judéo-chrétien. Je cite librement Renaud Camus pour son invention du "Grand Remplacement", description de la dégradation de l'Occident dans l'époque post-coloniale ou le néo-colonialisme ou le néo-esclavagisme capitaliste non féodal, l’engagisme quand j'évoque "le grand remplacement d'Orient" : il s'agit officiellement de l'ouverture de la frontière aux "touristes" et, officieusement, aux travailleurs clandestins. Bien, bien vu les bourses remplies des vrais touristes ! et l’incongruité culturelle des spectateurs chinois à Mariinski qui ont applaudi au milieu du saut du prince et se sont levés et sont partis précipitamment avant le deuxième rideau de remerciement à la fin ! Mais aussi à tous les clandestins, travailleurs frontaliers ou non-frontaliers qui deviennent la manne de toutes les oligarchies et mafias pour faire une main-d’œuvre peu chère qui concurrence et appauvrit les employeurs honnêtes et les travailleurs/employés/salariés/prolétaires officiels, en prétendant enrichir ou construire la Russie mais, en fait, par la perversité même de la pensée, la convertir et dérober son identité.
Le grand remplacement de l'Occident incarne une islamisation de la société. En Russie, c'est une acceptation de la philosophie de vie, athéiste, bouddhique, utilitaire et utilitariste.
La Russie, en 2011, a accueilli 412 645 immigrants permanents en 2011 (source : https://data.oecd.org/fr/russie-federation-de.htm#profile-society). Après 200 ans de joug mongol, il est étonnant que la cupidité mène leurs politiciens à s'ouvrir de nouveau à l'expropriation culturelle et économique de leur propre pays.
Il paraît que la raison principale de l'exclusion de Nicolaï Khrouchtchev du pouvoir était sa prophétie que la Chine allait bientôt dominer le monde. Il a proposé en 1962 une guerre contre la République Maoïste de Chine tant que la Chine n'était pas prête économiquement à assumer son hégémonie.
Nos guides - Daria, Marina, Eugenia - nous ont dit à plusieurs reprises que la société russe n'est pas une société européenne mais asiatique. Effectivement, l'incompatibilité entre l'enclume européenne du socle social solide et l’oppression centralisée du marteau asiatique est palpable. La Russie est centralisée, tribale ou polarisée, avec des différences énormes entre les pauvres et les riches mais il n'y a que des pauvres, ou acceptablement "moyens" que vous voyez dans la société. Il n'y pas de classe indépendante moyenne proprement parler. Le gradient entre les riches et la classe moyenne est beaucoup plus abrupt que le gradient entre les couches intermédiaires et pauvres. Les riches vivent heureux et cachés. L'expression libre existe bien que codifiée et seule la critique rhétorique contre l'état est viable mais jamais contre les boyards (oligarques). Un autre extrême est l'expression des dissidents qui hurlent et vomissent leurs préjugés et leurs postures avec une telle véhémence que personne ne peut les prendre aux sérieux (par exemple l'irruption des Femen sur la pelouse de la FIFA 2018 pour le soutien de l'opposant à Mr Poutine). M. Navalny suscita de son vivant plutôt des sympathies que l’on a pour un aventurier un clown, et non le respect pour un dissident.
La NON-EXISTENCE de la couche MOYENNE (ou de la classe moyenne pour rester marxiste, comme ceci prévaut) (individuellement libre et libérale) de la société en Russie est moins visible qu'en Extrême Orient, mais elle est plus tangible. Son appauvrissement et son effacement progressif est programmé par des technocrates en Occident, qui sont hélas inspirés par la technocratie stalinienne : à leurs yeux, toute la société, voire TOUT, devient mesurable, interchangeable, réifié, sans profondeur, sans qualité propre, chosifié. Tout est tiré vers la moyenne basse, vers le maillon faible ; sauf les plus forts, les oligarques, qui y échappent. Il y a une tendance schumpetérienne d’un Surhumain économique nietzschéen.
La société russe oscille entre le sommet tsariste ou polit bureau centralisé, du Kremlin, du pouvoir politique, et les oligarques actuels, au sommet économiques qui remplacent les boyards historiques et les « krestianès » = la population basse. L’ascenseur de l'éducation n'existe quasiment pas car l'éducation générale, toute la culture générale, est remplacée par une formation spécialisée ultra pointue et donc ultra exploitable sur le marché de travail.
L'éducation générale de qualité est parallèlement mitraillée et effacée par une dystopie et un mirage d'éducation généralisée : par une université ouverte et libre et par un baccalauréat pour tous. Cette énormité empêche déjà conceptuellement le fonctionnement de l'éducation comme ascenseur social : jusqu'où pouvons-nous nous élever si tout est déjà élevé ? Mais ceci est un fléau, héritage de la Révolution française, et son engouement pour l’éclairage des Lumières : le misérabilisme éducatif en Occident est encore pire qu’en Russie.
Les prolétaires d'aujourd’hui sont économiquement et culturellement situés au même niveau que la classe moyenne historique et tout le monde est salarié. Il n'y a aucune activité individuelle. Les exceptions nombreuses confirment ce constat : les anciens brillantissimes ingénieurs, intellectuels, scientifiques ou membres de la classe aristocratique moyenne comme Mendeleïev, Tsiolkovski, Vassilevski, Mitchourine, Pavlov, Korotkoff, Metchnikoff, sont aujourd’hui dans des centres de haut niveau à Novosibirsk, Moscou, Saint-Pétersbourg ou ailleurs. Les écoles privées sont des centres de formatage encore plus pointus et spécialisés et donc coupées de la réalité synthétisante de la vie en Russie. La société occidentale (qui a déjà disparue !) avec ses couches superposées et libres, avec l'ascension traditionnelle possible par l'éducation des couches basses, populaires vers les couches "hautes" "élitistes" comme telles, n’existe pas en Russie. Même si les récentes évolutions formatrices et économiques sont hautement convergentes en Occident et en Russie. Les différences entre ces deux sociétés, russe et européenne, apparaissent quotidiennement : dans l'art, dans l'architecture même des villes, dans les discussions, dans les ATTITUDES RUSSES. Il n'y a pas, proprement, dit d'éducation, mais une NON-ÉDUCATION, un FORMATAGE ou une FORMATION selon une et seule unique idée productiviste, complètement détachée de la "culture générale" de l'individu et de la nation. Cette dystopie éducationnelle est aussi palpable en Occident : en France, quasi tous les diplômes mènent à l'Assedic.
Ce manque d'éducation vraie et son remplacement par une formation utilitariste mène à l'INVERSEMENT des VALEURS: par exemple, le docteur en médecine Anton Pavlovitch Tchekhov a écrit comme Sir Arthur Conan Doyle pour s'amuser, amuser ses patients et ses lecteurs et même si les deux ont pris au sérieux leur activité littéraire, comme je prends moi-même ma peinture ou mes écrits, leur première profession était la médecine et leur hobby, certes professionnalisé et splendide mais méconnu avant leur gloire quasi-posthume, était la littérature. Je ne dis pas art, car la médecine n'est pas une science exacte et reproductible, mais un art suprême individuel, car elle reste non reproductible. Or, notre guide de Moscou devant la statue de Tchekhov devant le théâtre de la MKHAT à Kamergerski péréoulok, nous a dit qu'il « était obligé de faire de la médecine pour arrondir ses fins de mois d’auteur » ? Or, Tchekhov lui-même parle de l'inverse dans sa Palata N°6 ! En Russie, comme en France aujourd’hui, les chômeurs sont des diplômés des arts non appliqués, de la littérature médiévale en Inde ou de mathématiques sophistiqués… : il est plus simple de se faire entretenir par un collectif, misérablement, et de rester miséreux mais sans efforts que de bâtir sa propre existence indépendante, dans la sueur !
Il y a des experts ingénieurs, docteurs en droit, en économie en médecine… des spécialistes … qui ne voient que leur domaine ultra spécialisé. Il n'y a pas de généralisation, pas de synthèse, pourtant tellement présente dans l'âme russe et dans ses classiques. Je répète : "Aujourd'hui, entre des gens diplômés et éduqués, il n'y a qu'une seule différence : l'éducation". Il n'y a pas de privé économique. Il n'y a que des consortiums, sociétés civiles anonymes… tous les prolétaires sont mutés et deviennent des salariés… Par exemple : il y a peu de restaurants selon la tradition française ou européenne, où vous venez mangez chez un chef qui attire du fait de sa réputation : il y a en Russie des CHAÎNES, des cantines ("Stolovaya"), certes de meilleure qualité que la malbouffe américaine ("Kouchnia na Paru"), mais sans service digne de cette appellation, sans endroit représenté identifié avec le patron et sans chefs car les plats sont souvent standardisés, sous vide ou réchauffés. Le vide alimentaire mais également culturel a déjà conquis l'Occident, certes.
La même remarque est valable pour tout ce qui distingue l'Europe des Etats-Unis (à moindre degré) et à la Russie (à degré plus marqué) : les boulangers ne sont pas des boulanger mais des réchauffeurs de baguettes surgelées (comme dans les grandes surfaces en Europe), les restaurants, les taxis ne sont pas leurs propres entrepreneurs mais des salariés ou des franchises de grands groupes (Uberisation et Boltisation), les professions libérales ne sont pas de professions libérales mais des employées, des salariés de suprastructures : "des centres" : les médecins ne sont pas des médecins mais des "vratches", les juristes ne peuvent pas plaider mais seulement se plaindre… Ces chaînes sont des exemples de la consommation de masse, du collectivisme consommateur, - comme aux Etats Unis, bien sûr, sans aucune personnalisation du service (c'est-à-dire à la fois la personnalisation de la prestation à la demande mais aussi selon l’offre d'un fournisseur individualisé), sans aucune individualisation, sans “passionarnost”. Les serviteurs - cuisinier, "vratch", chauffeur de taxi, magasinier…- sont complétements anonymes et en rupture complète avec leur métier. Il n'y a pas d'identification entre le producteur et le produit. Il n'existe aucune identification avec le travail qui est rendue impossible : il y a une rupture complète entre le producteur et le produit, entre le médecin et le patient… tout devient objectivé, réifié, chosifié.
Le désaveu, par une grande partie de la population, des réformes individuelles menées dans l'histoire industrielle par Alexandre III, Kerenski, Khrouchtchev, Gorbatchev, signifient l'immobilisation de la société tribale russe, avec une inertie slave et un fatalisme orthodoxe. Tout le troupeau attend une aumône (et non des honoraires) du protecteur ("rabotadatel", état, oligarque, tsar) et non la demande du client pour son offre entrepreneuriale.