Russie autre et autrement (9)
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Russie autre et autrement (9)
Épisode 9 : religions et Homo soviéticus
Les Russes aiment dire qu’il n’y a pas de guerre de religions dans leurs histoires : c'est vrai, mais c’est étonnant quand même, car la religion se mélange ici avec la notion d'ethnie ! L'orthodoxie russe date du grand schisme de 1054. Le Grand Schisme d’Orient a été une excommunication de Rome par Constantinople (Constantin IX Monomaque) et de Constantinople par Rome (Léon IX) : il s'agissait d'un ajustement politique, administratif autant que théologique ou religieux. Le Grand Schisme d’Orient a été plus pragmatique que théologique, même si la querelle du Filioque et de la conception de la Trinité divine y jouait un rôle essentiel. La disputation entre l'église moderne rebelle catholique et les anciens grecs orthodoxes a été portée sur la hiérarchie et la succession du Filioque de la Trinité chrétienne comme un débat théologique.
Les Églises orthodoxes sont autocéphales. Les haines entre les diverses fractions (grecque, moscovite, ukrainienne ou bulgare) sont ouvertes. Le patriarche Moscovite de toute la Russie est une église à part comme l'orthodoxe Biélorusse, la Macédoine Bulgare et les autres. Il y avait bien donc des guerres ethniques ! Leur histoire, surtout lors de l'expansion tsariste au 19ᵉ siècle, et aussi lors de « l’exportation de l'expansion bolchevique internationale », a valu à la Russie l’hostilité des Américains (surtout au Far East avec la guerre de Corée, de la Mandchourie et du Japon, fin 19ᵉ, début 20ᵉ, et l'expansionnisme de Woodrow Wilson en Europe centrale), mais aussi européenne (Polonais et Suédois en 1610, Napoléon en 1812, Allemagne-Autriche en 1914, Hitler en 1941 avec son plan Barbarossa et l'expansionnisme nazi, et finalement l’OTAN avec la crise ukrainienne depuis le 24.02.2022). Le bolchévisme a détruit toutes les traditions (par exemple, à Boukhara, la destruction menée par le général Frounze contre le khan en 1922 a rasé plus de 200 mosquées sur 226 et, à Moscou, il y eut la destruction de plus de 60 % des églises entre 1917 et 1987). Les sévices de Staline et l'anéantissement de toutes populations (Staline a déplacé, par exemple, plusieurs millions de Coréens de leur péninsule jusqu'en Ouzbékistan) ont créé l’Homo soviéticus. Si Hélène Carrère d'Encausse considère « le multi-nationalisme soviétique et nationalisme opprimé » comme la première motivation de la désintégration soviétique, je pense qu'elle se trompe. Elle fait ce que j'appelle un transfert de son traumatisme de la décolonisation et du post-colonialisme français, à l’inverse du wokisme. L'Homo soviéticus a réuni toutes ses populations opprimées, non contre les Russes ou contre les autres nations ou ethnies de l’URSS, mais contre cette hiérarchie sociétale omniprésente, oppressive, totalitaire et omnipotente que représentait le régime soviétique. Ignorer l'existence de l’Homo soviéticus serait déculpabiliser et effacer les crimes du stalinisme. Il est vrai que la désintégration a fait ressurgir les anciennes hostilités des voisins inconciliables et belligérants : les Daghestanais contre les Tchétchènes ; les Ingouches contre les Ossètes… Je répète : l'erreur principale de l'évaluation de la fin du bolchevisme, de la désintégration de l'URSS, était de se tromper de cible : la clé de cette désintégration n’était pas du tout le multi-nationalisme soviétique, mais la frustration profonde humaine due à l'idéologie appliquée au marxisme collectiviste de l'anéantissement des libertés individuelles (économiques d'entreprendre, culturelles et artistiques, médicales, et éducatives…) et de l'individu. L'individu a tenté d'arrêter cette destruction depuis son installation en 1918 : Hitler dans son invasion Barbarossa ; Khrouchtchev dans sa déstalinisation ; Gorbatchev dans sa perestroïka (les deux en gardant d'autres domaines que l’économie, la culture en général, sous le tutorat étatique, comme inspiré de l'ineptie de Zdenek Mlynar sur la théorie du communisme à visage humain) ; puis Eltsiniade dans son enrichissement individuel avec le vol manifeste des fonds publics et l'arrivée de l'oligarchie débridée soutenue par les occidentaux jusqu’à l’éclatement du conflit ukrainien. (Eltsiniade est mon néologisme pour décrire ces temps troubles modernes russes, conception et création de démocrature oligarchique et de la plutarchie.) Les USA, inspirés lors de leur création par la Lumière européenne, restent individuels, malgré les chaînes des sociétés industrielles, tandis que la Russie reste collectiviste dans ces mêmes chaînes.