Vaccinez-vous? Oui, suicidez-vous!
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La Colère des imbéciles remplit le monde.
Bernanos, 1938
On peut avoir été sidéré – un instant, bien sûr – de l'inconcevable naïveté de ceux qui ont cru, en prenant le Capitole (ô Flaubert[1]), mettre fin à l'odieuse arrogance de l'establishment homo-américain, alors qu'ils ne faisaient sans doute que précipiter l'Amérique dans une nouvelle fièvre ultra-sécuritaire, comparable à celle qui suivit l'effondrement des Twin Towers, le 11 septembre 2001. On peut aussi avoir été saisi du même sentiment de jubilation, du même tressaillement d'allégresse qu'éprouva Baudrillard, en voyant dans cet « événement symbolique majeur […] la preuve éclatante de la fragilité de la puissance mondiale » dont les tours « étaient l'emblème », l'incarnant encore « dans leur fin dramatique, qui ressemble à un suicide ». De même, aujourd'hui, en regardant cette invasion tranquille du Congrès américain par une poignée d'imbéciles heureux qui n'avaient peut-être pas d'autre motivation politique que de se rendre visibles sur une scène vidée de tout enjeu réel, avec tout ce que cette séquence à la Flaubert comporte de littéralement obscène, on sent, en dépit de ce qui est fait pour rendre cet événement aussi nul et non advenu que possible, qu'il s'est vraiment passé quelque chose qui mérite une « analyse radicale », et surtout pas une « interprétation factice », qui mérite d'être regardé autrement que comme un fait.
Car il y a, là, comme dans tous les événements qui ne se laissent pas « réduire à l'état de fait », une dimension qui échappe aux faits, une part d'impossibilité radicale qui arrache « les concepts à leur champ de référence », rendant « vaine toute tentative de totalisation, y compris par le Mal ou par le pire », et cela « même si le système [continue] sans répit, mais sans fin, pas même celle de son apocalypse ». Il faut le redire : « l'apocalypse est déjà là, sous forme de liquidation inexorable de toute civilisation, peut-être même de l'espèce ». Voilà ce que signifie, dans le sillage de l'effondrement des Twin Towers, l'événement Trump, par rapport auquel l'élection de Joe Bayden n'est qu'un épisode insignifiant qui ne fait que s'inscrire dans le processus global de simulation en lequel consiste désormais l'exercice du pouvoir devenu, du fait de l'élimination de toute négativité, empire hégémonique de la positivité.
Pour nous, toutefois, Français, cet événement ne peut éveiller qu'un sentiment de malaise, du moins si l'on songe que, finalement, ce qu'ont si bien réussi les trumpistes, c'est ce que nos Gilets jaunes ont en vain tenté de faire (marcher sur l'Elysée, en révéler brutalement l'insondable vacuité si bien occupée par ce roi du vide qu'est Macron), pour se contenter de quelques graffiti sur l'Arc de Triomphe et de l'incendie d'une petite préfecture de province – maigre consolation qui n'en a pas moins provoqué quasiment la même indignation des commentateurs de l'actualité. Est-ce à dire que, décidément, les Américains sont vraiment plus doués que nous, ou est-ce le signe que, malgré tout, ce qui se passe en France ne se laisse pas purement et simplement rabaisser au rang de version rabougrie de ce qui se passe en Amérique ? Ce qui est sûr, c'est que le pouvoir, chez nous, n'a pas encore la puissance de simulation qui permettrait de laisser passer ainsi une bande d'heureux imbéciles pour lesquels le plaisir de se prendre en selfie, les pieds sur la table du Chef, constitue le summum de la subversion politique. Non, il a fallu que le pouvoir prouve qu'il était le pouvoir, en répandant une saine terreur parmi des gens que n'aurait peut-être pas satisfait l'élection d'un Trump ou d'une Lepen. Indice, espérons-le, que les choses ne sont pas, en France, aussi définitivement bouclées qu'elles le sont aux Etats-Unis.
Osons donc en faire l'hypothèse : la France pourrait être le théâtre d'une Révolution qui ne consisterait pas seulement à s'engager irréversiblement sur la voie d'une liquidation de tout ce qui constitue la civilisation. Mais quelle Révolution ? Assurément pas la plate répétition de ce qui se passa en 1848, quand l'illusion qu'on pouvait « donner le pouvoir au peuple » aboutit à la sinistre comédie d'un suffrage universel dont la première conséquence fut d'installer à la place du Roi le premier imbécile venu, qui n'eut de cesse de se prendre pour Napoléon et d'accélérer tous les processus qui pouvaient faire d'un grand pays de culture une vaste entreprise de développement industriel et financier. Après deux guerres mondiales et l'assujettissement complet de la terre aux principes d'une logique d'exploitation qui détruit et démembre (et remembre indéfiniment) tous les milieux, naturels et sociaux, pour en faire de purs espaces de circulation des flux et des signes, nous savons que le lieu du pouvoir est d'abord un lieu symbolique auquel il ne faut pas toucher – un lieu sacré, que la profanation rend maudit.
Nous n'avons pas, en tant que peuple, à prendre le pouvoir, ni même à y participer. Nous avons toute autre chose à faire : à vivre. Vivre est notre seule affaire, et vivre est notre profonde et essentielle compétence, à laquelle nous devons consacrer le meilleur de nous-mêmes. Et c'est bien ce qu'exprimait en profondeur le mouvement des Gilets jaunes, quand, se postant aux ronds-points, il installait ses tables et ses foyers de partage partout où il pouvait bloquer la circulation d'un immense transit qui ne s'alimente en fin de compte que de nos appétits de consommation marchande. Vivre, oui, et non survivre, comme cherche à nous y réduire l'immense protocole morbide des marchands de masques, de tests et de vaccins qui nous gouvernent et dont le gouvernement ressemble de plus en plus à une entreprise de pompes funèbres, uniquement préoccupée de stoker des cadavres dans les chambres froides de la comptabilité nationale. Vivre – les uns pour les autres, dans un grand effort de respiration et d'aspiration, dans un grand rythme d'amour où l'essentiel se laisse constamment déchiffrer, sous la forme d'un fascinant mystère, sur le visage de l'homme qui s'expose et s'engage, travaille et peine, rue et rit, s'adonne à d'infimes passions, souffre et partage le fruit de ses efforts – spectacle purement gratuit que nos rues dispensaient tous les jours quand les écrans de la représentation délétère du néant n'avaient pas encore envahi nos vies.
Il faut vivre, il faut que nous vivions, telle est l'urgence, tel est le sens de cette épreuve que constitue l'épidémie contre laquelle le pouvoir des techniciens-sorciers qui prétend assurer notre préservation ne connaît d'autre remède que la vaccination, cette pure opération de synthèse génétique par laquelle les incompréhensibles mouvements du vivant se transforment en une mécanique sagement contrôlée, une véritable singerie physiologique qui ne peut qu'achever de faire de l'homme une espèce à peine supérieure aux singes les plus inférieurs, ceux qu'on peut, dans des cages confortablement aménagées, faire ressembler à des hommes en les affublant d'un costume, à l'instar des ces pauvres qu'on voit, dans tous les Mac Donald, s'affairer sous la livrée d'une marque dévolue à la transformation de toute alimentation en consommation de produits standardisés dont la prédigestion fait de notre estomac un pur organe de soumission au système. Il faut vivre, retrouver le sens de ces vastes tablées dans lesquelles nos familles, élargies le plus souvent à tout le voisinage, savaient si bien célébrer les événements d'une vie qui formait un tout dont on ne pouvait rien retirer sans menacer d'en détruire la belle ordonnance – une vie qui était à la fois sociale et spirituelle, culturelle, cultuelle et politique, à l'exclusion de toute préoccupation sanitaire, trop fière pour se soumettre jamais aux injonctions comptables d'une administration qui ne connaît que les résultats statistiques de ses opérations de contrôle et d'uniformisation.
En ce sens, l'épidémie est une chance, dont nous avons pu goûter les principaux effets quand, pendant le confinement de mars, tout s'est arrêté en vertu d'un ordre stupéfiant qui s'imposa comme par miracle à tous nos chefs d'Etat, tous pris d'une sorte de mimétisme imbécile les rendant incapables de réagir autrement à l'événement qu'en imposant des normes de comportement aussi ineptes les unes que les autres. En dépit de la diarrhée réglementative qui s'abattait sur nos existences, nous avons pu, dans le silence d'un espace social tout d'un coup délivré de tout impératif économique et sous un ciel que ne rayait plus l'insulte quotidienne du trafic international, mesurer combien la vie est belle – combien, du moins, la vie serait belle si elle n'était constamment détournée d'elle-même par les contraintes d'un système qui se construit et s'enrichit de toutes nos démissions individuelles et collectives, d'un système qui n'enrichit que ceux qui, n'ayant rien à faire de leur propre existence, se vouent sans cesse au service d'une existence fantomatique entièrement téléguidée par des maniaques de rentabilité technicienne et marchande.
Ne laissons pas passer la chance que nous offre un virus pour une fois résistant à toutes les manœuvres de l'imagination techno-scientifique, car ce mutant de la mondialisation néo-libérale n'est pas notre ennemi. Il ne tue pas, et les morts qu'on lui attribue trop facilement, s'ils pouvaient témoigner, témoigneraient d'abord de l'état dans lequel des décennies de gestion délirante du patrimoine commun de l'humanité ont plongé les territoires du vivant. Sous le masque du virus, c'est le vivant lui-même qui se manifeste, et tout porte à croire qu'il sera, cette fois, plus fort que le vaccin que prétendent lui opposer les laboratoires du néant social inféodés à la puissance numérisée du capitalisme financier. Aux tenants de l'ordre sanitaire sous le masque duquel il est si facile de reconnaître les promoteurs d'une mondialisation qui est la véritable pandémie de notre monde, opposons nous aussi le cri que les Gilets jaunes avaient si à propos jeté au visage de l'ordre policier : Suicidez-vous – vaccinez-vous vous-mêmes, ordures.
Egletons, le 9 janvier 2021.
[1]. Il est urgent de relire, dans L'Education sentimentale, la scène immortelle de la prise du Louvre en 1848, pour savourer tout à fait les photos prises dans la salle du Congrès, mardi dernier).