Découvrez la collection Mauvaise Nouvelle, aux Éditions Nouvelle Marge.


Matines

Matines

Par  

Nous autres, peuple, nous sommes représentés par notre fosse commune — voilà notre opinion dans sa bière attendant que de nouveaux jours lui rendent ses anciens, où les pouvant reconnaître, nous nous retournerons dans la tourbe comme des vivants pour revenir sur la terre. Ce jour de grand jeu, lorsque l'éclatement du monde se fera près de nous, que les déflagrations intimes d'un peuple en son entier, que les singeries manichéennes d'une ordonnance bien maligne auront ensemble, par toute la violence disponible, trempé leurs nippes aux rives d'une eau si pure et d'un sang mieux éclairé, ce jour, nous pourrons enfin boire à la liberté sans le moyen de la paille pour l’atteindre. Nous vivrons des jours paisibles et heureux dans la dimension des vertus nouvelles et des grâces à nous en émouvoir ; nous serons si bonnement des frères et sœurs du mérite qu'à tout va nous pourrons provoquer les saints à jouter contre nous les ordalies.

Mais depuis deux cents-ans et la mort du Roi, nous n'avons pas cessé d'ouvrir les cénotaphes et d'y loger dans une grande combine les plus dépourvus de la parole. Faut-il comprendre qu'autour d'une opinion seule, nous avons sans égal deux univers qui doivent se contorsionner en deux êtres : celui de la représentation et celui de la relégation ? Le premier est élu et gagne son élection, le second doit élire et perd son élection. Le premier fait devant nos yeux une belle auréole, et nous sommes bercés de la caresse qu'un homme de son genre puisse être à ce point à notre écoute — mais voilà l’auréole qui se baisse, et derrière nous apercevons l'un de ces hommes bien moindres dont les oreilles sont des connivences. A la chose publique, à ses ennemis de bords différents, l'homme qui se fait élire prend la place d'une grande place et charpente autour des opinions qu'il dit tenir de son peuple, toute une architecture, toute une résidence ; et nous le voyons ainsi qu'un magistère, qu'un porte-voix ; et nous sommes remués par de lyriques symboles et des récompenses, des hommages ; et l'homme, la femme élue nous fait la belle figure des statues. Mais combien de mensonges dont nous sommes les dupes ?

Chaque élu du peuple se veut toujours le peuple élu sans en avoir l’habileté. Un habitant qui assisterait à l'une de ses réunions ne se verrait-il pas méprisé, bientôt honni puisqu'il n'aura, lui, jamais de réponses politiques qui puissent influer ? A quoi sert la représentation si donc nous sommes dépecés des avis même dont nous pourrions décorer les couronnes de nos tribuns ? La part de l'opinion est démise, et les dynasties élégiaques ont une propension intéressée à nous faire fléchir les rames de notre embarcation. Pour le dire mieux, ces élus qui nous font croire qu'ils sont les porteurs d'un projet, savent et s'accouplent avec une grande apprêté à tous les non-dits et les font fructifier ; ils se servent dans les communes, que nous soyons encore dans une logique villageoise et de tribalisme, dans l'habitude d'un vote sur l'homme et non sur son idée ; et bien que la chose ne puisse plus tenir à cette époque où notre population excède tous les dispositifs de la politique, nous nous y tenons sans dépit, pour le meilleur profit de ceux qui auront su le mieux hameçonner l'héritage. Cela nous donne à élire les singes et les maquignons les plus faisandés de l'histoire de notre temps. Tous deux pères de la même fonction douteuse sur l'entendement des hommes — font-ils croire ces journalistes besogneux et stupides à un véritable objet, à une cause commune, à un rabattage public, au ruissellement des idées ! Et veulent-ils faire subsister l'idée d'une mairie ! Or depuis des dizaines d'années, nous sommes les bras et les jambes retenus à la marche étroite, au milieu de murs et de leurs voiries qu'ils s'échinent à nous faire croire excellentes.

Ces gens, les élus, sont nos propriétaires, et nous louons ainsi qu'un argent comptant notre opinion. Mais ils n'écoutent pas, malgré leur volition, malgré les mots, les phrases et les prétendus, et dans leur siège, des jours entiers ils négocient comme des marchands non pas les voix qu'ils auront déjà demain, puisque la commune est ordinaire, mais leur opinion propre en échange de toutes les autres. Au seul prétexte que le peuple a élu son homme, et que cet homme a fait face à un contexte inattendu. Le contexte servira toujours de prétexte aux élus pour se dérober à ceux qui les ont élus, et nous sommes désastreux à nous prémunir des prétextes qui nous font peu à peu nous emprisonner par des intérêts et des volontés tout autres. Ces hommes-là, qui sont des menteurs, nous disent bien souvent qu'ils sont des humbles, qu'ils sont les égaux de tous ceux qu'ils représentent. Par là encore, ils nous font croire à leur proximité alors qu'ils agrandissent leur potentat. Ils ne voudront jamais se changer tant qu'ils verront que nous sommes les nigauds de leur module de puissance. Les choses ont été si profondément admises, et si refaites par la réplication des faits et gestes, qu'aujourd'hui même nos élus n'ont plus conscience du pouvoir qu'ils ont, qui rend plus que débile la démocratie à laquelle ils disent tenir. Seuls les plus malins prennent conscience, comme des acteurs, de la scène sur laquelle ils se trouvent, du personnage qu'ils interprètent et de sa conséquence. De ceux-là, nous avons la naissance de ceux qui profitent et de ceux qui s'en vont. A l'image de l'époque, ils se font les amoureux du médiocre et considèrent, pour la seule destinée des hommes qui les élisent, qu'eux-mêmes ils n'ont une destinée qu'à aimer le médiocre.

Ils n'auront jamais compris, ces gens-là, que pour être à la hauteur de tous les hommes, il faut être au-dessus.

La grande recherche de l'homme providentiel nous fait mentir les apparences de nos années crapulaires ; Charles de Gaulle a fait mourir cent ans derrière lui l'Histoire de France dont il provenait, et nous ne parlons plus aujourd'hui des républiques qu'il a enterrées de son ombre. Nous étions dans son appétit et dans son coeur, et la France résonnait dans le corps d'un seul homme. Les Français n'ont pas le désir d'un maître, mais ils n'admirent pas la faiblesse, ils aiment la force et tolèrent sans y voir encore précisément ces chiens d'élus qui, sans se retenir, proclament que sous leur gouvernance ils seront les égaux de tous les hommes, et qu'ils auront des failles sans en avoir de honte ou de pudeur. Que voulez-vous ! Nous voulons des spirituels, nous avons des abâtardis. Notre société, qui devrait être portée à l'élévation des médiocres vers le triomphe, se gargarise de se faire l’amie des médiocres pour ne pas avoir la charge de porter, l'impudence de considérer et l'effroi d'injurier. Nos élus préfèrent, pour ne pas éteindre les intentions des votants à leur égard, ne pas ternir la réputation excellente de la médiocrité. Plus encore, ils s'en abreuvent, et pour garder une cohérence, l'allongent d’une éducation dans le même sens et dans la même idée. Il n'y a plus d'hommes pour dire que la médiocrité n'est pas bonne de peur de froisser le sentiment d'une personne qui pourrait se considérer médiocre, ou qui considérerait qu'en parlant de médiocrité, nous parlons de gens pauvres. C'est au lieu de conforter cette personne dans la charité de son sentiment, dans le sens de son poil, que nous devrions durement le contredire et nous liguer. Ils n'auront jamais compris, ces gens-là, que pour être à la hauteur de tous les hommes, il faut être au-dessus.

Et nos présidents qui défont notre histoire ! Elle qui n'a jamais été aussi malmenée, sa connaissance aussi dépecée, aussi écartelée qu'aujourd'hui ! De tout bord, de toute part, de toute personne même — nous avons chez nous des vainqueurs comme des vaincus, et chez les autres des vaincus comme des vainqueurs. Nous n'envisageons plus l'histoire d'aucun point de vue qui ne soit victorieux, et nous sommes autant flattés d'avoir défait notre ennemi, que d'avoir été défaits. En cela je peux voir ce désir de reconquête d'une histoire commune en des temps où les hommes, entre eux-mêmes, n'ont plus rien de commun, et ne désirent plus de ressemblances. Ceci est la conséquence de cette indécision de l'histoire, de sa trop grande longueur, de sa trop grande ancienneté, de sa frise chronologique qui ne cesse de s'agrandir de génération en génération, et dans la mémoire même des générations et des générations qui la rejoignent encore. Il s'agit là, de ce que l'on pourrait appeler une attrition de l'histoire, et de la même façon que les troupes lors d'une guerre finissent par se lasser des longues années de combats, par être usées des batailles et des ordres, nous sommes, nous aussi et notre pays, entièrement éreintés par notre histoire. Et depuis la révolution, certes, nous étions au temps des rois dans une sorte de baignoire historique, en prélassement mais bien audible, bien compréhensible, tout bonnement historique ! Mais depuis la révolution nous n'avons que tiré la bourre à ces choses ; depuis la révolution le basse politique est revenue ; nous ne sommes plus lâchés une seconde des fards et des faux drapeaux, des gironds politiques, de ces maquignes à double revers — président par ci et là, tous les cinq à sept ans, quand les coups d'états ne sont pas à la ligne. Le coup d'état permanent, cette façon de remugle qui ne veut pas le prélassement de l'histoire ! Chaque jour, chaque politique nous donne un messieurs-dames, nous fait un symbole — et nous voici au mieux dans le barbot républicain, voici raccompagné notre esprit par une main prodigue. Et si bien ne voudrait-elle à nous autres que le bonheur ! Chaque nouvel élu se croit appelé à refaire l'histoire. Il triture pour le compte de son propre destin l'appareillage des lois. Entré dans les livres d'histoire, bienheureux le ministre devenu marque-page !

 


Valls et Dieudonné sont sur un bateau…
Valls et Dieudonné sont sur un bateau…
Piquemal : ange ou démon ?
Piquemal : ange ou démon ?
La lente privatisation de l’enseignement
La lente privatisation de l’enseignement

Commentaires


Pseudo :
Mail :
Commentaire :