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L’abolition de l’âme

L’abolition de l’âme

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Après l’excellent Eclipse de la mort, le philosophe Robert Redeker nous gratifie d’un non moins brillant ouvrage intitulé L’abolition de l’âme. Il y a un fil reliant les deux titres, et ce que veut nous dire l’auteur, qui se nomme la transcendance, autrement dit la question de Dieu, de notre rapport à l’infiniment grand qui semble avoir été banni du cœur de l’homme.
L’entreprise de déconstruction, ou de décivilisation, n’est certes pas nouvelle mais semble trouver, en ces temps de relativisme absolu, des zélateurs prêts à tout pour nous intégrer de force dans ce que Redeker appelle un « monde de déglingués ».

L’âme a disparu. Ou l’intériorité, c’est-à-dire la quête d’une vérité profondément inscrite en l’homme, située sous le vernis de ses matérialités : « Avoir le souci de son âme, en avoir soin – tel était le souci et le soin principal des générations qui nous ont précédés. Dans ce souci s’inscrivait pourtant le point de départ de la philosophie, et, au-delà, celui de la civilisation occidentale. De la poésie, du roman, du théâtre – et des valeurs ! Plus que le point de départ : l’envoi. L’impératif de ce souci a été découvert par les Grecs, tout spécialement par Platon, qui nous l’ont adressé. Le christianisme l’a repris et popularisé pour bâtir ce qui fut, quinze siècles durant, notre civilisation. »

Une expérience décisive et rarement éprouvée par nos contemporains consiste en la rencontre d’un moine d’abbaye. Le contemplatif, après les salutations d’usage, va sans ambages à l’essentiel et demande d’un doux sourire à son visiteur : « Comment va votre âme ? Parlez-moi d’elle. » Question éminemment personnelle, éminemment vitale, éminemment structurante pour qui veut comprendre le sens de son existence parce qu’il ne trouve pas dans la société du spectacle permanent de réponse satisfaisante. Soyons-en convaincus : la source d’eau vive à même d’étancher une soif d’absolu se situe à l’intérieur de nous-mêmes. Dans cette subtile voie que Saint Augustin disait avoir longtemps cherché dans le monde physique, en vain : « Longtemps, je t’ai cherché au dehors, mais tu étais au-dedans de moi. »

Redeker définit l’âme ainsi : « Quelque chose que nous tenions pour une part de nous-mêmes, la part la plus importante. La part la plus intime. Le vrai trésor que nous sommes, c’était elle, ce n’était pas nous, ce n’était pas moi ! Nous la confondions même avec notre intimité. » Ce quelque chose qui était comme attaché à chacun nous a été enlevé. Nous connaissons donc une sorte d’infirmité. Le crime contre l’homme occidental est immense. Les perpétrateurs modernes de ce crime scandaleux savent bien ce qu’ils font et multiplient les agressions contre les valeurs anthropologiques traditionnelles : déconstruction, wokisme, cancel culture, gender visant à nier la nature, la biologie, l’essence de l’homme et de l’univers, transhumanisme marchand…

Déjà, chez Descartes, le mot âme, par une sorte de palimpseste, se voyait-il recouvert par les concepts modernes d’ego, de moi, de conscience, de sujet, d’inconscient, de personne : « Qui voit dans ces mots des ratures de l’âme ne se trompe point. Ses biffures. Ils ne sont que les mots dont l’Occident, dans la philosophie d’abord, dans la culture ensuite, dans la vie collective enfin, s’est servi pour congédier l’âme. Cet oubli de l’âme est un corollaire du refoulement de Dieu. »
Redeker poursuit sa pédagogie de l’âme : « La pensée a essayé par mille chemins de la cerner, cette chose, dont l’âme est le mot, qui nous apparaît dans le champ de l’analogie. Tantôt elle voulut la conceptualiser, à la suite d’Aristote, tantôt elle fraya les voies d’une approche infiniment subtile et précise, dans la lignée de Platon, dans celles de saint Augustin, de Pascal, tantôt elle aspira à la vivre, comme fit sainte Thérèse d’Avila. Ou par la petite voie de sainte Thérèse de Lisieux. Tantôt les ailes de la poésie et de l’art la frôlèrent. »

La causalité est si nette entre cet effacement de l’âme dans l’homme et ce qu’il est présentement devenu : un homme déglingué. Les utopies contemporaines, à la matrice marxiste, que sont la consommation, la digitalisation de l’existence, le libéralisme « start-up nation » croient pouvoir fabriquer le ciel. Elles ne sont pourtant rien d’autre que des matérialismes, des prométhéismes délirants. Le ludisme est l’un de ces avatars que nous subissons ; il s’infiltre partout et menace désormais l’adulte, l’infantilisant, le scotchant derrière Netflix et ses innombrables séries abrutissantes, après avoir réduit l’Ecole, jadis creuset d’excellence française, à l’état de fantôme. Menacé dans son essence, déshumanisé, l’homme sans gravité, liquide, se meut désormais dans un ludodrome qui lui sert d’horizon indépassable. Flatté, nombrilisé, il pratique assidûment le « tout à l’ego », pour le dire comme Régis Debray.

Redeker s’interroge, avec tant d’autres penseurs lucides, pour savoir si l’intériorité n’a pas été détruite par la technique : « Du haut de son arrogance, rendue ivre par ses réussites, la technique a ringardisé l’âme. »
La science, distincte de la technique, que le Pape Benoît XVI voulait réconcilier avec la foi, parviendra-t-elle à ouvrir les portes d’un salut possible de l’âme ? « La technique concentre toute l’attention des hommes sur le seul monde matériel. Elle laisse entendre qu’il n’y a aucune profondeur au monde, que celui-ci n’est que surface, ou surfaçable, surface en réserve, à disposition de la technique. A l’inverse de la vulgate contemporaine, dont trop de philosophes se font les complaisants haut-parleurs, il redevient légitime d’opposer radicalement la technique et la science. Quand la technique referme le monde sur lui-même, projetant un monde qui soit entièrement fabriqué, la science, tout spécialement depuis la révolution quantique, rouvre la possibilité de la transcendance. Cette réouverture place la science sur le seuil d’un autre monde que le monde matériel : le monde de l’esprit. Technique et science cheminent dans des directions inverses. La science ouvre ce que la technique ferme, et qu’elle a elle-même nié dans la parenthèse positiviste (1830-1930) : la possibilité de l’intériorité, la possibilité de l’âme. »

La possibilité de l’âme, tel un pari pascalien, constitue cette promesse qui pourrait ni plus ni moins sauver l’homme. La possibilité de Dieu finalement, une possibilité qui se frôle, se pressent, s’esquisse dans la prière, la contemplation, la quête d’intériorité, la poésie et la littérature, la fréquentation du beau mais aussi, dans l’impérieux souhait qu’ont certains mendiants spirituels ou autres anarchistes chrétiens opposés au technicisme d’une rencontre avec un homme-dieu incarné il y a deux mille ans.


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