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Du savoir-vivre à la survie

Du savoir-vivre à la survie

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Le savoir-vivre se perd. On s’agglutine, on postillonne, on joue des coudes. On existe. On manifeste. On s’écrase. Mais on ne vit plus (dans la mesure où l'on ne se distingue plus que par sa grossièreté).

On « survit » et on appelle cela vivre.

La satisfaction des besoins premiers, si facile aujourd’hui, subjugue pourtant tout le reste ; aussi survit-on comme on « lutte » - des abstractions collectives.

La complexité décourage ; on fait de l'argent et on appelle cela créer des richesses.

Le sens du devoir - intellectuel et sacré - se perd ; on lui préfère la facilité ou le principe de l’intérêt borné (voire idéalisé ; à toute fin utile), le présent nous obnubile, la suggestion remplace l'imagination et le champ du désir se rétrécit en conséquence de tout cela ; d’où l’impuissance à vivre comme il se devrait (selon une haute idée de l'homme, de son passé, de sa diversité, de son futur, de sa mort) ; d'où l'usage intempestif de l'instinct de survie censé pallier au manque à vivre et à la vacuité de la mort désacralisée ; d'où le vertige - sans cesse répété de la Chute - converti en angoisse existentielle ; voire en plaisir aveugle.

Mais que s’est-il passé pour en arriver là ?

Au regard de l’éthique, au regard de la loi : la convention a remplacé la légitimité depuis plus de deux siècles en France (cf. La ruine de Kasch).

La science a réinventé la mort tandis que la vulgarité devenait conventionnelle en haut-lieu ; l’Objectivité a remplacé Dieu et la perpétuité révolutionnaire s’est instaurée - à défaut d’un programme politique et social cohérent - en Angleterre, en Amérique, en France, en Europe ; et aujourd’hui partout.

L’industrie, la démographie explosive (et que dire de la science), les activités de masse - « travail », guerre et tourisme - ont souillé notre planète, en l'uniformisant.

Jusqu’à l’avènement de notre monde prosaïque et minutieusement millimétré ; jusqu’à ce que l’impersonnel, d’un bout du globe à l’autre, fasse loi - l’impersonnel désacralisé.

L'objectif imminent remplace (en toute objectivité, n'est-ce pas) le devoir intemporel et le relativisme justifie l'absurde d'une vie en commun, sans rien qui l'exalte de durable sinon l'instinct de survie animal qui la soutient viscéralement ; l'impératif étant de « ne pas se prendre la tête » ; expression chérie de nos jours par les imbéciles (d'où l'épidémie massive).

L’homme devenant insignifiant (et malléable, incurieux ; sans poids pour peser en propre, ni dans le temps ; ni qui lui soit acquis - à défaut de tant d’autres choses indues, telles que son confort), il fait attention à ne pas trop titiller ses neurones ; ni ceux de son prochain (bouffer, baiser ou dormir n'en demandent pas tant de nos jours).

Enfin : quelle impudence à vouloir utiliser ses neurones !

Voire accaparer ceux des autres ?

Le comble !

On n’y pense pas !

A chacun son bout de fromage !

Pourvu de partager.

L’homme devenant insignifiant ; tout se rapporte aujourd’hui à la survie - en général (conventionnelle, abstraite, à l'instar de l'argent et de la loi censés la garantir ; souvent au mépris de la vie digne d'être vécue, jadis transcendée par d'autres moyens plus naturels ou plus nobles ; tels que la force ou le génie, la foi ou l'art).

Tous s’y rapportent ; et survivre serait un bonheur à partager ; sinon un moindre mal, quelque chose de darwinien.

Croissance est le maître mot capitaliste ; l’évolution darwinienne semble la justifier ; et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes - en marche ! -, adolescent entre tous (obsédé par la croissance ; ses soucis d’identité ; son évolution improbable vers le mieux).

Il y a comme un malaise adolescent dans l’air du temps, un malaise généralisé (grognon, râleur, grégaire, inconscient, sans pitié).

On se serre les coudes pour montrer les dents à l’ennemi rêvé : la mort.

En pleine symbiose formidable, on déchiquette ceux qui en sont les plus proches (à commencer par les vieux et « ceux qui naissent posthumes »), puis on les récompense de leur bravoure (ou de leur « bravitude », c'est selon), parce qu’il faut bien recycler.

Le savoir-vivre n’est pas chose morale. Le savoir-vivre est éthique. Mais le sens de l’éthique se perd ; on lui préfère la morale, qui rassemble les imbéciles.

La survie est la lutte obstinée contre la mort. La vie est la lutte obstinée pour la mort. Le savoir-vivre est un savoir-mourir.

La survie est un réflexe qui a dégénéré chez l’homme en passion ; le culte qu’il a du social en est un exemple frappant ; censé élever l’homme avec cela qu’il tient de l’animal de troupeau (dont la bêtise fait l’anonymat et pis).

La vie serait autre part ; entre action, rêve et mort (à la conquête d’une identité).

Mais le réflexe et la passion aveugles remplacent l’utopie (et l'humaine acuité à la concevoir divinement, acquise au fil des siècles), l'analogie fabuleuse de nos ancêtres civilisés disparaît devant la causalité empirique ; et l’homme contemporain est un relayeur sans pareil de barbarie.


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