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Eros

Eros

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C’est peu dire que le féminisme (peut-être faut-il parler seulement des féminismes) est en crise. Les remous provoqués par une tribune dans Le Monde (https://kassataya.com/2018/01/09/femmes-liberent-parole/) en témoigne.

On voit bien que ce qui travaille les féminismes est la question de savoir ce qui peut bien devoir mesurer les relations entre les hommes et les femmes. Entre le regard insistant et le viol, faut-il voir une différence de degré ou de nature ? Faut-il exiger un consentement explicite et contractualiser cette relation au risque de détruire sa dimension d’imprévu et de romantisme ? Ou bien au contraire faut-il revendiquer une « liberté d’importuner », quitte à ne pas trop savoir quelle est la frontière entre la drague un peu lourde et le harcèlement condamnable ? La difficulté est qu’un consentement peut en vérité être plus ou moins arraché, et donc ne suffit pas. Mais le considérer comme nécessaire serait absurde, car il faudrait bien importuner autrui en lui demandant son consentement.

Au nom de la même « liberté sexuelle », on revendique aussi bien le droit d’importuner que le droit de ne pas l’être.

Il me semble que l’on se trompe en évoquant ici la liberté sexuelle, parce qu’ici comme en d’autres débats on confond ce qui relève de l’érotique et ce qui relève du sexuel. L’érotique, c’est ce qui a trait au désir et à la libido. C’est le désir du corps d’autrui que j’entrevois comme objet de jouissance possible. Ce désir n’a pas de sexe, il est le désir d’un corps pour un autre. C’est d’abord l’eros populaire et vil dont parle Pausanias dans Le Banquet[1]. Les hommes que cet Eros anime « ne s’intéressent qu’à la réalisation de l’acte », dit pudiquement Pausanias. C’est ensuite l’eros que Pausanias juge plus noble, qui ne s’intéresse pas simplement au corps, mais aussi aux qualités morales de celui qui est désiré.

Or pour le grec païen Pausanias, c’est vers l’homme que cet Eros se dirige, parce que l’homme est pour lui plus noble que la femme et que celle-ci n’a d’intérêt que pour la reproduction.

Le mépris grec pour la différence sexuelle, et donc de la femme, empêche Pausanias de penser l’Eros au-delà de la recherche d’une jouissance au moyen du corps de l’autre. Mais il se pourrait que les grecs de l’antiquité n’aient pas le monopole du mépris de la différence sexuelle.

La « libération sexuelle » que l’on nous sert avec insistance n’est en fait qu’une libération du désir érotique, lequel se retourne naturellement, quand il n’est pas mesuré, contre un plus vulnérable.

En vérité, cette libération est érotique et non sexuelle.

Elle n’est pas encore sexuelle tant qu’elle ne pose pas la différence sexuelle comme mesure de la sexualité. L’étrange notion d’« homosexualité », pourtant passée dans les mœurs, montre bien cette confusion : est homosexuelle une relation avec une personne de même sexe, alors même que le fait que le sexe soit le même rend celui-ci insignifiant. Tandis que le mot « sexe » dit une différence, on abolit immédiatement cette différence tout en continuant à dire cette différence. Si j’ai le même sexe, je ne suis pas sexuellement différent, et donc ce que j’appelle sexe est rendu sans autre signification que celle de « recherche de plaisir ». Ainsi le harcèlement sexuel dont on parle n’est-il pas autre chose qu’une recherche de plaisir au moyen du corps d’autrui, ce qui est le propre de l’eros. S’il n’y a que cela, on n’aura recours qu’à la loi pour réguler les mœurs, avec le succès que l’on sait.

Cependant nous ne sommes pas seulement des corps capables de jouir ou de faire jouir, nous sommes des hommes et des femmes. Prendre au sérieux la différence sexuelle est la seule façon de donner à l’eros un sens supérieur.

Le problème du féminisme est que dès lors qu’il pense la femme contre l’homme il la rend incompréhensible

Le problème du féminisme est que dès lors qu’il pense la femme contre l’homme il la rend incompréhensible, parce que la femme ne peut se reconnaître femme que devant l’homme, relativement à lui. De la même façon que l’homme ne peut se reconnaître tel que relativement à la femme. Autrement dit, la femme et l’homme sont l’un pour l’autre un appel à être devenir ce qu’ils sont. Etre homme ou femme n’est ni un destin ni une construction arbitraire, c’est une vocation.

Au point de départ de notre civilisation, le récit biblique nous montre l’homme et la femme, nu l’un devant l’autre et n’ayant pas peur, égaux sous le regard de l’Auteur de l’univers. Ce qui se produit ensuite est un désordre dû précisément à la méfiance introduite par un tiers.

Penser la femme contre l’homme, ou sans l’homme, est une impasse. De même pour l’homme. Depuis toutes ces années où le féminisme s’est trompé d’adversaire et a voulu construire la femme contre l’homme ou sans lui, elle a produit des hommes dont la virilité s’est révoltée (le macho) ou éteinte.

Or il ne s’agit pas de briser l’eros ni de le libérer sans condition, il s’agit de lui donner un sens. Au risque de paraître « vieux-jeu », il me semble qu’on a eu tort de réduire la sexualité à la recherche du plaisir, et qu’il est urgent de la replacer dans l’ordre de la conjugalité et de la fécondité. Je m’explique.

Les femmes sont, de mon point de vue masculin, des êtres exceptionnels. J’aime leur façon de voir la vie, leur conversation me plaît particulièrement, en un mot j’aime leur indéfinissable féminité. Leur amitié, leur conversation, me conduit à me rapprocher d’elles. Mais il n’est pas question pour moi de céder à ce qui serait un désir érotique, excepté avec ma chère épouse. La raison est simple : le sens du désir érotique est pour moi de poser la question de la conjugalité et de la fécondité : cette femme désirable, pourrait-elle être pour moi une épouse qui serait la mère de mes enfants ? Dans la négative, je m’abstiens de laisser naître un désir ou de le nourrir. Et la relation n’en est que plus riche, car les femmes ont le droit inaliénable à ne pas être envisagées simplement sous le point de vue de leur capacité à satisfaire une pulsion érotique, avec comme seule limite que cette satisfaction se recherche entre personnes consentantes.

C’est bien de ce droit dont il est question aujourd’hui, dans une société hyper érotisée où l’on ne sait pas trop comment vendre un objet sans s’appuyer sur l’eros à grands coups de femmes à moitié nues.

C’est bien ce droit que me paraissent manquer les diverses tribunes : un droit d’importuner, mais pas par quelqu’un qui ne verrait la femme que comme un objet passager de satisfaction. En confondant la liberté sexuelle avec celle du désir érotique, on risque bien de perdre celle-là et de se retrouver dominé par celui-ci. Plutôt que de déclarer la guerre des sexes, il serait plus judicieux de retrouver le sens humain de la sexualité.

On pourra ainsi comprendre, par exemple, pourquoi il est en effet choquant que l’on tolère qu’un homme d’âge mûr ait une relation sexuelle avec une jeune fille de 11 ans consentante. La raison pour laquelle nous trouvons cela immoral suppose de renoncer à une liberté sexuelle et érotique limitée parle seul consentement. Il faut en effet aller plus loin, et reconnaître que l’on ne peut raisonnablement envisager d’avoir avec une jeune fille de 11 ans une relation qui pourrait faire d’elle une mère. Si la maîtrise de l’eros s’impose ici, c’est uniquement pour cela.

Libre à chacun de considérer que mon propos est rétrograde. Il l’est en effet en un sens, puisque je propose de freiner dans ce chemin qui conduit à la dictature d’un eros tout puissant. Mais il est aussi en un sens progressiste, puisque je propose d’avancer un peu plus vers une meilleure considération de la femme : elle n’est pas simplement un corps, mais une personne que la possibilité qu’a notre désir sexuel de la rendre mère est un appel à une responsabilité supérieure.

Où donc nous conduit aujourd’hui l’eros ?

L’eros infertile de l’individu hédoniste n’abolit pas le désir d’enfant. On le voit déjà avec la revendication de la PMA pour toutes, qui conduira ensuite à la PMA pour tous que l’on nomme GPA. Car lorsque l’on aura ouvert la PMA aux femmes seules, il faudra par souci d’égalité l’ouvrir aux couples de femmes, puis ensuite prendre en considération la situation des couples d’hommes.

Voilà encore un marché bien juteux qui s’annonce. La volonté marxiste de ruiner la famille, coupable de ses racines judéochrétiennes, rencontre les ambitions industrielles de créer sans cesse de nouveaux marchés. L’enfant sera le grand perdant, bien sûr, obligé de s’adapter au Prométhée déchaîné du siècle.

La boucle sera bouclée, pour ceux qui douteraient que ces questions sont liées : débarrassée de sa fonction reproductrice, la sexualité ne sera plus qu’un loisir parmi d’autres, qu’il sera socialement mal venu de ne pas tenir à chaque moment disponible.

Notes :

[1] Platon, Le Banquet, 180 d-e


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