Découvrez la collection Mauvaise Nouvelle, aux Éditions Nouvelle Marge.


Le beau est-il objectif ou subjectif ?

Le beau est-il objectif ou subjectif ?

Par  

Du vrai, du bon, et de l’harmonieux comme motif fractal

La méthode scientifique impose une neutralité et une distance dans l'examen de son objet d'étude fondant la notion d'objectivité et par opposition celle de subjectivité. En matière d'art, la frontière entre sujet et objet est abolie. Elle s'estompe au profit d’une relation. Le sujet participe à l'objet en tant qu'artiste fabriquant et aussi le sujet regardeur participe à la construction mentale de l'objet symbolique, sorte de miroir de l'âme. Inversement, l'objet symbolique, voulu forme porteuse de sens par l'artiste, façonne le regardeur par phénomène d'imitation et d'adhésion. En quelque sorte en matière d'art l'observateur est l'observé.

Plus généralement et abstraitement si on décompose le beau en paramètres ou attributs : le vrai, le bon et l'harmonieux, ils sont à la fois subjectifs, chacun a les siens, et universels en ce que ces catégories s'imposent à tout le monde en tant que catégories indépendamment de leur contenu.

Pourquoi ces catégories plutôt que d'autres ? Elles constituent des attributs nécessaires et suffisants de l'être tout comme les quatre causes d'Aristote avec lesquelles elles se recoupent en partant d'un point de vue à peine plus idéaliste. On peut considérer que "le vrai est matière et forme, le bon moteur invincible, l'harmonie finale."

En même temps, il est à noter que, du point de vue métaphysique à la limite de la théologie, une catégorie qui s'impose n'est rien d'autre qu'une contrainte, donc une force qui s'applique. Mais c’est une autre perspective et ce n’est pas le sujet de ce texte.

Ces catégories ont l'avantage d'être indépendantes les unes des autres, tout paramétrage d'un phénomène complexe nécessite un choix de paramètres indépendants et observables pour être mis en équation. La science expérimentale nous dit beaucoup sur la cognition et sur ses limites. A titre d'exemple le bien est déjà un complexe entre le bon et le vrai.

Le bien renvoie à la morale constituée alors que le BON ici est une force brute, une énergie positive et indifférenciée de vie, une forme du bien plus instinctive, immédiate et première que la morale. Elle se distingue de la morale par son caractère non verbal et se manifeste en termes de résultat positif. Cette catégorie renvoie à la notion de force chez Nietzsche, à celle de volonté ou vouloir vivre chez Schopenhauer et au conatus de Spinoza.

Le VRAI est la catégorie remplie par toute forme d'information utile et nécessaire à la vie, il s'agit tout autant de la rationalité humaine que de l'information inscrite au sein de la matière comme le génome. Comme Averroès on pense que l'intelligence est une et universelle. On tourne autour du concept de représentation de Schopenhauer et de la volonté de puissance interne à la force chez Nietzsche selon le commentaire de Deleuze. En préférant pour le sujet du beau, au contraire de Nietzsche, l'option de la permanence de l'être de Parménide à l'accent mis sur le polémos et le devenir de Héraclite.

L'HARMONIE est le terme mystérieux ; il se recoupe plus ou moins avec la cause finale d’Aristote. C'est un fait que tout étant a son harmonie interne, mariage d'intelligence interne et d'énergie, on pense encore une fois au génome et à l'ordre cristallin des atomes de carbone dans un diamant. On ne peut que le constater et on atteint les limites de l'intelligible. L'intellect sépare mais le réel marie. Kant a posé les limites de l'intelligible dans sa critique de la raison pure. L'harmonie se recoupe avec l'en soi des choses de Kant inatteignable par la raison. 

En tant qu'il est matière, tout étant est harmonieux, sans quoi il se décomposerait (c'est ainsi que l'on comprend Parménide écrivant « l'être est et le non être n'est pas », autrement dit l'être n'a pas de contraire).

A défaut d'en soi atteignable, l'expérience du beau est un geste total et gratuit qui met en jeu tout l'être de façon harmonieuse, on peut en dire que c'est l'expérience humaine possible de l'être. "Quand les sens, le coeur et l'idée sont en cohérence, la beauté apparaît à la conscience subtile."

On peut donc en dire que c'est un transcendantal au sens de Kant, soit un outil pur à priori de la connaissance humaine indépendant de l'expérience. La poésie est une forme de connaissance tout autant que la science et différemment, ce qu'on y perd en utilité immédiate on le gagne en profondeur et en largeur de vue, autrement dit en humanité. Selon moi depuis Platon, il n'y a au fond rien d'autre qu'une compétition inavouée et féroce entre la philosophie et l'art sur le terrain de la connaissance. Cela explique pourquoi la question de l'art est assez mal traitée (dans les deux sens du terme) sinon ignorée en philosophie, en dernière analyse.

C'est très concret, en effet, le vrai, le bon et l'harmonieux pris ensemble, de façon au fond indissociable, séparés du seul point de vue de l'observateur humain, constituent un motif fractal de tout étant.

En particulier du cerveau humain qui est triple, on a les sens, plus exactement le traitement de l'information, une partie du cerveau est dédiée à la reconnaissance des formes pré-verbale, nécessaires avant de mettre un mot et une utilité sur la chose. C'est peu connu mais c'est une mécanique très précise avec des informations préenregistrées dans le cerveau. Par exemple on connait à priori les proportions du crâne ce qui fait que les moindres variations du placement des sourcils font sens relationnellement. 

On en fait aussi l'expérience avec les dessins académiques traditionnels pour qu'une image à deux dimensions donne l'illusion de la troisième dimension, il faut satisfaire à des règles très précises qui étaient enseignées à l’académie naguère et qui le sont encore hors de France. On pense à un trompe l'œil efficace à titre d'exemple, sans aborder ici la question de la musique. Ce chapitre se range dans la catégorie " harmonie ". On est injuste avec les sens car c'est eux qui amènent notre monde propre à la conscience. Tout comme la santé, c'est quand on les perd qu'on comprend leur importance. Le monde propre ou umxelt de Jakob von Uexkull est à méditer, simplement dit, notre monde particulier est à l'image de notre constitution d'espèce, elle est à la source de la phénoménologie si on le prend en tant que miroir avec un regard neuf (époché) et qu'on établit des corrélations entre monde perçu et monde vécu intérieurement.

La matière est certes en partie intelligible, donc de ce point de vue en rapport avec le Vrai (l'homme est doté d'une puissance sur la matière, c'est logique biologiquement pour une espèce déspécialisée, manuelle, "à outil» ; l'homme biologiquement est un artisan, cf. à cet égard le double sens du mot matière, matière universitaire et objet matériel).

Mais prise en tant que telle, la matière en tant que phénomène, en tant qu'elle a sa cohérence interne et aussi en tant qu'elle est forme perceptible parce que harmonieuse et perçue, elle se range, corrélativement avec les sens, dans la catégorie "Harmonie".

Dans la suite de la trilogie cérébrale et cognitive, après les sens, la raison et le logos, se rangent dans la catégorie "Vrai". 

Les émotions de base dans la catégorie "Bon" en tant qu'énergies motrices, dans émotion il y a "moteur". Le sentiment est un complexe émotion primaire et verbe.

Le bon accord orchestré de ces trois cerveaux est le discernement au sens vital et psychiatrique, il est établi par les neurosciences que la raison seule ne suffit pas à prendre la meilleure décision stratégique possible, pour des questions complexes et engageantes sans le concours du sentiment et de l'intuition.

Sachant qu'il y a une compétition entre l'intelligence froide rationnelle et l'intelligence émotionnelle ou du sentiment, pour apprécier une œuvre d'art, le jugement ne doit pas intervenir et prendre le dessus et le contrôle sur la libération du sentiment (le fameux lâcher prise). Pragmatiquement le plus simple est qu'il soit satisfait pour rester sagement dans un coin reculé de la conscience. Chaque artiste a son public, en accord avec lui en terme de valeurs, en cela le beau est subjectif.

A titre d'exemple et c'est dommage, les vierges à l'enfant sont mal perçues ou de façon distraite. le sentiment antireligieux ou la conception actuelle de la féminité rend indisponible le regardeur et fait écran en tant que jugement de valeur à l'activation des neurones miroirs de l'empathie que peuvent susciter les œuvres des maîtres du genre. Pourtant, si on décontextualise, toute mère ne présente-t-elle pas fièrement son enfant au monde comme promesse d'un futur ?

Chacun a ses valeurs, son vrai, sa culture et son logos, mais cela ne suffit pas à poser la subjectivité absolue du beau. De fait, au-delà du jugement de valeur positif individuel conscient ou inconscient face à un œuvre, le discernement, l'être, et l'expérience du beau présentent les mêmes caractéristiques comme un motif fractal présent en toute chose.

Il s'agit, non de rapports dialectiques, mais, de fait, d'un mariage harmonieux du vrai et du bon unis et insérés dans la matière (mariage de l'information et de l'énergie, si on préfère, E=MC2 avec C pour connaissance). Pour tous, c'est l'expérience même de l'être, possible humainement, il me semble. Mon intuition est que « volonté et verbe mariés ensemble dans le sensible engendrent conscience ».

(On verra bien si l'IA prend son autonomie, si c'est le cas, on pourra couper le courant, sa cause motrice au sens d'Aristote).

 

Une version en rime du même propos :

 

1/11

L'huile est le beau et l'eau la nécessité,

Ananké, les forces qui commandent même aux Dieux.

Quand la fleur s'ouvre au temps radieux.

En tout temps et en tout lieu.

Elle est à l'œuvre quand l'eau chasse l'huile.

Mais l'eau ne donne pas la félicité.

 

2/11

Reste le beau en suprême onction.

Quand l'eau reste à sa fonction.

La forme accomplie porte le sens.

Tel l'enfant et la rose innocente.

Elle seule enchante les sens,

qui amènent notre monde propre à la conscience.

 

3/11

La nature est l’esprit visible,

l’esprit la nature invisible.

Ainsi le sens découvre sa forme.

Comme l'eau la cavité qui la borne.

 

4/11

Ratio et necessitas convertuntur,

la préhension et l'appréhension

nécessitent la compréhension,

d'une espèce sans spécialisation,

c'est là toute l'aventure.

Le savoir n'est pas seulement possession,

lâcher prise et du lest pour l'élévation,

être ou exister, telle est la question.

 

5/11

La pensée est matière,

à l'image du double mot matière.

Le plus souvent elle est science sans or,

juste outil nécessaire à notre faible forme de corps.

C'est pourquoi le silence est d'or.

 

6/11

Pour s'écouler l'énergie de vie désire son verbe choisi,

Comme le fleuve, son lit, ses berges fleuries.

L'égo est un mot chargé de valeur et d'envie.

Il en oublie souvent sa source infinie.

 

7/11

L'un, indissociablement vrai bon et harmonieux, est nécessaire à l'être.

Tout comme l'être l'est à l'un, autre nom de Dieu,

l'un pur et seul n'est rien, tel le coeur sans corps ni mains.

La matière est le verbe d'amour de Dieu,

et le concept une étincelle divine adaptée à notre main.

 

8/11

Notre nature est d'acquérir une culture d'artisan laborieux.

La main dans la tête saisit, conçoit, synthétise, discernent les yeux.

Le trine discernement sépare monde et chaos, fond et forme.

Autre nom de l’entendement, il est un don des cieux.

 

9/11

Le cerveau organe est au service du corps en majesté,

à tout étant il donne le triple sens, jamais futile,

le concept le meut dans le bon sens, lui est utile.

La beauté n'est pas un concept c'est sa beauté,

quand les sens, le coeur et l'idée sont en cohérence,

elle apparaît à la conscience subtile.

 

10/11

Autrement que son alter ego le concept encensé,

dans le silence de l'ego déconcerté, la beauté fait sens.

En toute chose, il nous faut trouver la beauté après l'essence.

Volonté et verbe mariés ensemble dans le sensible engendrent conscience.

 

11/11

Le vrai est matière et forme, le bon moteur invincible, l'harmonie finale….

De toute création, par trois modes du sens indivisible, voilà l'arôme ancestral.

L'eau s'écoule, de la source invisible, le beau est symptôme initial.

De tout amas d'atomes, l'en soi indicible est sa juste idée banale.

le beau symbole, objet sensible, est sujet en nous tel un cheval.

Le beau est irréductible à ses modes, être présent, imprévisible un et total.

Image visible en tout étant de l'être invisible et primordial.

 


Ce n’est pas Dieu qui est mort, c’est le mot qui est un peu usé.
Ce n’est pas Dieu qui est mort, c’est le mot qui est un peu usé.
Théorie de la beauté
Théorie de la beauté
Petit essai sur l’art autoproclamé contemporain et officiel #3
Petit essai sur l’art autoproclamé contemporain et officiel #3

Commentaires


Pseudo :
Mail :
Commentaire :