La démarche figurative en art actuel.
Art contemporain Mauvaise Nouvelle https://www.mauvaisenouvelle.fr 600 300 https://www.mauvaisenouvelle.fr/img/logo.pngLa démarche figurative en art actuel.
Illustration : Igor Kubalek Tentation de Saint Antoine 100x 70 cm, Huile sur chromolux
Ce texte est une nouvelle version de plusieurs textes presque identiques depuis 2010. Le Manifeste des Témoins de l’Epoque formidable était à ma connaissance le dernier manifeste artistique du XXème siècle d’un groupe d’artistes, même si cela est resté très confidentiel et non reconnu,. Le titre "Manifeste des Témoins de l’Epoque Formidable" a effrayé de nombreux lecteurs. Il a été écrit en 2009 en opposition au premier manifeste des Futuristes de 1909 qui s'est achevé par la rupture (néfaste et fausse) avec le passé, en arts visuels, plastiques et surtout en peinture. Les textes précédents étaient trop condensés. Une certaine longueur d’expression permet de mieux décrire la question abordée. L’éponyme Formidable pour notre époque est une ironie voire un sarcasme : c’est une époque où tout est possible mais rien n’est réalisable, où tout est permis mais rien n’est autorisé. Cette nouvelle version tente d'expliquer cette ironie d’appellation que les lecteurs prennent souvent à contre sens, c’est à dire au premier degré. Ils prennent l’adjectif formidable pour pitoyable. Notre ironie est une dérision avec bienveillance et douceur sans aucune autre suite pragmatique. Elle reste plutôt spirituelle. Nos propos d’antan s’avèrent encore plus vrai aujourd’hui. Les détracteurs produisent maintes mésinterprétations. Pour pouvoir cerner la diversité de la création à l’Epoque Formidable, nous prenons racines dans la pensée sociologique, qui se réfère à la théorie de l’« open society ». La théorie de la société ouverte de Karl Raymond Popper permet l’échange infini mais ses mésinterprétations détournent son message originel. Hélas, sa description faite dans ses œuvres, The Logic of Scientific Discovery, Londres, 1934 et The Open Society and Its Enemies, Londres, 1945, ont subi de mauvais commentaires intentionnés.
Mon texte tente de défendre l’existence de l’humanisme conservateur, qui protège la vie, et de documenter son expression plastique. C’est une différence avec l’humanisme progressiste, technologique qui transforme la vie, transhumanisme, avec ses conséquences dans toutes vies et toutes sociétés, y compris en art. Il tente d’apprivoiser la bien-pensance conceptuelle, française et mondiale, qui demande aux autres des exigences qui ne s’applique pas à elle-même, pour qu'elle manie fort et bien la rhétorique scolastique des académies officielles d’aujourd’hui. Tout ce texte ne parle que de cette quête obligée de la liberté et de sa retrouvaille. Comme tous les agents créatifs, je ne parle que de ce que je vois, sens et comprends.
Qui sont les Témoins en art ?
Les artistes cachés (l'art caché de Aude de Kerros) sont ceux qui travaillent calmement hors des murs des galeries, des institutions officielles, du marché de l'art actuel. Ils sont, avec les indépendants, les libéraux et les autoentrepreneurs, les Témoins de l'Époque Formidable. Ce sont des agents inventifs, créatifs et non des intérimaires ou fonctionnaires. Cette appellation de Témoins correspond à la situation de l’exclusion involontaire des mainstreams financiers, idéologiques et médiatiques actuels, pour ne pas pouvoir intervenir avec un mercantilisme hégémonique. Certains veulent se faire appeler Dissidents, mais je trouve cette appellation trop confrontante. La dissidence en démocratie est un oxymore irrationnel.
Cette exclusion involontaire provient des institutions publiques et privées qui gèrent le marché de l’art actuel et de leur public qui n’est pas prédisposé à consommer d'autres formes d’art que celles bénies par les transactions. Les fauves du marché, « les super-galeries » privées, sont grands, arrogants et beaux et ils tentent de dévorer tout le marché.
Cette exclusion peut également provenir des fonctionnaires de la gestion publique de ce marché redistribué. « Les pouvoirs publics » tentent de soutenir l’accès au « bon goût » esthétique (qui reste, certes, sûrement à définir !) et varié des peuples en les protégeant de ces fauves privés, et leur proposent une approche infantilisante ou en opposition à ce marché (« les institutions » : FRAC, CRAC, …) : deux chiens qui partagent le même os, cela n’est plus viable. Il n’y a plus d’indépendance économique et, par conséquent, matérielle ni culturelle d’un goût « indépendant » durable, car le marché, comme un os, est partagé. Certes, malgré cette vision pernicieuse nous témoignons de notre époque et de notre survie, comme des renégats ou des individus cachés. Nous ne vivons pas, nous vivotons. Les artistes en vogue sont devenus les étendards du marché (suivant la Factory d'Andy Warhol des années 1970) ou bien, au pire, les porte-paroles des conceptualismes idéologiques dans lesquels l’objet artistique n’est qu’une fonction du message idéologique : « questionner, provoquer, faire penser, détourner, exprimer, confronter, progresser… » tels sont les verbes de la notion esthétique d’aujourd’hui ! Certes, la narration est la base de tout art et elle demeure indépendante mais à ce jour on peut s’exclamer sans trop se tromper : vive les fonctionnaires ! car la majorité de ses illustrateurs idéologiques sont lourdement subventionnés par les fonds publics et deviennent des salariés (dépendants) soit de grandes galeries, soit du pouvoir publique.
A l’ère actuelle dans laquelle les féministes - à juste titre - se révoltent contre la représentation des femmes comme objet érotique dans l’art dit figuratif historiquement masculin, il est étonnant que la présentation de l’œuvre comme objet idéologique ne choque pas. L'artiste devient donc un fonctionnaire de l’idéologie, ou bien un artisan des objets (The Factory et la production en série). Tout ce qui est présenté par les grandes galeries mondialistes ou par les fonctionnaires n’est pas pourtant mauvais car la pertinence des messages d’artistes varie tant au niveau technique que narratif et esthétique.
Le sarcasme d’une Époque Formidable
La réification de l’humain et la marchandisation de toutes les disciplines d’activités humaines sont caractéristiques de notre époque nommée avec ironie, voire sarcasme, l'Époque Formidable. Mon auditoire n’a pas compris cette ironie, car il s’épanouit devant le progrès ou les sophismes. Le témoignage magnanime artistique est inévitable à ce stade de décomposition de l’Humain. L’adjectif « formidable » se réfère à la notion théâtrale du divertissement de la société du spectacle de Guy Debord. C’est une époque où tout est possible mais rien n’est réalisable, où tout est permis mais rien n’est autorisé.
Pour la petite histoire
Dans l'Époque Formidable, nous témoignons du fait que l'évolution de l'art est continue. Il n’y a pas de révolution. La révolution présume une violente destruction de ce qui a été transmis, achevé auparavant, l’effacement de l’histoire et de l’imposition d'une tabula rasa pour prétendument construire un nouveau monde. Mais la modernité n’est qu’un éternel retour au passé (dicton de Constantin Brancusi ?). L'éclectisme n’est pas contraire à l’expression artistique. Il n'y a pas d'art, mais uniquement des artistes. Le fondement idéologique de l’art contemporain après la Deuxième Guerre Mondiale correspond à l’hégémonie occidentale des USA : l’abstraction de Bauhaus qui avait fui le régime nazi pour aller en Amérique (Joseph Albers, Lyonel Feininger, Walter Gropius…) était la pierre fondatrice de cette nouvelle église conceptuelle et internationale avec son style : pur, rationnel, froid, utilitaire. L’affinité de regroupement s’opère naturellement par le même « goût » qui n’est plus, hélas cultivé, mais remplacé par les investissements dans le marché, ou bien par une idéologie rêveuse du progrès social. Ceux qui résistent à ces pressions du marché et de l'anti-marché, s’agrègent selon leurs sensibilités réciproques pour former le(s) groupe(s) basé(s) sur leur affinité, voire singularité collective, pour utiliser le vocabulaire de Pierre Rastany.
La vie sans parousie
La vie est un jeu éphémère, ponctuée de catastrophes. Il n’y a aucune parousie (aucun sens directionnel de notre vie) proprement dit, mais il y a une aspiration individuelle de chacun d'entre nous de nous approcher de ce qui nous dépasse, car nous pensons que ce que nous définissons comme vrai, beau, juste, éternel, transcendant existe. Le sens et la morale existent inséparablement. La morale individuelle de cette aspiration d’approchement semble être l’attention et l’amour portée à autrui, l’amour comme agapè, éros et philia. Certains voient dans l'action temporaire collective leur accomplissement : en politique, en religion, dans le syndicalisme… pour donner un « sens » à leurs vies, c'est-à-dire de pouvoir être reconnus par d'autres personnes pour leur action temporaire : mais ceci est comme confondre l’Église ou la messe avec Dieu, l’Éternel, si j’ose dire.
Il est nécessaire de souligner qu'un Dieu(x) philosophique(s) n’est pas un Dieu religieux. Pour un philosophe c’est un Principe qui existe : Il est, voire Ils sont. Ce principe est ouvert à tous les chemins qui permettent de s’approcher du noyau de celui qui n’est pas un phénomène imminent, mais qui est ce principe transcendant qui se dévoile. Aucun obstacle n’est fait à la soi-disant science pour le décrire, mais aucun dogmatisme même scientifique n’est non plus admis pour réifier et transformer ce principe immobile, cette « belle et juste vérité éternelle » en thème intelligible, voire palpable. Par exemple : en physique quantique, le boson de Higgs est considéré à ce jour comme le plus petit quantum de la matière non-nulle. Et en-deçà ? Et en cosmogonie, que s’est-il passé avant la naissance de la matière, de l'espace et du temps au moment du Big Bang ? Les limites de la Science positiviste sont évidentes : celle-ci répond seulement à la question posée tandis que les plus grandes découvertes ont été faites par « hasard », par dévoilement (divin), « Aléteïa ».
L’interrogation formulée et posée de façon positiviste exige la connaissance des conditions du problème exposé et cette formulation est elle-même exprimée dans une seule question. Or, il me semble que cette approche analytique, pour découper les ailes de la réalité, pour mieux la décrire et la transformer, crée une autre, nouvelle, fausse irréalité, virtuelle qui trouve sa réponse dans la question posée et répondue.
Cette approche analytique existe à cause du fait que l’expérimentation avait remplacé l’observation au cours du dernier siècle dans notre quotidien : le but est d’agir et de transformer, et ne plus de comprendre. Cette rationalisation, cet arraisonnement - Gestell - de Martin Heidegger, est la base de la tragédie de notre Époque Formidable qui tente d’expliquer l'inexplicable, de l’organiser, de tout réifier pour tout marchander. En art, la mondialisation actuelle de la laideur et du mauvais goût et la globalisation économique récente de son marché artistique nous agacent.
La condition de la vérification de l'hypothèse dans l’expérimentation est le contrôle des autres variables, sauf pour l'une d'entre elles, celle qui cause un effet. Mais dans la vie, nous ne contrôlons pas les « variables » qui entourent ce que nous étudions ou affrontons.
La vie se vit et ne se découpe pas ! L'art fait cette synthèse dans le rapport de l'artiste sur la réalité. C'est sa synthèse, sa parole, sa description. L’artiste ne transforme la réalité autrement que dans la description de son observation, sinon il sombrerait dans l’idéologie pragmatique. La parole est libre et libérée, ce qui est très positif de nos jours, en démocratie occidentale, mais sonne comme une cacophonie et non comme un exposé. La logorrhée remplace le discours.
Irreproductible, individuel et réel
L’art qui ne découpe pas, mais qui se plonge instantanément et simultanément dans la réalité via l’artiste-créateur, produit un objet artistique qui devient donc irreproductible, individuel et réel avec une valeur intrinsèque qui n’est pas forcément pécuniaire. L’art n’a pas de fonction utilitaire immédiate, il saisit la réalité et l’exprime dans une interprétation d’artiste. Certains artistes partent de la réalité vers l’abstraction, d’autres restent dans la réalité qu’ils métamorphosent pour mieux la décrire, plusieurs font un détour par l’abstraction pour revenir à la nouvelle réalité voire une réalité virtuelle. Cette réalité artistiquement écrite est-elle -ou non- erronée ? Ce n’est pas la question : c’est l'honnêteté de ce plongeon qui prime et non la réalité transformée, virtuelle ou irréelle.
L’art, futile et superflu, devient essentiel et reste toujours de l’art. Il est lié à l’artiste qui parle de son vécu, mais sa valeur essentielle est au niveau collectif, car la pièce d’art est la seule trace qui restera de notre civilisation après sa disparition.
Au commencement était le verbe, qui a pris chair, corps, et à la fin il sera image.
Dans notre imaginaire culturel gréco-judéo-chrétien, avec sa vision humaniste de l’homme non-réifié, non-mercantilisé, non-transhumanisé, nous pouvons dire avec une certaine liberté de licence artistique, que : « au commencement était le verbe, qui a pris chair, le corps, et à la fin il sera image ». Cette image est une vraie Révélation, l’Apocalypse. Pour les Chrétiens, Jésus fils de Dieu, de Notre Père, a pris chair et il est descendu parmi nous. Au contraire pour les Grecs, les hommes étaient faits de glaise modelée par Zeus ; pour les Juifs, le visage de Dieu n’est pas connu et, pourtant, Adam, Moïse et Abraham sont des personnages humains et, de même, les trois anges vétérotestamentaires sous l’arbre de Mambré (Genèse 18.3).
Il faudra déchiffrer les textes mais les œuvres picturales seront toujours visibles, présentant aux illettrés (y compris des extraterrestres autant en vogue aujourd’hui) ce que la littérature est aux érudits. Depuis l'époque de la grotte de Chauvet, ou d'Altamira, ou de la statuette de Vestonice (-35.000 ans), le dessin, la peinture ou la sculpture nous parlent bien plus que les écrits concomitants.
Le Propos sur la démarche figurative en art dans l'Époque Formidable
L'Époque Formidable est l'époque actuelle où l’homme a été porté au pinacle par ses manipulateurs à la place de(s) Dieu(x) en tant que Surhumain (cette notion de Nietzsche est hélas complètement détournée de sa signification originelle) pour opprimer ses semblables. L'Époque Formidable se présente comme une période où tout est favorable à cette créature rationnelle positiviste Surhumaine, mais non atteignable pour ses semblables ordinaires voire humains.
L'Époque Formidable est basée sur le volontarisme, voire le pragmatisme philosophique et politique, qui n’explique plus le monde, mais qui le change. C’est une continuation du glaive de Saint-Paul, pour employer le vocabulaire poétique, juste et anticlérical de Michel Onfray. Elle semble révolue en tant que fin de civilisation gréco-judéo-chrétienne, où un sens collectif présumé de l’Histoire (la parousie) gouverne toute notre action individuelle, car celle-ci est forcée de s’exécuter selon la volonté de la société, du collectif.
« L'Époque Formidable » est ce fleuron du productivisme, du volontarisme basés sur la science et sa religion, le scientisme et son transhumanisme, où l’homme devient clonable, réifié. Dans notre Époque, tout est possible, mais rien n'est réalisable. Tout est permis, rien n'est autorisé. L'homme existe uniquement comme l’ombre de son utilité collective.
Notre ère commença en art avec le cri des Futuristes qui avaient rejeté dans leur Manifeste l’individu et toute la beauté basée sur l'harmonie. Le texte de Tommaso Marinetti était fondamentalement différent du Manifeste de Neuekunstgruppe de Schiele qui est apparu dix mois plus tard ! Il est étonnant de voir comment la sensibilité d’un citoyen de l'Empire Austro-Hongrois s’est distinguée de la sensibilité des dystopies progressistes : dans sa quête de nouveauté, Marinetti a adhéré à l’idéologie du fascisme italien. Cette période pleine de promesses et de volontarisme a commencé avec l'émancipation industrielle dont le fleuron idéologique et la pensée la plus complète (tellement fausse) est la philosophie du marxisme avec ses dogmes, depuis le début jusqu'à nos jours, dans sa forme actuelle politique de Délire Marxiste-Léniniste-Attaliste, le DMLA qui empêche de voir la réalité. Cette politique étatisant s'appuie sur les quatre piliers du totalitarisme collectiviste : la santé, la retraite, l'éducation et les arts pour tenir les peuples sous contrôle. Ce sont les mêmes piliers de la redistribution du communisme, du fascisme, du bata-fordisme ou du kémalisme du passé ou de démocratures oligarchiques actuelles.
Transfert
L’appellation au sens très large de « marxisme » ou plutôt de « marxisme-léninisme-attalisme » est de facto la représentation, l'arraisonnement, Gestell, avec la prétention de la logique subjacente. Le mot « transfert » décrit ce que nous imposons selon nos critères à l’autrui et à notre entourage. Ce transfert est la base du mépris de la néo-colonisation, quand les certitudes des uns sont supposées être universelles, ubiquitaires et pansophistes, voire globales, ou mondiales. Cet arraisonnement, Gestell, anéantit tout mystère, toute transition, toute autre interprétation que celle « logique » dans un système défini. D’où mon terme « transfert ». Cet arraisonnement, Gestell, se couple d’une façon néfaste avec la volonté cancéreuse d’imposer sa vision à autrui dans la seule considération de la devise « qu’il ne faut plus expliquer le monde mais le changer ».
Le Faux Mirage de la démocratisation de l’art
En arts plastiques, cette époque formidable a pris son véritable envol dans la deuxième moitié du XXème siècle avec la disparition totale de l’individu, à quelques exceptions près : Yves Klein, George Baselitz, mettant en avant le Faux Mirage de la démocratisation de l’art, sa dilution dans le quotidien (design), son ouverture émancipant d’autres expressions que la figuration occidentale (le décor comme substitut de l'art islamique ou asiatique, voire l’abstraction comme étendard de l’art juif, ou encore de l'art aborigène, ou l'art primitif). La pire « démocratisation » est l’infantilisme de certains objets « conceptuels » : l’anal-plug géant vert, appelé Tree, de Paul McCarthy sur la place Vendôme en 2014, par exemple.
Cette ouverture aux autres sensibilité et expressions, bien qu’elle soit la bienvenue, pose des problèmes de comparabilités et compatibilités esthétiques. C’est la porte ouverte aux divers « transferts », et donc à tout mépris. Qui n’a pas entendu prononcer, à l’exposition sur le grand art aborigène, de commentaire plein de préjugés ?
La démocratisation de l’art est une illusion infondée qui signifie sa dilution et sa dissolution dans le quotidien, l’appauvrissement des formes compliquées vers des formes simplistes et de l’expression articulée vers la dégradation du message pour laisser place à un divertissement sans message. L’art est toujours démocratique, car il est destiné à tout public, mais les niveaux du populisme esthétique varient en fonction des spectateurs et ne s’excluent pas mutuellement. Un érudit se délecte d’un tableau différemment qu’un simple esprit mais les deux sont nourris par cette image multiple et composée. Les formes simples sont souvent plus justes, crues, vraies, fortes et claires que les formes compliquées, mais il ne faut pas confondre simple et simpliste.
Le Scientisme
La science et sa religion de preuves préfabriquées ont fondé les bases du transhumanisme. Cette idéologie dogmatique militante porte le nom du scientisme. Le futur n’existe plus car elle prétend le connaître sans aucun mystère, sans aucun aléa. La modestie des adeptes de cette appréciation est inexistante et leurs prophéties sont forcément accomplies, car accablées d’une idéologie prévalente de preuves préfabriquées et donc infaillibles. Ils peuvent sans aucun scrupule appliquer aux autres et au futur leurs visions. Comme disait déjà Reiner Maria Rilke en citation libre : « l’avenir a cessé d’exister ».
J’utilise le mot scientisme pour ne pas confondre avec la secte de la « scientologie » qui n’est qu’une organisation financière en marge de cette nouvelle religion. Je mets entre guillemets « la scientologie » quand je parle de cette mouvance populaire et répandue de Hollywood à Bamako assez sympathique per se.
Je ne récuse pas les preuves scientifiques qui marchent dans leurs uniques systèmes de pensée. Je refuse l’idée que ce seul système de pensée humaine donné est unique et véridique.
L’art a suivi cette déshumanisation de la société, en offusquant la réflexion de l’observation sur la figure humaine et sa retranscription dans le contexte actualisé. Theodor Adorno a dit que : « La notion d'une culture ressuscitée après Auschwitz est une imposture et absurde ». Au début, dans sa négation et en faisant allusion à la barbarie, il parle de la poésie détachée de la vie… mais il enchaîne avec une référence à la survie, et à la vie, qui est cette horreur extrême elle-même. L’art est une survie s’il s’inspire de la vie.
L’adjectif « Figuratif » est le synonyme du perceptuel
L’adjectif « Figuratif » est le synonyme du perceptuel. La réflexion de la peinture figurative se fait d'après un modèle ou la nature, il s’agit d'une peinture perceptuelle, non conceptuelle. Je veux dire que nous, les artistes « figuratifs », partons de la perception de l’objet, de la figure, du paysage … : certains y restent, certains font le détour abstrait pour y revenir, mais le début et la fin continuent être figuratifs au sens déchiffrables, percevables. En opposition, pour l’art conceptuel, le concept provient de la pure subjectivité de l’âme de l’artiste, et non du monde objectif, réel, de l’entourage.
Sortant finalement du modèle figuratif pour devenir un objet au sens d’une pièce d’art, une image, comme signe ou symbole de signifié, le corps en art, notamment en peinture et en sculpture, s’est affranchi et est devenu l’axe principale de toute expression dans l’espace gréco-judéo-chrétien. Autrement dit, avec une réminiscence chrétienne, voire catholique : le corps dans la peinture est comme une flèche de cathédrale dans le paysage occidental.
La géopolitique
L’art se répand sur tous les continents et l’hégémonie politique assure sa prépondérance artistique. La géopolitique de l’art contemporain devient même un sujet de querelles entre diverses visions de la même marchandisation globale et de la mondialisation esthétique catastrophique,. Cette situation est liée à la perte de l'hégémonie américaine, comme elle-même fut établie après la Deuxième Guerre Mondiale sur les ruines de la Vieille Europe.
La perte de l'hégémonie des USA a plusieurs raisons dont quatre sont primordiales :
La première est l’émergence des nouveaux acteurs (pays islamiques, pays asiatiques, pays africains, art aborigène austral) dans l’économie en général et dans l’art en particulier, dans sa production et dans son marché. Ceci est la fin de l'époque américaine liée à la globalisation du marché mondial. La Chine dicte en chinois (c’est-à-dire silencieusement) les règles de la production et des échanges.
La deuxième raison est le repli des USA sur eux-mêmes pour redevenir forts de nouveau, espérons-le bien. C’est la raison principale, car les civilisations et les Etats naissent et meurent avec les idées qui les avaient conçus. Les USA ne souhaitent plus garder le poste d’avant-garde de la civilisation qui leur coûte très cher et leur rapporte trop peu. Les Bouddhistes, la Chine donc, ne sont pas issus de l’espace gréco-judéo-chrétien. Leur discours n’est pas analytique d’arraisonnement, Gestell, ni synthétique de métaphysique, mais dans la méditation et le pragmatisme. Le dialogue entre l’analyse ou la synthèse occidentale et la méditation et le fonctionnalisme oriental est tout à fait différent. Il commence seulement à se mettre en place avec frémissement et dans l'incompréhension profonde. Le pragmatisme oriental n’a rien avoir avec les malversations et le réalisme militaire occidental.
La troisième raison est le manque de formes qui s’articule dans la narration, voire plutôt l’absence de formes dans le conceptualisme. L’idéogramme conceptuel est soi-disant ubiquitaire, global et pansophiste mais, tel un avion fabriqué à taille réelle en porcelaine il n’a pas le même message idéologique en 1996 en France, à la galerie Les Moulins à Boissy le Chatel en Seine-et-Marne, qu'en Afghanistan. Dans la vacuité des formes conceptuelles, chacun amène son vécu culturellement conditionné et détaché de la narration présentée. La vacuité des formes ne permet pas l’identification du spectateur avec l’artiste, il n’y a ni communion, ni communication car le langage est muet. Il n’y a pas de fonction de la « vitre » dans l’objet conceptuel : peut-on donc parler d’art ?
La quatrième raison est aussi esthétique, liée à la vacuité : elle ne présente aucun autre intérêt que celui de l’idéologie. Il n’y a pas de fonction de miroir dans l’objet conceptuel. L’idéologie hégémonique est aujourd’hui chinoise, et non gréco-judéo-chrétienne, elle se brise en morceaux autonomes et se multiplie : la société devient de plus en plus individualisable et individuelle, fort heureusement !
La distinction entre l’idéologie mondialisée et le marché de l’art globalisé est une nuance mineure. Les deux « concepts » sont complémentaires et inséparables.
La fin de l'Époque Formidable
Cette époque « Formidable » touche, heureusement, à sa fin : l’homme perdu dans le collectivisme retrouve son individualité « entre transition et perdition », ses faiblesses, ses défauts et sa perception faillible.
L'individu s'affranchit de la foule et de sa hiérarchie, de ses récompenses et de ses punitions, il s’affranchit de sa servilité avec laquelle tout homme de tout temps renie l’intelligence pour rejoindre le troupeau. L'homme quitte ce troupeau si glorifié au XXème siècle et retourne à sa propre nature et à la Nature-Mère ou, pour les croyants, il retrouve Dieu, ce Dieu caché, au-delà, pour le vénérer.
Nous, Témoins de l’« Époque Formidable »
Les Témoins de l’« Époque Formidable » ne se projettent pas dans le futur, ils existent maintenant, en tant qu'héritiers de la civilisation. De notre civilisation gréco-judéo-chrétienne. Nous ne souhaitons pas combattre et coloniser de nouveaux mondes, nous nous contentons de la Nature qui nous entoure. Nous ne souhaitons pas obtenir l'immortalité, ni rester éternellement jeunes. Nous ne considérons pas nos corps comme s'ils étaient les parties d'un tout, nous sommes contre l'euthanasie ou l’interruption de grossesse industrialisées et aussi contre l'acharnement thérapeutique. Le changement de sexe, même si techniquement possible, comme l’immortalité corporelle, doit rester une exception individuelle d’un troublé et non une règle ou un droit applicable dès la naissance. Nous ne souhaitons pas nous cloner. Nous nous rendons bien compte de nos défauts, nous ne sommes ni omnipotents, ni omniscients. Nous comprenons la notion de la mort inévitable, c’est pourquoi elle nous n’effraye pas elle-même, comme plutôt la façon de cette délivrance. L’art et l’embellissement permettent d'assumer cette insupportable légèreté de l'être et la fin inévitable de notre passage sur Terre.
La fonction de l’artiste n'est pas de présenter des idées pour changer le monde, comme le font les idéologues, mais de témoigner de son époque sur le monde qui l'entoure tel qu’il le perçoit. Telles sont les valeurs permanentes des arts.
L’expression de la perception recopiée dans l’image achevée prend sa source dans le monde environnemental, pour ce qui est le plus banal et le plus répandu, dans le corps humain. L’image de l’être de chair (homme, femme, enfant…) est l’héritage principal de l’Antiquité chez les Grecs classiques, de l’époque hellénistique puis de toute la chrétienté. Jésus sur la croix est le Fils de Dieu, qui a pris, peut-être, un corps de chair – mais c’est surtout un jeune homme dans la force de l'âge, presque nu, exhibant sa souffrance métaphysique, aussi bien physique que psychique.
La devise : L’individu et la nature nous satisfont, nous y voyons tout, de l’éternel jusqu'à l'obsolète.
La devise « l’individu et la nature nous satisfont, nous y voyons tout, de l’éternel jusqu'à l'obsolète » est une paraphrase de Marguerite Yourcenar. Elle reflète cette démarche de la perception vers l’art figuratif. Son roman initiatique « Les mémoires d’Adrien » est un préambule de ce procédé alchimique qui met en visualisation ce que nous appelons « la vie » où bonheur et tristesse, espoir et abnégation font parties intégrales de la jouissance terrestre : l’artiste perçoit, transcrit et exprime cette découverte déjà-vu et désuète.
Une nouvelle époque naissante
L’art d'une nouvelle époque naissante défend ses valeurs artistiques qui ne résisteront pas aux changements du gout des artistes tant que du public. Quelles sont ses valeurs ? De rendre visible ce qui est invisible, et le rendre juste, c’est à dire vécu par l'artiste et présenté honnêtement aux spectateurs. Mais quelle est la fonction utilitaire ? Une fenêtre sur le monde comme disait Brunelleschi à propos de la fonction du tableau ? Oui : je vois deux fonctions principales : fonction décorative et fonction narrative, celle-ci symbolique ou descriptive, leurs outils sont la fenêtre et le miroir. Quel défi d'unir la narration du sujet accessible et non déformée, non diluée, non assujettie aux spectateurs mais toujours présentée à son unique jugement. L’artiste reste indépendant, individuel, unique. Ainsi en va-t-il pour le témoignage. Tout est basé sur la perception limitée, la compréhension partielle et la mémoire défaillante.
La pertinence des messages : technique, narrative, et esthétique
Nos objets d’art (les œuvres ou les pièces d’art) ont une échelle correspondante à la taille humaine. Les dimensions du tableau sont limitées par la grandeur de la porte de l’atelier. Cette banalité correspond bien à une diminution de l’espace accordé dans la vie courante aux arts et à la réalité de la vie des artistes qui ne peuvent pas se prévaloir de commandes passées par les administrations publiques qui distribuent déjà suffisamment de subventions, ateliers… pour créer des objets surdimensionnés in situ (par exemple, les Tulipes de Jeff Koons).
L’individualité artistique est fondée sur l'éclectisme historique selon les matériaux utilisés, sur le structuralisme singulier (matériaux, procédé, rendu) et sur le public qui se sent interpellé par le message sur son expérience semblable.
Comme la philosophie ou la vie elle-même, l’art doit se vivre. Il n'est pas forcément enseigné. La position de l’artiste comme outsider-amateur, dilettante ne peut pas diminuer la pertinence du message de l’art. L'image est la parabole du message. La peinture est un langage sur la perception du monde. Le message est dans la narration picturale interprétée par l’artiste. La pertinence des narrations varie donc tant au niveau technique, que narratif, ou esthétique.
Cette approche du mélange physique (perception, réalisation) s'éloigne du dogmatisme de l’art conceptuel pour lequel l’unique message, sans narration épique, compte. C’est une sorte de dogme idéologique répété. Pas de narration ni d’interprétation, mais un idéogramme esthétique. C’est d’autant plus désastreux dans l’art mondain conceptuel contemporain qu’il nous renferme dans ses mensonges et nous garde en otages dans sa devise comment changer la réalité selon ses idées, et non comment expliquer ce monde qui nous entoure ou comment partager sa perception.
L’objet artistique (l’œuvre) n’est pas le sujet lui-même (l’art pour l’art), mais une interprétation perceptible, limitée mais non diluée (contrairement au design) dans la vie quotidienne.
Objet, motif, narration
« L’objet (« l’objet perçu » = note d’auteur) est le seul intérêt de la perception et de la réalisation artistique », ainsi l'atteste Pablo Picasso. L’objectivisme est une obsession marxiste, matérielle, héritée de Hegel, pour qui elle a été spirituelle - divine, prétendant que les objets extérieurs à nous, existent selon eux indépendamment de nous, du sujet, de l’artiste, et du subjectivisme qui les animent.
Il m’est inconcevable de comprendre quelque chose en dehors de moi, d’autant plus si celle-ci est définie comme absolument indépendante de moi. Assujettir, conceptualiser, rationaliser ou plutôt raisonner le monde selon l’arraisonnement, Gestell, la Nature et Dieu me paraissent erroné car personne ne peut prévaloir que son savoir est constant, immuable, éternel, unique, beau, juste, véridique ce qui sont les qualités de l’Absolu. Celui seul est « objectif », au demeurant inintelligible, intangible.
De la même manière que le substantive le sujet, le mot l'objet a plusieurs significations selon le contexte : l’objet du tableau (sujet-thème) pour la réalité interprétée, ou l’objet artistique pour l’œuvre elle-même. Le sujet (et donc non le sujet-thème voire motif, sujet scénarisé, narratif ou pas, fictif ou seulement arrangé) peut aussi designer l’artiste, synonyme du sujet-artiste, d’explorateur-interprète. L'objet perçu est indépendant de notre art, il existait avant, il a sa propre structure interne (construction) interprétée et interprétable par notre perception. L’idée (la narration) conditionne l’expression. L’idée du tableau (sa composition, le dessin, le choix des valeurs et des couleurs) et la perception de l’objet perçu s’articulent dans l'artiste pour se transformer en une pièce d’art dans sa transposition narrative. Le tableau est une clef, elle ouvre la porte : derrière, la communion. Quel est le message dans la nature morte ? « L’insoupçonnable devient évident ».
La forme artistique obéit à la perception traitant la composition comme un véritable, seul et unique travail conceptuel artistique, laissant le récit se faire déchiffrer par le spectateur. La seule intervention proprement artistique, car conceptuelle, est la composition.
Deux fonctions du tableau
Le tableau a deux fonctions : premièrement décorative, par le procédé et par les matériaux utilisés, deuxièmement narrative, en ce qu'il symbolise l’objet représenté hors de son contexte et « directement » décrit.
L’abandon de la fonction décorative chez les artistes conceptuels ampute une partie de ce que l’histoire appelle la pièce ou l’objet artistique. Ils ne sont plus des artistes mais des idéologues, conceptualistes, qui présentent leur discours sous une forme adéquate, y compris vide ou sans aucune forme perceptible comme telle. L’abandon de la narration épique ou lyrique dans les objets conceptuels correspond au langage exprimé par un seul cri : la poésie n’est pas un hurlement, l’expression n’est pas une logorrhée.
Une vitre et un miroir
En effet, comme disait James Bloedé citant librement Henri Matisse : « il faut regarder le monde avec des yeux d’enfant ». Cette devise renvoie aux oubliettes nos certitudes de connaissances des données prérequises même scientifiques. La naïveté de la perception nous émerveille et nous guide. D’autre part, cette fenêtre ouverte signifie également qu’une fois le tableau compris et ressenti, ce tableau qui est une vitre devant le monde regarde aussi le spectateur comme un miroir. Celui-ci ne voit plus le monde d’une façon identique, comme auparavant, ayant pris la connaissance du tableau et l’ayant compris à sa façon. C’est un dialogue intime de l’artiste avec le spectateur dans le tableau, dans sa narration. Le tableau est une sorte de parabole, pleine de grâce et de beauté car, à travers les icônes nous apercevons Dieu ou, plus prosaïquement, la peinture rend visible. Le tableau est une surface couverte de peinture organisée/harmonisée d’une certaine façon, ou une vitre posée devant nos yeux. Le stéréotype consistant à s'intéresser à la Nature comme à un ennemi à vaincre, à dominer avait vécu : la Nature est nourricière, éternelle, une unique source d'objets d’inspirations ; l’amour de celle-ci ne nous amène cependant pas à la copier. L’humour est le piment de cette relation asymétrique où les artistes sont anéantis davantage par sa majesté la Nature. L’humour facilite cet échange avec le spectateur.
Panta Rhei
Le tableau comme œuvre picturale est une statique sublime et une harmonieuse expression des émotions et peut-être même une source de plaisir. Tout est mouvement, l’immobilité n’existe pas. Il faut savoir s’attarder devant les tableaux : comme Panta Rhei, et donc « Gloire à la Statique ! ».
En ce qui concerne le mouvement, la peinture est plus véridique que la photographie car le temps ne s’arrête pas contrairement à l’image prise au déclencheur (dicton d’Auguste Rodin). Ajouter à ce mouvement sidéré une nouvelle dimension cinétique (vidéo, film) signifie au mieux de créer un autre genre artistique non-pictural mais dynamique ou, au pire, introduire des artifices non significatifs au tableau. Et l’équivalent peut être dit sur les images en 3D : mieux vaut faire une statue.
L’innovation est dans la structure de la peinture, ou dans les matériaux, dans la fonctionnalité des éléments picturaux dans l’histoire (message présenté) du tableau, dans le message même sur le monde autour de nous. L’instigateur (synonymes : artiste, créateur) reste secondaire car c'est au spectateur de juger si l’œuvre est sublime ou ignoble. C’est une grande différence par rapport aux artistes conceptuels dont l’ego est substantiel. Le savoir n'est pas primordial, la priorité est de reconnaître le message symbolique ou descriptif de l'objet perçu, de la Nature ou de(s) Dieu(x).
La Création
La création prend ses racines dans la perception qui est faillible, comme l’exécution, mais le perçu doit être interprété d’une façon sincère, voire intègre. La vérité n’est pas le but, c’est la sincérité de l’artiste et de son œuvre, de la perception, en passant par la création à la narration. La vérité est une qualité de la réalité transcendantale donc elle est objective et inaccessible dans sa totalité à l’individu, à l’Homme, à l’artiste. Certes chacun a ses vérités, mais elles sont discutables.
La beauté que nous voyons est dans ce que nous rendons visible, dans le rendu pictural de la pièce d’art. La beauté, le pulchritudinis, est aussi une des qualités de la réalité transcendantale mais accessible à l’Homme car culturellement, donc humainement, prédéfinie dans la sensibilité de chacun. Comme l'écrit Roger de Piles, « la Grâce jointe à la Beauté, est le comble de la Perfection ». Certes, on ne peut pas plaire à tout le monde mais tout le monde peut trouver une entente cordiale sur un objet dit « beau ». Et en revanche, si les sensibilités varient et diffèrent entre nous, sans faire un « transfert », nous nous accordons sur la possibilité que ce que je trouve laid, un autre peut le trouver beau. Et si la Grâce se joint à cela, alors c'est la perfection. C’est pourquoi l’art est donc concret, concentré et non dilué dans le design quotidien. Le design est un instrument ergonomique, vide, creux et utilitaire dépourvu de toute narration.
Les moyens de la création picturale
Aucun moyen constructif n’est proscrit pour les objets d’art (des œuvres), tel qu'évoluer du plus simple vers le plus complexe : point, ligne, forme, objet, espace (composition). La ligne non existante dans la nature, mais bien nécessaire pour la construction du tableau, est une approximation rationnelle, le résidu de la construction de l’objet (de la réalité visible), de sa forme ou de son énergie. Cependant, les valeurs constructives principales de l’œuvre sont le volume (synonymes : masse, proportion) et le ton qui se rapproche dans le clair-obscur de la profondeur, donc de la représentation de l’espace. Les autres valeurs (dégradé, couleur) sont les mesures de l’œuvre à la fois de la réalité et de la représentation dans le tableau. La couleur, même si elle est étrangère à l'objet réel, car dépendante de la lumière, fugitive, prêtée aux objets, reste le moyen le plus volatile, le plus complexe et le moins reproductible. Sa valeur individuelle et sa charge émotionnelle ont des pouvoirs énergétiques et donc des pouvoirs structurants. Un petit rectangle vertical de couleur rose entre deux grands rectangles l’un ocre et l’autre bleu foncé tous cela sur un tableau dont un tier supérieur est bleu clair évoque parfaitement « une enfant sur la plage au bord de la mer ». La symbolique de la couleur est merveilleusement décrite par Michel Pastoureau dans ses diverses œuvres, l’interaction picturale des couleurs avec leurs impacts psychologiques et esthétiques par Joseph Albers. D'autres grands auteurs se sont penchés sur l’optique, de l’esthétique et de la perception des couleurs comme Goethe, Schelling, Fichte, Chevreuil, Blanc, sur les procédés techniques, comme Max Donner, Abraham Pincas, Xavier de Langlais ou Claude Yvel. La photographie, la sculpture, les arts graphiques, les collages contribuent à la panoplie des moyens.
La peinture reste vivante
La peinture reste vivante, elle reflète ce que les Européens appellent la Beauté : l'Harmonie dans la sincérité de l’exécution de la perception fautive, voire de la réflexion sur la Nature, réelle ou imaginaire.
Les œuvres doivent être accessibles aux gens comme nous, qui sont en voie de disparition : les renégats de l’homogénéisation, les individus de la classe moyenne qui se déchirent entre les pauvres et les riches, s’opposants aux monstres d'excellence. L’artiste n’est ni fonctionnaire ni artisan. Il essaie de créer non pas ex nihilo comme un créateur, Dieu seul peut le faire, mais en arrangeant d’une façon technique et artistique, selon une certaine méthode technologique qu’il innove en permanence avec les moyens du dessin, de la composition, des couleurs….
Il ne fait pas ceci en série ou à la chaîne, d'où la différence avec un artisan, et il ne fait pas semblant de créer ou de travailler de façon prédictible, d’où la différence avec un fonctionnaire. Il le fait à sa façon comme un agent innovateur, créatif et avec structuralisme et mimétisme historique, d’où la différence aussi avec Dieu, qui décide et fait tout : « factor omnium visibilium et invisibilium ».
Le hasard ou la chance sont les alliés de l’artiste, et non ses ennemis. L’artiste gagne sa vie grâce à son travail, difficilement, comme un professionnel libéral, voire un artisan qui travaille à la pièce unique (et non à la chaîne). Lors de l’acte, l’artiste maîtrise sa technique et oublie les règles qui régissent la technique de son art, car il fusionne avec son œuvre pour faire « Un » avec sa création, sa démarche. C’est l’incarnation du verbe de la pensée par la technique et l’érudition qui procède tout acte créateur. Cette remarque est liée à toute activité humaine : la réflexion de l'avocat, l’auscultation du médecin, la ligne du dessinateur, la couleur du peintre, la forme du volume du sculpteur, la mélodie du compositeur, la note du virtuose, la décision du politicien, l’attaque du soldat… L’art signifie maîtriser les règles, les assimiler et les reproduire en soi, dans son geste, puis pour autrui, en faisant selon sa pensée, l’objet d’art pour autrui.
L’Humanisme conservateur
L’Humanisme conservateur se distingue bien profondément de l’humanisme progressiste : à la différence des progressistes, les conservateurs ne sont pas convaincus que le scientisme, le transhumanisme, l'eugénisme, l’assujettissement de la Nature et l’arraisonnement, Gestell, du Monde sont les bases véridiques de la pensée pour atteindre le fond de l’Homme.
Au contraire, pour les humanistes conservateurs, c’est la primauté de celui qui est, ce qui existe comme une unité qui ne peut pas être changé. L’irreproductibilité de chacun empêche la description factographique des humanistes progressistes. La vie est sacrée : elle ne doit pas être ni mutilée, ni transposée, ni augmentée, ni prothèsée pour devenir un autre camouflet du ramas sans unité sous-jacente. Bien sûr, tout cela dans une certaine mesure.
Nous, Témoins de l’« Époque Formidable », aimons nos corps si obsolètes, nos proches aux corps si simples, les humains si banals (en réponse négative avec Post Human, Matthew Barney, Orlan…) : le corps si anti-idéologique, si enraciné dans la culture de l’Occident Européen.
A la place du résumé :
Le corps est un symbole.
Le corps est un symbole (la trace d’un objet transposé dans un autre contexte) dans son sens d'abstraction :
● Symbole de l'action/passion du libéralisme individuel contre le troupisme.
● Symbole temporel de notre fragilité anachronique d’un Surhumain nietzschéen qui s'affranchit des masses de l'Époque Formidable qui, au contraire, exalte dans ses idéogrammes l'omnipotence d’un Surhumain anti-nietzschéen au-dessus des masses.
● Symbole sensible de la perception des sens et de ses adjectifs : sensoriel, sensitif, sensuel, somatique, empathique…
● Symbole phénoménologique de l'entrelacement et de la non-confusion du sujet-artiste, sujet-thème, objet artistique.
● Symbole linguistique de la formulation du message artistique partant de la perception et de l'expérience.
● Symbole naturel du phénomène de la vie organique, éphémère, non hiérarchisée, entité unie et unité entière, aléatoire, ludique.
● Symbole formel de l'imperfection immanente aux objets créés par l'Homme : la perfection appartient au divin.
● Symbole qualitatif de la vanité que tout change, du fait que l'existence humaine ne fait de l'Homme, malgré les prouesses et les promesses technologiques, un Surhumain anti-nietzschéen : in vero, il n'est ni immortel, ni transplantable, ni clonable, ni prothésable…
● Symbole intellectuel de toutes les mesures, y compris de l’éternité, car ce qui existe indépendamment de nous, de notre perception, de notre conception est inconcevable.
● Symbole spirituel de la finalité de la vie qui est la vie même, sans aucune parousie, ni moralité autre que de l’amour pour autrui : agapè-éros-philia.
● Symbole de l’évolution et succession historique : verbe-corps-image. Le verbe a pris corps pour en finir en image.
● Symbole sociétal de la culture occidentale basée sur le respect d'autrui et de la liberté individuelle de l’Homme.