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Melancholia

Melancholia

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La mélancolie, qu’est-ce ? On se fiche des définitions existantes, on les réécrit à notre aune. La mélancolie, c’est un état de l’âme bien sûr, un état et un mouvement. Un élan. Il y a une soif et l’anticipation de la douleur de ne pouvoir l’assouvir. Le disque Melancholia nous offre de brèves pièces de piano à écouter en petit comité. Les compositeurs choisis pour le disque, sont russes, ces spécialistes de l’âme. Le musicien qui nous offre les états d’âme en musique, l’éternité dans nos salons, est Giancarlo Crespeau, pianiste et également compositeur lui-même. La direction artistique a été confié à Alban Sautour et Kirill Zaborov. Nous cheminons de 1812 à nos jours, dans une ambiance toujours mélodique, mais aux harmonies toujours renouvelées. Jacques Bonnaure dans le livret exprime cette synthèse : « Comme si il s’agissait moins de faire du nouveau que d’approfondir le pouvoir expressif de la musique, toute innovation du langage étant soumise à cet impératif, exprimer la personnalité, l’âme profonde du compositeur. »

Cheminons dans le disque, de compositeurs en compositeurs, la mélancolie comme musette, et distribuons nos bons mots aux morceaux choisis.

Le disque commence avec un nocturne et deux préludes de César Cui. On y trouve le lyrisme discret et tellement déchirant propres aux chansons qui bercent les âmes. C’est comme joué au bord des larmes et néanmoins avec obstination. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’on ne peut pas se taire. La plainte est débordement d’âme.

Puis, c’est Alexander Scriabin qui enchaîne avec sa sonate bien nommée Etats d’âme. Le ton est ici plus révolutionnaire, plus révolté. On sent très bien qu’il y a un désaccord avec la condition de vie qui est exposé, et qui expose l’être au tout devant de la scène. il finit parfois par s’en excuser, avant de nouveau d’exposer l’injustice au grand jour. Il repart à la charge toujours. Il y a tempête dans une âme. Nous sommes ballotés dans un flux et reflux permanent. Pas de quoi s’étonner, nous savions que l’âme avec ses vagues. Gros bouillon.

From Old Notebooks, une sonate de Sergueï Prokofiev, prend le relais. Prokofiev transforme le gros bouillon en tourbillon. La mélancolie est en passe de faire illusion, d’étourdir celui qui voudrait ajouter sa plainte au musicien, il y a dans le déroulé des notes comme une joie feinte, presque inquiétante. Les accalmies sont pour ressourcer, respirer pour soi, pour reprendre de l’élan avant de nouveau d’estourbir celui qui oserait compatir.

C’est maintenant au tour de Dimitri Chostakovitch. Prélude et fugue. C’est comme une marche fière qui chemine vers la chanson, l’épanchement discret qui se berce lui-même. Le seul risque est de devenir lyrique et bavard. Et alors ? On peut très bien danser la valse de plus en plus vite pour s’étourdir dans le souvenir de ce qui ne sera jamais plus et finir essoufflé, en sueur, ivre de mélancolie.

Et ce sont les compositions de Kirill Zaborov qui ferment la marche. Kirill, qui a assuré la direction du disque avec Alban Sautour, est compositeur de musique et batteur de jazz. L’improvisation est sa langue. La première sonate en deux mouvements s’intitule Vermeer, et elle est dédiée aux parents de Kirill, une mère poétesse et un père peintre. Vermeer est le peintre préféré du compositeur. Les deux mouvements de la sonate sont comme opposés par l’énergie.

Kirill se fait orfèvre. Il marie les notes avec précision, il manie l’audace avec délicatesse, ce petit pas de côté dans la composition qui est création. Les épousailles sont comme toujours recommencées, essayées. Cela dit quelque chose de nouveau. Cela vient effleurer une matière, une peau, un peu à regret, un peu en s’excusant. Il y a dans cette musique un profond respect pour celui qui écoute en fermant les yeux. Le bouillonnement reste discret. I s’agit davantage du déversement d’un ruisseau, à la source inconnue, à la destinée fatale et dont le cours est immuable et n’a pas de fin. Le fait qu’il connaisse si bien l’âme humaine fait tout de même frissonner. Il la réveille, notre âme, en fait, la secoue. La mélancolie ne sera jamais léthargie ! La colère reste toujours possible, elle est présente en potentiel. Et le final est envoie en mission.

Le disque se termine déjà. Des variations sur la ville de Vienne, ville de transition pour les Zaborov, dans leur fuite d’URSS vers la France en 1981. Vienne fut la première étape du nouveau monde, de leur nouvelle vie. Les variations manient les nuances et se joue des contrastes. Nous ressentons à la fois l’amertume d’un baiser et la douceur d’une morsure. Kirill Zaborov, c’est l’alliance d’une discrétion angélique et d’une présence obstinée. Et ce qu’il a à nous dire, vient facilement, ne rencontre aucun obstacle jusqu’à notre âme. Kirill Zaborov ne compose jamais à rebrousse-poil, et quelquefois, et souvent, en plein cœur.


MELANCHOLIA, Giancarlo Crespeau, piano, Paraty, 2022,
https://music.apple.com/fr/album/melancholia/1658280214

https://www.giancarlo-crespeau.com/

https://www.kirillzaborov.com/discographie


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