Noir impérial
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Noir impérial
Il y a noir et noir impérial. Ce « Noir Impérial » est d’abord celui d’une matière, la soie. On le doit à la famille Gillet, grande dynastie industrielle1. Françoise Souchaud et les membres de l’association Mirabilia ont décidé de décliner cette couleur-matière dans l’art. Une quarantaine d’artistes et artisans d’art ont été mobilisés pour convoquer ce thème dans leur savoir-faire, pour le traduire dans la chair de leur création. Leur point commun, au-delà de ce noir impérial, est cette main intelligente, capable de traduire le silence de chaque être en objet. La création artistique transcende la maîtrise des matériaux.
Une fois les œuvres réalisées, il a fallu les faire dialoguer entre elles dans l’écrin même qui a été choisi : le musée de Fourvière. Nous sommes accueillis dans une sorte de cabinet de curiosité où les œuvres d’art jouent en toute facétie à faire showroom, à se proposer en simples œuvres d’ameublement. C’est le narthex de l’expo, le sas des gentils, qui est mise en condition avant d’être englouti.
C’est dans la chapelle, que l’on trouve le reste des œuvres mises en scènes et mises en dialogue. Jean-Marc Paubel explique : Scénographier, c'est multiplier les points de vue… De quoi s’attarder, rester plus longtemps que prévu ! Les œuvres dialoguent entre elles, les matières aussi : marqueterie de paille, verre, céramique, plumasserie, corderie, soie, bijouterie, bois, feutre de laine, joaillerie, papier et métal, textile et photographie. Les œuvres dialoguent entre elles, les formes aussi. Quand tout est noir, la matière s’exprime. Quand tout est noir, les masses s’imposent. Quand tout est noir, la lumière (non saisie) ne cesse de poindre. Et nous nous rapprochons insensiblement de l’œuvre qui est aussi coffre-fort de ladite lumière. Le noir nous happe, nous nous y abîmons, nous voulons bien nous y perdre. « Le noir nous absorbe », précise Jean-Marc Paubel. Cette couleur semble paradoxale. Mais n’est-il pas temps de prendre conscience qu’il n’y a pas de contraires, juste des complémentarité. Et dans le noir qui est le lieu de la totalité, se retrouvent ces complémentarités. La sobriété joue avec l’hyper expressivité. La chaleur intense avec l’austérité. La grande noblesse avec l’extrême générosité. L’art premier avec la pointe du raffinement.
Si l’exposition est une œuvre en soit, il convient de s’arrêter que quelques réalisations qui la compose. En refusant d’être exhaustif, nous ne voulons pas exclure, mais frustrer pour inviter à aller voir l’ensemble de l’exposition.
- Commençons par l’œuvre de l’écrivain. Gao Xingjian, prix Nobel de littérature en 2000, a livré un lavis à l’encre de chine. Sans aucun doute une autre façon d’écrire dans le seul bute de camper une énigme. Le paysage ainsi offert nous invite à l’évaporation.
- Christiane Chiavazza, quant à elle, fait briller le noir avec sa sculpture aux personnages comme des âmes collées serrées, se tenant pour nous maintenir dans la plus pure douceur.
- La sculpture métallique de Christelle Balbino ou encore les délicates et mystérieuses feuilles brodées de Zoé Pignolet permettent au noir de jouer avec son ombre en toute facétie. Et nous aussi on a envie de jouer pour peut-être créer à notre tour.
- Véronique De Soultrait est une plasticienne éminemment musicale, avec son disque dont les sillons fous deviennent chevelures, planète, champs du possible. Les variations sont infinies, l’éternité a été créé dans ce disque.
- Maurice Sage, mort le 2 novembre dernier, a réalisé une peinture. Qu’est-ce ? C’est un début, des origines à coup sûr, donc là où il faudrait retourner éternellement. Voilà une vision de paradis en négatif, un paradis bien peuplé d’ailes, de feuilles, de draps… Il m’accueille pourtant. Il y a de la place par derrière, le lieu est infini. Je songe au souffle. Et contemple le mouvement brownien des anges et fantômes dans une louange commune. Pierre Souchaud donne ses mots : « La beauté est là, entre le hasard de la matière et la nécessité de la vie, dans cette quête d’une vérité originelle. »
- Enfin restons longtemps, très longtemps, devant la photographie de Paulina Fuentes-Valenzia. Il s’agit d’un autoportrait. Voilà un mat rarement atteint, pour une chaleur extrême, une incandescence palpable. Ce charbon est un trésor, un bijou bien sûr. « j’ouvre les yeux et tu disparais » nous dit l’artiste. Oui, c’est ça. J’ouvre les yeux dans le réveil du désir, cette anticipation du manque, … Il nous faut avoir confiance. Il y a dans cet autoportrait, une présence têtu, une présence non saisie par le noir. La grâce ne peut disparaître.
Du 11 au 23 février 2025, Musée de Fourvière, 7et 8 place Fourvière, Lyon 5, Le 11 février de 15h à 21h. Tous les jours de 12h30 à 18h00, Plein tarif 10€, tarif réduit 7€. https://www.salon-mirabilia.fr/
https://www.fourviere.org/fr/culture-notre-dame-de-fourviere/musee/exposition-noir-imperial-fourviere/
Listes des artistes :Gao Xingjian, Brigitte Long, Christiane Chiavazza, Christelle Balbinot, Emmanuelle Sage Lenoir, Evelyne Postic, Françoise Hoffmann, Geneviève Parois, Hélène Jospé, Hervé Bacquet, Isabelle Leclercq, Isabelle Moulin, Jean-François Ferraton, Jean, Michel Debilly, Jean-Marc Paubel, Jonathan Ausseresse, Juliette Frescaline, Lise Gonthier, Laurence Oppermann, Maison Fifteen, Maurice Sage , Marion Hawecker, Marika M, Maryvonne Dublassy, Nicolas David, Norberto Moretti , Olivia Ferrand, Paulina Fuentes-Valenzuela, Pierre Remi, Rébecca (!) Fabulatrice, Relinde Molhoek, Sabine Feliciano, Sandrine Thiébaud-Mathieu, Sœur Samuelle, Sophie Guyot, Tina Marais, Livre des Tissus Maison des Soies Bonnet Véronique de Soultrait, Vincent Breed, Virginie Bécourt, Zelie Rouby, Zoé Pignolet
1 Invention teinturière, mais aussi couleur mythique, novatrice, qui changea au 19e siècle, l’industrie textile et surtout celle de la soie, le noir de la teinturerie Gillet-Pierron relève d’une alchimie complexe où sont mélangés le Bleu Raymond, des sels de fer et du cachou, auquel il substitue dans les années 1850 du henné. Le noir obtenu est profond, intense et séduit les soyeux. Fabuleux parcours que celui de François Gillet, né à Bully, berceau de la famille, village situé entre les Monts du Lyonnais et le Beaujolais, il fera à Lyon, après ses années d’apprentissage en teinturerie, des études de chimie à l’école de la Martinière.