Une fleur de lys d’or sur un tas de fumier
Art contemporain Mauvaise Nouvelle https://www.mauvaisenouvelle.fr 600 300 https://www.mauvaisenouvelle.fr/img/logo.pngUne fleur de lys d’or sur un tas de fumier
« La société moderne ressemble assurément à un tas de fumier, c’est pourquoi on peut espérer y voir éclore des pétales pour une fleur de lys d’or. » Voilà comment s’exprime l’Espérance obstinée de Baptiste Rappin et nous serions même capable d’ajouter dans une jouissance ironique à sa suite : Heureux tas de fumier qui nous a valu une telle Espérance. Baptiste Rappin nous offre un livre qui est encore un petit manuel quasi programmatique pour annoncer le roi qui vient : Pétales pour une fleur de lys d’or. Mais avant d’en venir à espérer et préparer le terreau d’une résurrection, il nous faut encore et toujours mourir en conscience. « Nous croyons vivre, mais nous sommes déjà morts », c’est la première phrase du livre emprunté au fameux Ken le survivant à qui notre auteur consacra un livre. Cette première phrase est première étape indispensable, la mauvaise nouvelle nécessaire à annoncer. Nous connaissons à MN cette nécessité de l’ordre, l’urgence d’annoncer la mauvaise nouvelle en tout premier lieu, pour partir comme disent les diplomates sur un point d’accord.
Et pour construire le trône, faut-il encore avoir pleinement conscience de ce qui engendra et engendre encore la chute. C’est tellement courant de reproduire les erreurs passées, répéter l’histoire en farce comme disait Marx et tout simplement de confondre révolution contraire et contraire de la révolution comme disait Joseph de Maistre. On a souvent pointé du doigt la révolution en pensant que la révolution industrielle ne procédait pas de la même logique. A la base de la chute donc selon Baptiste Rappin il y a 200 ans de révolutions industrielles, 200 ans de règne de la matière et de la technique, qui ont provoqué « la sortie de l’humanité hors de la civilisation, la sortie de l’homme hors de son humanité, la sortie du logos hors de l’homme. » C’est dire si le cosmos est en jeu. C’est dire si l’ambition de ce tout petit livre est démesurée.
Baptiste Rappin a beaucoup étudié les ravages des sciences du management, la pénétration des idéologies managériales par le biais des méthodes de management, d’organisation du travail et des rapports au travail. Plus un seul lieu n’échappe au diktat des post-il de brainstorming, des reporting des organisations en mode contrôle, des évaluations des compétences, de l’intelligence collective voire artificielle, etc. Rappin parle de religion industrielle. La société d’organisation dénature l’homme et engendre un homme nouveau, vieux projet de tous les régimes totalitaires.
Pour comprendre le fonctionnement de l’ère organisationnelle dans laquelle nous vivons et chutons, Baptiste Rappin identifie la nécessaire circulation permanent de tous : marchandises, informations, monnaie, hommes. « Le réseau est à la fois le symbole de la circulation et la Machine à faire circuler, la Machine à trafics. » La révolution qui est l’idéologie de la République n’est pas un lieu de la pensée mais la circulation incessante de la pensée rendant obsolète tout ce qu’elle fut dans le seul objectif de déconstruire. On retrouve cette obsession de la circulation dans la société technologique et industrielle. La question n’est plus l’accumulation de richesse, mais la circulation et la connexion. La principale source de revenu est aujourd’hui la capacité à faire circuler l’argent quitte à faire circuler de façon totalement fictive des biens ou services. Une plus-value se crée comme la conscience progressiste de stratifie. « Le réseau (…) réalise la mobilisation totale de l’étant en vue de sa productivité. » Et une grande tristesse nous assaille car on ne peut plus être hors du réseau. Le seul choix que nous avons : être un organe du réseau ou ne pas être.
Pour ne pas sombrer, Baptiste Rappin comme à son habitude nous offre ses aphorismes de combat. Il construit des articles de loi comme des pétales du lys d’or. Chapitres d’analyse et scolies s’enchaînent. Scolies comme autant de marque de sagesse. Il s’agit non seulement de révéler tout le mal à l’œuvre mais aussi de circonscrire notre pensée de bâtisseur. Ce serait tellement dommage que repartant du néant on fasse fausse route, ce serait alors la chute sans fin comme le jour du même nom, dans une répétition diabolique d’erreurs révolutionnaires. « Le roi qui vient, c’est une nécessité métaphysique, c’est une exigence éthique, n’est pas compétent. »
C’est ainsi que se dessine un royaume fait d’autogestion, soumis au principe de subsidiarité, profondément enraciné, et optant dans une forme de lenteur pour une attitude de non-violence envers le temps. L’arbre est donc bien le symbole de ce royaume, lieu de la pensée, enraciné et vertical. « L’arbre attribue les places, le Réseau organise les trajectoires. » Je veux bien avoir une place dans l’arbre en attendant ma place au paradis.