Feu ! Chatterton ressuscite la poésie
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On ne l’attendait pas, on ne lui avait rien demandé, et voilà qu’au milieu du brouhaha maniéré de la chanson française sans texte, des mélanges de voix au vibrato cloné, surgit celle d’un écorché-vif aimant l’ironie des mystères. C’est une voix de garage qui s’impose de façon quasi suicidaire au dessus de tous les enfoirés de la variétoche. Feu ! Chatterton dérange dès la première syllabe, il oblige les autres à se taire, on sent que sa folie ne le fera pas renoncer. Il faut qu’il chante, il faut qu’on l’écoute. Nouveau groupe, nouvelle voix, avec un EP sorti le 8 septembre : 4 titres, 2 clips. La presse étonnée de cette présence manifeste aussitôt déboule. Leur moteur de recherche rapproche le nom du groupe du nom de l’album de Bashung, première référence établie sur la base de l’album phare du chanteur, puis on évoque Noir Désir, parce que la voix de Feu ! Chatterton n’hésite pas à se faire très sonore et à dérailler sur de larges voyelles. Vrai. Il faut toujours raccrocher les nouveaux venus à de l’existant, c’est le baptême opéré par les médias. Pour ma part, je pense un peu aux Négresses Vertes, un peu aux Têtes Raides. Un peu c’est tout. On est dans autre chose. Feu ! Chatterton est un nouveau groupe de rock français.
Le nom de leur groupe est inspiré du célèbre poète anglais du XVIIIème siècle. Ce fameux poète devenu symbole du génie romantique méprisé par la tourbe des gens ordinaires, celui qui décida de se suicider à l’arsenic plutôt que de mourir de faim. Cette voix, à la fois métallique et chaude, n’est donc pas simplement une voix sortie d’un garage, mais une voix d’outre-tombe, du poète disparu (pour faire plaisir à Robin Williams). La poésie n’est plus. Feu Chatterton ! Le rock français peut le ressusciter. À vos marques, prêts, feu ! Chatterton. Leur EP est un roulement de tambour annonçant le retour de la poésie en chanson, ce n’est pas l’évocation d’un retour, mais une annonce officielle, une mise en garde : demain la chanson française ne pourra plus se passer de sa langue.
Arthur le chanteur n’hésite pas à être sonore à l’excès. Voix de garage ? C’est sur le béton que la voix résonne, c’est avec obstination et vanité qu’elle cherche à le fissurer. Le quintet parisien déroule ces morceaux rythmés de littératures dans une boîte de béton, un sarcophage de béton. Ils n’hésitent pas à faire les rockeurs, à mettre de la boîte à rythme dans leur titre « la Malinche » où ils nous invitent à danser et nous finirons par nous cogner la tête contre les murs. Oh oui ! Oh oui ! Feu ! Chatterton est aux enfers, ce lieu situé entre la mort et la résurrection du Sauveur. Ils y chantent, nous y invitent, nous y laissent. Danser et chanter à s’en déchirer. C’est eux qui font danser et patienter les morts.
Feu ! Chatterton, c’est d’abord une voix et deux guitares. Deux guitares comme une escorte parce que dire la poésie est dangereux, risqué. Une escorte censée éloigner les « bons citoyens » que les vagues à l’âme effraient, qui préfèrent célébrer l’ordre démocratique des supermarchés, leur montrer qu’on est plusieurs, que l’on partage la même faille, que l’on vient du même lieu. Puis, une batterie, une basse, un clavier pour délivrer les vers en rythme, pour encourager le poète, le confirmer. Rendre efficace son phrasé. Tiens le coup ! On est tous prêt pour la poésie, on accepte son inconfort, on veut bien danser aux enfers. Le dandy s’avance désormais avec un rictus aux lèvres, fier de l’ironie retrouvée de concert avec la poésie. Jouissant de nous avoir réveillés, jouissant de nous enrubanner de son phrasé romantique qui porte haut les cœurs. Haut les cœurs !