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Kirill Zaborov inquiète notre âme discrètement

Kirill Zaborov inquiète notre âme discrètement

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C’est la mort de Boris Zaborov en janvier dernier, grand peintre ayant eu le privilège d’être à la galerie des offices de Florence de son vivant, qui me fit m’intéresser au fils, Kirill Zaborov. Ce dernier est compositeur de musique contemporaine mais également pianiste et batteur de jazz. L’improvisation semble être sa langue, sa poésie. Il faut du temps pour rencontrer une musique, il faut être seul pour être sûr que les sons joueront avec notre silence.

Fragments poétiques

J’écoute d’abord les Fragments poétiques… c’est un peu douloureux cette élection de ma personne que le morceau opère. Les cordes y sont inquiétantes et persistantes. Alors que l’élan semble en permanence incorporé à la note qui s’élève, je sais que je vis la gloire du sacrifié. Que j’en suis digne. L’archer vient labourer mon âme ayant perdu l’habitude d’être inquiète. Ces fragments me ressemblent, me rassemblent. Ce qui chez moi était dispersé est réuni, cette âme en miette réunifiée dans son déchirement.

Suite Entrelacs

J’écoute maintenant Suite Entrelacs jouée par Laurence Oldak, je finirai par le jazz. Il faut toujours finir par le jazz, c’est une question de savoir vivre puisqu’il s’agit d’apprendre à vivre. Suite Entrelacs, quelle précision ! Rarement je n’ai ressenti à ce point que le piano était un instrument à corde. Le piano-forte se fait harpe-clavecin. Nous sommes attentifs comme jamais à l’ivresse qui nait dans notre promenade haletante. Il y a du jeu bien sûr, une ironie en clin d’œil, un pied de nez qui rappelle le jazz quand l’improvisation joue de notre déception de ne pas voir la phrase s’achever tel qu’imaginé. Et nous sommes consolés dans un même mouvement. Aucune note ne semble être là par hasard, pour remplir. Elles sont toutes désirées par le compositeur, choisies, soupesées, dosées. L’élégance exige cette précision. L’amour du silence de l’être suppose cette attention au son. Chaque note a sa place. Les accords qui transforment le piano en orchestre n’intéressent pas Kirill Zaborov. Il ne veut surtout pas noyer et confondre les notes ou saturer le goût, sinon quels saveurs ?

Dix apparitions

Je chemine vers le jazz. Il était déjà là dès le début. Je suis face à Dix apparitions. On dirait qu’il joue en regardant un film en noir et blanc, en direct. La mélancolie fait des claquettes sur le bord de notre âme, comme la pluie sur le trottoir chez Nougaro. Il nous chatouille de l’intérieur, de partout. On risque vraiment la dépendance. On s’habitue, la musique ne s’absente pas, elle nous accompagne discrètement. Elle devient comme un vêtement. Satie faisait de la musique d’ameublement, Zaborov nous propose de la musique d’habillement. Nous revêtons la suite de notes pour devenir nous-même, c’est-à-dire un peu nouveau. Un véritable défi est lancé à la pesanteur, les notes roulent légèrement au-dessus du sol, de notre chair, à mi-hauteur. Un courant d’air donc traverse l’espace, un air fuit en vaguelettes. Jamais on ne s’est senti aussi léger et grave à la fois. Il faudra se résigner à avoir l’âme inquiète.

One Day

Finir par le jazz, y revenir. Pour se prolonger jusqu’à l’agonie. Il faut bien un rythme, des percussions pour notre galère. Notre inquiétude nous rend ivre. On pourrait danser un peu puisque le chemin s’arrête là, et que la musique nous tombe dessus comme une pluie bienfaitrice, un peu berceuse. Qu’est-ce qu’on célèbre ? Mon silence retrouvé. Je m’étais perdu en bavardage et Kirill Zaborov donne une raison de me taire, de respirer, de vivre quand même avec mon âme redevenue inquiète.

Au terme de notre écoute qui est chemin, Kirill Zaborov semble récapituler toute la musique du XXème siècle, dans la discrétion d’un Satie, avec les musiques de films du cinéma muet, avec des cordes insistantes et inquiétantes d’une musique contemporaine, et bien sûr avec le jazz sans cesse présent avec l’improvisation comme véhicule de la composition, comme langue. Il nous a parlé avec cette poésie et nous avons répondu avec notre silence inquiet.


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