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Je suis ce que je ne suis pas

Je suis ce que je ne suis pas

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On pourrait entendre la voix de Julien Lepers. Top, Je suis un citoyen consommateur, prêt à enfoncer toutes les portes ouvertes, plus attaché aux règles d’hygiène qu’à la morale, désireux de sauver la planète et d’accueillir le migrant, je me sens concerné par les tragédies opérées par les djihadistes, je change régulièrement de profils facebook et twitter pour le montrer et le démontrer, je manifeste aux ordres du président en me prenant pour un rebelle, je suis, je suis, je suis… Et la réponse hésitante et timide du candidat après le buzzer : Je suis Charlie ? Oh non, quel dommage, ce n’était pas loin, mais ce n’est pas la bonne réponse. Je suis français, bien sûr, je suis français. Mais reconnaissons qu’il y avait un piège…

Personne ne peut échapper à Je suis désormais

Effectivement, nous le voyons bien, le piège. Tout est posture. Ne pas être Charlie à l’époque, ou ne pas être français aujourd’hui, ce n’est pas non plus parvenir à échapper au mouvement. Être autre chose que l’on s’invente comme mouvement contraire revient à appartenir à une excroissance du mouvement de masse. Dieu lui-même aurait peut-être du mal à se définir comme je suis face à Moïse, sans risquer de ne pas être lui, d’être dépossédé de lui-même par le vide que je suis implique… Si tant de gens ressentent la nécessité de brancarder qu’ils sont quelque chose, c’est la manifestation qu’ils ne le sont pas a priori. Je suis sous-entend je deviens. Cela suppose aussi une certaine précarité de l’état en question. Je suis est en fait une humeur de réseau social, et absolument pas une manifestation identitaire. Qu’Emmanuel Todd se rassure tout de suite si d’aventure la prolifération de l’étendard français le mettait en transe intellectuelle, les Français ne se sentent pas pousser d’un coup un sentiment national. Eux qui cultivaient la honte d’être ce qu’ils sont sous la pression d’une gauche fossoyeuse de civilisation, ne se mettent pas d’un coup à devenir nationalistes. Ils deviennent provisoirement français quand il y a des attentats, comme ils le deviennent quand nous gagnons un match de football. Toutes ces faces qui se sont fondues dans le drapeau français sont une variation des faces maquillées pour les matchs.

Je suis tout ce que vous voulez mais pas français

Il est bientôt temps de se sentir français. Qu’autant veuillent l’être est la preuve qu’ils ne l’étaient pas. Autant il peut être signifiant que des étrangers brancardent qu’ils sont français, pour imager leur solidarité, il est totalement incongru que des Français disent qu’ils le sont. Pour ma part en 2003, à Marseille, je criais naïvement dans les rues tout entouré de communistes : nous sommes tous des palestiniens, le tout car je m’insurgeais contre les massacres de Jénine. Bref, ce n’est qu’un exemple et sans doute pas un bon. J'aurais sans doute dû me tourner vers JFK et son « ich bin ein Berliner » pour exprimer mon propos et illustrer jusqu'où peut aller la solidarité envers ce que l'on n'est pas. Que le monde entier se dise français et se mette aux couleurs de notre drapeau peut nous toucher. Mais le fait d’être français relève de mon identité pleine et entière, je ne peux m’en défaire, comme je suis un homme, comme le fait que j’ai 40 ans… Je suis tout ce que vous voulez, Charlie, Charles Martel, en terrasse, au Bataclan, Copte, … je veux bien consentir à participer à tous les mouvements de masse et à leur surgeons, mais par pitié, ne me demandez pas d’être français… puisque je le suis.


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