Supprimer les notes…
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Supprimer les notes, ou refuser d’évaluer les élèves ?
Au-delà de la manipulation grossière qui consiste à casser le thermomètre pour dissimuler la fièvre, le mythe de la suppression des notes remet surtout en question le principe même de l’évaluation, qui, malgré les nombreux oripeaux dont on la maquille, reste toujours un jugement, un langage, qui dit « bien », qui dit « mal », et passe donc pour une atteinte à la dictature de l’égalitarisme, fruit du totalitarisme relativiste de l’époque.
Quelles sont les pratiques de l’évaluation aujourd’hui ?
À l’école primaire, il suffit de regarder les listes de fournitures pour constater combien le sens de l’effort est peu encouragé. Cahiers format 24X32, dans lesquels on peut coller une photocopie A4, surligneurs, pas de stylo plume obligatoire, mais effaceur exigé si stylo plume demandé, outils de création artistique en quantité délirante… Le cerveau gauche n'est quasiment plus sollicité selon les 3 exercices incontournables de sa stimulation : calcul mental, analyse grammaticale et apprentissage par cœur. Le contenu des programmes a fondu, en nature comme en degré, comme neige au soleil. Les « fondamentaux » sont grignotés par des activités périphériques : arts visuels, EPS (1h par jour depuis Luc Chatel pour lutter contre l’obésité), informatique (et bientôt codage informatique), éducation civique (en attendant la morale laïque), actions ponctuelles de sensibilisation au développement durable, à l’égalité filles-garçons, au don d’organes, au travail des enfants dans le monde, à la disparition des ours polaires, sorties, voyages, événements de solidarité, interventions associatives, école au cinéma… À partir du mois d’avril, compter les semaines « normales »…
Mais pour nos ministres et leurs conseillers, le problème, ce n’est pas le temps perdu, la baisse du niveau, l’inquiétante faiblesse de l’armature intellectuelle des élèves. Non, la cause de tous ces maux (qui n’en sont pas), ce sont les notes. Qui découragent, stigmatisent et paralysent.
Dès lors, l’évaluation se fait selon le « livret personnel de compétences », le palier 1 devant être validé à 80% en fin de CM2. Sachant que les 20% manquants peuvent aussi bien appartenir à la compétence 1 (maîtrise de la langue française) qu’à la compétence 7 (esprit d’initiative et autonomie), cela n’a aucune importance, l’un n’est pas moins grave que l’autre. Ce qui compte, c’est la quantité de « A » comme « Acquis » dans les colonnes, et pas le contenu des items qu’ils valident.
Résultat : les élèves arrivent en 6ème avec de telles difficultés de lecture et écriture, que le collège est, lui aussi, touché par la vague de la validation par compétences depuis les dispositions du ministère Fillon. Ainsi, on ne fera plus une interrogation écrite de dates, notée sur 10 ou 20, on validera l’item 5 de la compétence 4 « Avoir des repères historiques » d’une pastille verte ou d’un « A » rutilant, comme si être capable de placer l’Hégire en 622 en début de 5ème était une « acquisition » définitive et absolue de « repères historiques ». Les profs de collège utilisent, en ce moment, la double évaluation. Des notes, pour communiquer avec l’institution (toutes les statistiques académiques reposent sur des notes chiffrées), la hiérarchie (le principal du collège entoure les notes des élèves qui n’ont pas la moyenne), les élèves (« Madame, c’est noté ? », « Monsieur, j’ai eu combien ? »), et leurs familles (« Si mon fils n’a pas 14 de moyenne en maths au prochain trimestre, il sera privé de… ») ; notes auxquelles s’ajoute le livret de compétence, qui doit être couvert à 80% de pastilles vertes pour l’obtention du diplôme national du brevet. Lequel reste décroché, in fine, par un cumul de notes de contrôle continu, et de notes de contrôle final (épreuves écrites français, H/G, maths ; épreuve orale d’histoire des arts). Décidemment, le millefeuille est partout… Et force est de constater qu’en plus de complexifier considérablement le travail des enseignants, la double notation (par notes, et par compétences) en obscurcit la lisibilité et la compréhension. Certes, un élève systématiquement capable de « lire et comprendre un texte », mais qui valide difficilement « savoir écrire un texte simple » pourra être aidé de façon plus précise, parce que ses difficultés sont mieux ciblées. Mais avec 30 élèves dans des classes hétérogènes, une capacité de concentration infime, une soif d’apprendre ténue, et une maîtrise insuffisante des fondamentaux, difficile de répondre correctement aux besoins spécifiques de chaque élève.
Un problème, le niveau baisse.
L’institution scolaire ne fait que récolter ce qu’elle a semé, et le contexte des écrans, de l’individualisme, de l’absence de suivi et d’autorité dans nombre de familles aggrave encore le diagnostic.
Quoi de plus ingrat et rébarbatif que de répondre à des questions sur un texte dont on peine à déchiffrer les mots ? Pas étonnant que les élèves ne sachent pas en saisir le sens, et donc encore moins les effets, les connotations, les subtilités, les sous-entendus. Comment comprendre les grandes civilisations antiques en 6ème quand on n’a jamais abordé les chiffres négatifs en maths ? Que peuvent bien signifier les « repères » Jules César, né en -100, assassiné en -44 pour un élève qui ne sait pas compter à rebours ? Comment lire un tableau statistique quand on ne sait pas ce qu’est un pourcentage ? Une densité quand on ne maîtrise pas la notion de surface ? Une conjugaison anglaise si on ne saisit pas les temps et les modes du français ? Une civilisation quand on ignore le sens des mots « culte », « État », « administration », « culture », « fonction » ?
Une solution, « l’évaluation bienveillante » (sic) prônée par Benoit Hamon (entre autres) ?
Puisqu’on vous répète que le problème, c’est la note, il semble nécessaire de se pencher précisément sur cette épineuse question.
À une enseignante d'anglais d'une salle des profs qui vantait les bienfaits supposés d’un système de notation par pourcentage de réussite, un collègue de maths a sèchement, mais fort justement rétorqué que 12/20 = 60 %. Donc pourquoi vouloir changer ce qui existe, ce qui fonctionne, ce qui est compris par les parents et les élèves, ce qui est précis (20 graduations sur une échelle de 0 à 20, 4 fois plus qu'entre A et E), et ce qui est « positif », car on additionne bel et bien des points dans une évaluation, on ne les retire pas) ?
Que l'on utilise des lettres, des chiffres, de pastilles, des smileys, des gommettes, des couleurs, des étoiles, des cœurs, des figurines de super-héros ou des sigles publicitaires, évaluer consiste à vérifier le degré d'acquisition. Et à communiquer le diagnostic. L'élève doit savoir ce qu'il sait, et qu'il ne sait pas. Le prof doit savoir ce que l'élève sait, et ses parents aussi. Aucune note (hormis celle des concours, notamment des concours de recrutement…des profs…qui ne sont même pas annotées dans la marge) n'est posée sèchement sur une copie sans l'appréciation qui l'accompagne, et qui dit ce qui est bien, ce qui est à revoir, et le moyen d'y parvenir. Que ce soit sur une copie, un bulletin de notes ou un bilan pour le brevet.
On peut changer le langage. On peut changer le contenu. On peut masquer la baisse du niveau par un « socle commun » de plus en plus ténu ou de plus en plus éloigné des exigences d'une armature intellectuelle et culturelle solide (Après « je suis sensible à la beauté d'une œuvre d'art », « Je sais lire et comprendre un texte » ou, « savoir nager » en fin de 3ème, à quand les items « Je sais que la laïcité est une valeur fondamentale de la République » ou « Je ne fais pas d'amalgame entre islam et islamisme » ou encore « J'ai mené des actions citoyennes pour améliorer l’égalité filles-garçons dans mon collège » ou bien « J’ai pris ma carte de don d’organes en cas d’accident de scooter »).
On peut tout changer. Mais il faut alors se poser la question de l'évaluation comme composante ontologique du métier d'enseignant : un prof est-il légitimement fondé à donner un avis qualitatif objectif sur la prestation d'un élève ? Car c'est, au fond, cela qui est remis en question. Car il est désagréable pour tout le monde de se faire juger (partiellement) par un supérieur. Pour autant, est-ce traumatisant ? Acceptable ? Juste ? Légitime ? Dans le monde de l'entreprise, les salariés sont évalués régulièrement par leurs supérieurs. Dans l'Équipe, les joueurs sont notés sur 10 par les journalistes. Dans « nouvelle star », les candidats reçoivent un carré lumineux bleu ou rouge. C'est encore plus manichéen dans « The Voice », où l'on peut être éjecté du programme avant même que d'avoir été vu par le jury. Se tromper, faire une faute, ne pas avoir été à la hauteur des actions et acquisitions attendues, n'est jamais agréable. Se le faire dire, et le reconnaître, est un acte purement neutre moralement, ni bienveillant, ni malveillant. C'est la vie. Quel que soit le langage utilisé, il est indisposant de s’entendre dire qu’on n’a pas su proposer une prestation conforme à celle attendue. Mais cela ne constitue nullement un jugement sur sa personne entière. Ni un classement par ordre de nullité ou d'excellence. Ni la marque d'une préférence affective du prof pour les « bons ». Ni le symptôme de l'implacable reproduction des inégalités sociales dans les résultats scolaires des élèves.
Passons aux pastilles rouge, orange et vertes. Nous verrons déjà tous les meilleurs collèges parisiens, privés et publics, s'arracher les cheveux pour comprendre la notation (notamment pour d'évidentes raisons de photocopies…), partant pour sélectionner les meilleurs élèves de CM2.
Puis, après 10 ou 15 ans de pastilles, quand tout le monde se sera plus ou moins habitué, nul doute qu'on verra un ministre expliquer que la pastille rouge traumatise l'élève, le stigmatise, le dévalorise, le démotive. Que peut-être faudrait-il ré-enchanter le rouge par une couleur plus bienveillante (le rose ? Le violet?) ? Ou par un système de notation plus aimable, plus respectueux, plus motivant, plus doux, plus souriant, bref, plus égalitaire ? Et si tout le monde avait une pastille grise ? Ou marron ? Ou arc-en-ciel ? Ne serait-ce pas plus juste ? Plus beau ? Plus républicain ?
Un prof a-t-il encore le droit de juger la prestation d’un élève ? Son niveau ? Ses connaissances ?
On le voit, tant que les profs auront le droit d'évaluer les élèves, comme une prérogative constitutive de leur compétence professionnelle, le principe de l'évaluation sera toujours la photographie objective du niveau d'un élève à l'instant T, dans un domaine précis. Il semble, d'expérience, que parents et élèves le reconnaissent volontiers, et mieux, le comprennent. De même qu'on n'a jamais vu, contrairement à ce qu'affirment les ministres, un élève arrêter de travailler pour la seule raison qu'il était démotivé par une mauvaise note. Par un professeur incompétent, oui. Par un cumul d'incompréhensions et de difficultés, oui. Par un contexte familial et extra-scolaire pénible, oui. Par le harcèlement de ses petits camarades, oui. Par une crise d'adolescence compliquée, oui. Par le cumul des toutes ces données, oui. Mais jamais par la stricte et seule accumulation des chiffres inférieurs à 10 sur son carnet.
Que l'idéologie de l'institution projette sur eux ses propres fantasmes est un autre problème. Que l'égalitarisme républicain soit à ce point dévoyé qu'on doive s'empêcher de nourrir ceux qui ont faim, et s'obliger à maintenir à flot (un flot de plus en plus bas…) ceux qui n'en ont pas l'envie, ou pas la capacité, est affligeant.
Un esprit vidé de connaissances, coupé de ses racines, aliéné de sa culture, privé de son patrimoine, bridé dans ses potentialités, amputé de mémoire et d’imagination, annihilé dans sa capacité de raisonnement, anéanti dans sa réflexion critique, purgé de ses aspirations à la transcendance, sur lequel on a plaqué un laïus laïciste, saupoudré une morale citoyenne et parsemé des bons sentiments comme seules « valeurs fondamentales » , constitue sans nul doute un meilleur terreau à l’endoctrinement islamisto-salafisto-djihadiste que n’importe quelle fastidieuse exégèse coranique. En cela, les « documents-ressources » proposés par le ministère « déplorent merveilleusement les phénomènes dont ils chérissent les causes », selon la très convaincante et très universelle maxime de Bossuet.