Plougrescant se passe de commentaires
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Kenneth White, l’écrivain écossais, a dit de Tréguier que c’était un cul-de-sac culturel. Et alors ? Un cul-de-sac est une belle chose quand on n’a pas envie d’en sortir. Bien sûr, depuis la disparition de Renan, il ne s’est pas passé grand-chose ici, hormis l’érection de la statue du grand homme, statue écœurante, car elle illustre à merveille le poème sur les assis de Rimbaud. Tous les villages français ont leur héros passager. « Ici, a uriné Louis XVI ». « Là, le prince de Condé a fait sa grosse commission ». Mais, après tout, pourquoi faudrait-il qu’il y ait de la culture partout ? Un peu de rien, de temps à autre, cela fait du bien, surtout quand ce rien se tient sur les genoux du néant, prompt à moquer le voisinage du vide. Toutefois, ce n’est pas de la vie philosophique du Trégor que je voulais parler, mais du plus beau coin de France : la côte de granit rose de Plougrescant. Fermez les yeux et votre écran ! Vous voici à l’étranger, c’est cela la beauté ! Vous êtes sur le chemin des douaniers, arraché aux rochers et à la mer plate comme un sac-à-dos que vous auriez laissé au fond d’une valise, elle-même oubliée dans un grenier, enterré au fond d’un cul-de-sac justement. Vous avancez, flânant, rêvant à la femme que vous aimez, aux poésies que vous avez plantées sur un de vos neurones, au dos si beau et musculeux d’une bien-aimée ardente, que le sentier prolonge intimement, oubliant jusqu'à l’insipide bêtise de la répétition des jours et des nuits. Vous redevenez niais. Le cynisme redevient une école de pensée, ni plus ni moins. Vous êtes enfin vous-même, c’est-à-dire une déclinaison de ce que vous fûtes facticement et de ce que vous allez devenir, sans grimaces, une sorte d’ombre dans la pénurie des silhouettes chatoyantes, une vacation d’être peut-être, mais un gage vivant. Vous n’êtes plus cette paume vide. La désolation aragonienne n’est plus votre île. Vous êtes enfin indéfinissable. Le sentier est comme une plaque qui glisse et vous glissez sur ce ruban tue-mouches qui vous arrime. Vous êtes Plougrescant, un atome génial dans l’automne merveilleux. Et la mer sifflote du Couperin. Vous l’entendez entre deux vagues silencieuses qui chahutent. La promenade est une compagne. A cet instant précis, vous savez précisément que, sans la marche, la vie serait une erreur, d’autant qu’un verre de bière vous attend tout au bout de cette beauté si sournoise, car elle va bientôt s’estomper et vous laisser en plan face aux bagatelles de la vie sociale. Voir Plougrescant… Pour revivre !